Le tourisme festivalier de Karlovy Vary

Photo: Kristýna Maková

Chaque année, le Festival international du film de Karlovy Vary attire des milliers de participants. A la différence de Cannes, qui appartient pourtant à la même catégorie dans le classement international, on ne voit pas déambuler uniquement des professionnels du septième art sur la colonnade à Karlovy Vary, mais aussi des amateurs de cinéma enthousiastes, arrivés avec leurs sacs à dos pour faire la queue devant les douze salles de cinéma, bouteille d’eau et sandwich à la main. Et quand il ne reste plus de billets, la région offre maintes beautés et curiosités à découvrir.

Photo: Kristýna Maková
C’est une petite ville, belle et un peu somnolente la plupart du temps, où – mis à part ses 50 000 habitants – ce sont surtout les curistes qui viennent boire ou se baigner dans les eaux thermales dont les effets bienfaisants sont connus depuis le XIVe siècle, et où sont venus se soigner le tsar russe Pierre le Grand, Ludwig van Beethoven ou encore Sigmund Freud.

Mais la semaine où Karlovy Vary devient la capitale du cinéma d’Europe centrale et orientale, une bonne dizaine de milliers de personnes affluent. Toutefois, derrière les paillettes, le tapis rouge et les reportages télévisés aux flashes aveuglants s’abattant sur les grandes vedettes du cinéma mondial, il existe un tout autre tourisme, joyeux et populaire, qui a bien surpris la famille Trohel, des expatriés Français qui travaillent depuis deux ans en République tchèque. Nous écoutons Jacques et Isabelle :

« On pensait que ce serait un peu plus guindé, un peu chicos, mais en fait, c’est populaire ! C’est plutôt sympa. On a vu, bien évidemment, des gens qui sont sur leur trente-et-un, je pense que c’est parce qu’ils vont dans les salles de cinéma, ou qu’ils sont invités, mais pour le reste, c’est vraiment populaire et très sympa. Le point positif, c’est l’ambiance. Très conviviale, très sympathique, beaucoup de familles, il n’y a pas uniquement des jeunes, il y a ici vraiment des familles complètes. Il y a aussi la beauté de la ville. D’un point de vue architectural, c’est vraiment magnifique. C’est une ville bien préservée, c’est superbe ! Très beau. »

Photo: Soňa Jarošová
Pourtant, arrivés au guichet pour choisir une séance parmi les soixante projections quotidiennes dans l’éventail des quelque deux-cents quarante films, nos Français sont bien déçus :

« Le problème, en revanche, c’est de ne pas avoir de places de cinéma, de ne pas pouvoir vraiment faire partie de l’ambiance du festival. On avait repéré quelques films, plutôt français, on voulait regarder des films français, mais on s’y est pris beaucoup trop tard. On se sent un peu à l’extérieur, évidemment, quand on n’a pas même une occasion de voir un film. Isabelle était attirée par les bains, donc demain matin, on fera un thermes, un jacuzzi, on ne sait pas trop encore. On va essayer de trouver. »

C’est que, pour avoir des places de cinéma – quand on ne fait pas partie des privilégiés que sont les journalistes, les membres des équipes de tournage des films présentés ou les invités – il faut se lever de bonne heure, comme nous l’explique Tereza Janouškovcová, employée du festival et responsable de la vente des billets :

Photo: Kristýna Maková
« Les billets se vendent pour la journée même et pour le lendemain. Et les gens font la queue. Par exemple, cette nuit, en rentrant d’une soirée avec les collègues vers trois heures du matin, j’ai vu des gens qui dormaient par terre devant les guichets, pour avoir des billets dès leur ouverture… Pour vous faire une idée plus précise, je vais plutôt vous donner un exemple : pour une projection x, il y a en tout deux cents places disponibles. Sur ces deux cents places, cinquante sont réservées aux journalistes, cinquante aux invités d’honneur, et cent seulement sont mises en vente libre. Donc, lorsque ces cents billets destinés au grand public sont épuisés, il n’y a plus d’autre moyen pour entrer dans les salles, sauf si un journaliste ou un invité d’honneur ne vient pas à la projection. Dans ce cas-là, les billets sont remis en vente une heure avant le début du film. Si vous avez ce qu’on appelle le pass, et que vous voulez aller voir un film pour lequel il ne reste plus de billets, vous pouvez aller attendre devant la salle, et s’il reste des places, on vous laissera entrer. »

Grandhotel Pupp | Photo: Soňa Jarošová,  Radio Prague International
Pas très agréable, on pourrait croire, de faire la queue, de surcroît sous la pluie et en regardant défiler les berlines luxueuse du sponsor automobile du festival, BMW, qui amènent le public V.I.P. droit à l’entrée des salles. Mais rien ne décourage ces jeunes Tchèques, que l’on surnomme les « baťůžkáři » (de « batoh », qui veut dire « sac à dos »), de s’adonner à leur passion du cinéma, le principal pour eux étant d’être entre amis, de profiter de la vie nocturne, bref de s’amuser. C’est du moins ce que prétendent Michal de Liberec et Václav de Strakonice. Grand sourire aux lèvres, tous deux sont allongés sur la petite plage qui borde l’étang du camping de Rolava, principal point de chute des « festivaliers-au-sac-à-dos » :

Photo: Kristýna Maková
« Je pense que ça doit être quelque chose comme le festival de Cannes. Les Français vont sûrement là-bas, non ? Nous, nous n’y sommes pas encore allés, mais c’est prévu ! Le nôtre, c’est aussi un festival de cinéma de premier rang, avec des stars comme Mel Gibson, qui a plutôt l’air d’un Sean Connery d’ailleurs… Mais en tout cas, je recommanderais à tous les Français de venir au festival, c’est sûr. »

« Cela dépend si vous êtes un ‘baťůžkář’ ou un touriste qui se balade en costume. Les ‘baťůžkáři’, typiquement, c’est nous, même si là précisément nous n’avons pas de sac à dos : nous avons nos pass, nous allons voir au moins trois films par jour, parfois nous faisons la queue, nous habitons au camping et pas au grand hôtel Pupp. J’ai entendu dire que c’était un peu plus cher là-bas… Mais ce qui est génial, ce sont les vélos qu’on peut louer gratuitement et se déplacer partout avec. »

Le vélo, c’est d’ailleurs une très bonne idée lorsque la fête permanente du festival devient trop fatigante et que l’on a envie respirer un peu…

Klínovec,  photo: Zdeňka Kuchyňová
Recommandées par ces cyclistes sexagénaires de Mladá Boleslav, les pistes cyclables qui longent la rivière Ohře ont récemment été rénovées et vous mènent vers de véritables bijoux, œuvres aussi bien de la nature que de l’homme. Les Monts métallifères, depuis peu candidats à une inscription sur la liste du patrimoine de l’UNESCO, sont en effet riches en lieux à visiter. Citons par exemple la charmante petite ville de Loket, dominée par son château fort gothique éponyme qui remonte au XIIIe siècle, ou le cloître des Prémontrés à Teplá (actuellement en travaux, mais à visiter dès la fin de cette année). Pour ceux qui ne craignent pas les ascensions parfois abruptes, c’est la ville de Boží Dar, située à une vingtaine de kilomètres de Karlovy Vary, qui se trouve le plus souvent sur leur itinéraire. Station de sports d’hiver, avec le point culminant de Klínovec (1 244 m), l’endroit se prête merveilleusement aux longues randonnées dans la nature, avec de nombreux sentiers éducatifs, par exemple celui des tourbières dans la zone protégée.

Sur le chemin du retour à Karlovy Vary, à mi-chemin environ, se trouve Jáchymov, une petite ville relativement peu connue des touristes, mais dont l’importance historique est sans égal, non seulement dans la région, mais dans tout le pays. C’est ce que nous a confié le photographe et documentariste Vladimír Vojíř :

La ville minière et thermale de Jáchymov,  photo: CzechTourism
« On a un peu oublié la ville minière et thermale de Jáchymov. Les gens l’associent le plus souvent aux mines d’uranium et aux camps de travail où étaient condamnés aux travaux forcés les prisonniers politiques dans les années cinquante. En réalité, c’est une ville avec une histoire passionnante, berceau de l’âge atomique, une ville tout à fait significative pour l’humanité. Au XIXe siècle, les mineurs ont découvert un minerai qu’ils ont appelé la « pechblende », ce qui veut dire « qui porte malheur ». C’est à partir de là qu’on a appris ensuite à extraire l’uranium. A la fin du XIXe siècle, Marie Curie Sklodowska a réussi à isoler, à partir des gisements de Jáchymov, un nouvel élément radioactif qu’elle a appellé le radium. Sa découverte lui a valu le prix Nobel de physique. Mais ce n’est pas tout : Jáchymov est plein de curiosités historiques. Par exemple, le nom de la monnaie ‘dollar’ vient aussi de Jáchymov. Au XVIe siècle, on battait dans les mines d’argent une monnaie appelée le ‘Joachimstaller’, ce qui veut dire ‘la monnaie de la vallée de Jáchymov’. Le nom a été raccourci à ‘taller’, ce qui a ensuite donné le ‘tolar’. C’était une monnaie très appréciée, qui s’est répandue dans le monde entier. »

Une fois notre soif de nature, d’histoire et de beaux paysages rassasiée, nous pouvons retourner dans le brouhaha du festival. Depuis, des places se sont peut-être libérées… Dans la queue, la jeune étudiante Jana Kostěncová croise les doigts :

Photo: Štěpánka Budková
« Nous voulons aller voir le film ‘P’tit quinquin’. On n’a pas encore les billets, mais on est déterminés à les obtenir, coûte que coûte. C’est une mini-série et il devrait y avoir de l’humour français, et c’est quelque chose que j’apprécie. »

Ainsi prend fin notre petite excursion, sac à dos, à Karlovy Vary et dans les Monts métallifères…

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