La Route de la bière dans les Monts des géants

Les Monts des géants, photo: Guillaume Narguet

Depuis six ans maintenant, une Route de la bière permet de profiter, au rythme de la marche, des plus beaux paysages du massif des Krkonoše – ou Monts des géants –, parc naturel situé dans le nord-est de la République tchèque, tout en goûtant la production artisanale de cinq à six microbrasseries. Reportage.

La microbrasserie de Trautenberk,  photo: Pivovar Trautenberk

Après un voyage de deux heures en voiture depuis Prague, nos deux jours de marche commencent dans le village de Horní Malá Úpa, là où se trouve la première des brasseries qui figurent sur la Route de la bière dans les Monts des Géants : la microbrasserie de Trautenberk, où le brasseur Vojtěch Kaprálek règne en maître :

Photo: Guillaume Narguet
« Nous sommes avant tout la plus grande de ces microbrasseries, ce qui signifie que le volume de bière que nous produisons annuellement ne dépasse pas les 10 000 hectolitres. Nous concernant, Trautenberk est juste en dessous de cette limite. Ce qui est intéressant aussi, c’est que nous sommes installés dans le village de Horní Malá Úpa, là où se trouvent les chalets dits frontaliers (Pomezní Boudy, en tchèque). Nous sommes à un peu plus de 1 000 mètres d’altitude, et c’est d’ici que part le Chemin de l’amitié tchéco-polonaise qui passe notamment par le sommet du mont Sněžka. C’est donc un des centres de la région des Krkonoše. Vous pouvez vous restaurer et passer la nuit à la brasserie, c’est donc un point de départ idéal pour faire la Route de la bière. »

Les Monts des géants,  photo: Guillaume Narguet
Comme conseillé, après un plat de joues de bœuf à la brasserie le soir, une dernière bière prise ensuite quelques centaines de mètres plus loin dans un chalet situé de l’autre côté de la frontière juste pour le plaisir d’entendre un peu de polonais, une nuit passée deux étages au-dessus de la brasserie et un réveil aux aurores histoire de profiter du lever du soleil (à 4h48 le 2 juillet dernier à Horní Malá Úpa), nous empruntons le sentier balisé rouge, aussi appelé le Chemin de l’amitié tchéco-polonaise, qui mène au sommet du mont Sněžka. Avec 1 603 mètres, Sněžka – que l’on pourrait traduire comme « La montagne enneigée » en français – est le point culminant de la République tchèque. Un mont Sněžka dont l’alpiniste français Jean-Pierre Frachon avait dit ceci lorsque nous avions croisé son chemin à Prague il y a quelques années de cela :

Le mont Sněžka,  photo: Guillaume Narguet
« J'y ai un peu retrouvé ma région, puisque je suis certes guide de haute montagne mais installé dans une région de moyenne montagne, en Auvergne, au cœur du Massif Central. J'ai trouvé une certaine ressemblance, à la fois parce qu'il y a des grands espaces, c'est vraiment un point culminant, c'est une région qui est très touristique, et j'ai compris que ce sommet était presque sacré pour les Tchèques. Ils sont parfois plusieurs milliers chaque jour à en atteindre le sommet. Donc le plus haut sommet tchèque a été réussi sans difficultés. »

Le sommet du mont Sněžka,  photo: Guillaume Narguet

Photo: Guillaume Narguet
Au sommet du mont Sněžka, à la mi-journée, touristes tchèques et polonais sont effectivement très nombreux, bien plus que lorsque nous y repasserons le soir par simple envie de profiter du lieu alors désert. Certains sont très essoufflés, comme Josef et Honza, et ce malgré les forces qu’ils, comme nous, ont prises précédemment chez Trautenberk. Cette brasserie, qui porte le nom d’un personnage d’une série de contes de fée dont l’action se passe dans les Krkonoše, a été ouverte en 2015. Bien que deux pommes de pin aient été choisies comme symbole de la brasserie, le fait que la bière soit produite en altitude ne fait pas d’elle une « bière de montagne » pour autant, comme s’en amuse Vojtěch Kaprálek :

« Bien sûr, il y a des bruits qui courent dans les environs, et notamment en Pologne voisine, selon lesquels nous brasserions notre bière avec des pommes ou des aiguilles de pin. Mais il n’y a rien de vrai là-dedans, nous utilisons les mêmes ingrédients que les autres brasseries ailleurs dans le pays. Les Tchèques sont très conservateurs et très attachés à leur lager, qu’elle soit de 10 ou de 12 degrés. L’offre de base de pratiquement chaque brasserie tchèque repose sur ces deux bières. Nous produisons aussi, comme la plupart des microbrasseries, diverses bières spéciales tout au long de l’année. La seule particularité, mais elle est importante, c’est l’eau de source qui coule ici. Elle est d’excellente qualité, nous l’utilisons sans le moindre traitement, et incontestablement elle apporte une valeur ajoutée. »

Luční Bouda,  photo: Guillaume Narguet
Après Trautenberk et Sněžka, notre prochain arrêt se trouve à Luční Bouda – littéralement « Chalet des prairies » en français. Pour y parvenir, nous continuons de suivre le Chemin de l’amitié tchéco-polonaise qui, d’abord, nous fait pénétrer sur le territoire polonais, avant de nous ramener en République tchèque. C’est dans ses environs que dissidents polonais et tchécoslovaques, parmi lesquels un certain Václav Havel, se sont rencontrés clandestinement à compter de la fin des années 1970. Depuis l’été 2018, ce sentier aussi appelé « La liberté aux frontières », permet de marcher sur les pas de ces dissidents et d’en apprendre davantage sur ce chapitre de l’histoire de la résistance au régime communiste (cf. : https://www.radio.cz/fr/rubrique/histoire/quand-les-dissidents-tchecoslovaques-et-polonais-se-rencontraient-dans-les-monts-des-geants).

La bière Paroháč,  photo: Guillaume Narguet
A Luční Bouda se trouve une autre microbrasserie, qui produit la bière Paroháč, mot qui désigne les bois des cerfs. Nous y déjeunons avant de reprendre notre route. L’après-midi nous fera encore nous arrêter à la brasserie de Pec pod Sněžkou, où est produite la bière Sněžka, puis remonter au sommet éponyme pour redescendre enfin, à la tombée de la nuit, jusqu’à Friesovy boudy – Les chalets des Fries. Avec une quarantaine de kilomètres dans les jambes depuis notre départ le matin, de petites crêpes accompagnées d’un coulis de myrtilles - arrosées de bière - nous attendent. Karel Polívka est le propriétaire de la brasserie, de l’hôtel et de la pension dans laquelle nous passons la nuit :

La bière Sněžka,  photo: Guillaume Narguet
« Quand nous avons commencé à envisager de construire la brasserie, nous avons d’abord pensé que ce serait la plus haute en République tchèque et même la seule dans les environs. Mais nous nous sommes rapidement rendu compte que ce n’était pas le cas. D’abord, il y a la brasserie qui se trouve à Luční Bouda à un peu plus de 1 400 mètres d’altitude, qui a été ouverte en 2012, soit un an avant nous, plus quelques autres encore dans les Krkonoše. J’ai d’abord pensé qu’il était dommage d’avoir une telle concurrence, puis je me suis dit qu’au lieu de nous faire la guéguerre, nous ferions mieux de nous associer pour faire en sorte que les visiteurs sachent que toutes ces microbrasseries existent et qu’ils peuvent se promener en buvant une bière dans une brasserie, puis continuer leur chemin pour en goûter une autre dans une autre brasserie. »

Les chalets des Fries,  photo: Guillaume Narguet

C’est lui, Karel Polívka, qui est à l’origine de la création de cette Route de la bière. Dans une région qu’il connaît sur le bout des ongles de ses pieds à force de randonnées, Karel Polívka explique avoir vite compris quels avantages lui et ses collègues avaient à tirer de la relative proximité de tous ces producteurs de bière au cœur de l’un des plus beaux parcs naturels de République tchèque.

Karel Polívka,  photo: Guillaume Narguet
« Le plus intéressant est l’emplacement de chacune de ces microbrasseries, car elles se trouvent dans des cadres exceptionnels. Pour ce qui est de la bière, on ne va pas se raconter d’histoires, il n’existe pas trente-six façons d’en brasser. Les ingrédients sont toujours les mêmes : du malt, du houblon et des levures. D’un point de vue touristique, l’avantage de ces microbrasseries est qu’elles sont à la fois proches et suffisamment éloignées les unes des autres. C’est précisément ce qui permet à ceux qui le souhaitent, de les visiter l’une après l’autre en prenant le temps de marcher. La bière que nous produisons ici aux chalets de Fries, est probablement la plus douce de toutes, contrairement par exemple à celle beaucoup plus amère de la brasserie Hendrych. »

La bière de Fries,  photo: Guillaume Narguet
Depuis la brasserie Trautenberk, en passant donc par celles de Paroháč, de Fries, de Pec pod Sněžkou - installée, elle, dans un chalet situé à deux pas de la station de télécabines qui permettent, elles aussi, d'accéder au sommet de Sněžka -, puis de Hendrych (qui ne peut toutefois être visitée) et de Krkonošský medvěd (L’ours des Monts des Géants) dans la commune de Vrchlabí, lieu d’arrivée le long de l’Elbe de notre périple le lendemain après-midi, la Route de la bière permet donc de découvrir une palette très variée de paysages et de goûts. Le tout dans un coin des Sudètes où l’histoire est aussi très présente comme le rappelle donc le Chemin de l’amitié tchéco-polonaise, ou encore le nom des chalets que Karel Polívka exploite désormais :

« La famille Fries vivait ici autrefois. Si l’on s’en tient aux archives, ils s’y sont installés au tournant des XVIe et XVIIe siècles. Comme l’indique leur nom, ils appartenaient à la minorité allemande. Les derniers membres de la famille à avoir vécu dans ces chalets ont été contraints de les quitter en juin 1945, peu après la fin de la guerre et dans le cadre de l’expulsion des Allemands des Sudètes de Tchécoslovaquie. Mais c’est au XVIIIe siècle qu’ils ont été ici les plus nombreux. »

La brasserie de Krkonošský medvěd,  photo: Guillaume Narguet

Les plus nombreux toutefois aujourd’hui dans les Krkonoše sont les touristes, qu’il s’agisse des skieurs l’hiver ou des amateurs de randonnée ou de VTT l’été. Si nous avons parcouru près de soixante kilomètres en l’espace de deux jours lors de notre reportage, il est toutefois possible de réduire la Route de la bière dans les Monts des géants à un peu moins de trente kilomètres, comme le conseillent d’ailleurs les deux itinéraires mentionnés sur le site www.krkonosskapivnistezka.cz. Une journée peut donc suffire. Mais si vous en avez le temps et le loisir, pourquoi se presser et pourquoi se priver du plaisir simple de la marche et de déguster, si le cœur nous en dit, une énième bonne bière entre amis ?

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