Un verre de bière ou de lait?

Mlíko, photo: Pilsner Urquell
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Depuis le temps qu’existe cette rubrique, nous avons déjà parlé de la bière – pivo, à maintes reprises. Nous avons ainsi évoqué la différence entre la desítka et la dvanáctka, autrement dit entre la bière de 10° et celle de 12°, ou encore par exemple expliqué comment commander une petite bière pour ne pas en recevoir automatiquement une grande dans les fameuses « hospoda » ; un mot et un phénomène de la culture traditionnelle populaire tchèque auxquels nous avions même consacré une émission complète. Et pourtant… Et pourtant nous n’avons pas encore tout dit sur cette « pivo » sans laquelle la République tchèque ne serait pas ce qu'elle est. Car il y a bière et bière, comme nous allons le découvrir…

Photo: Archives de Radio Prague
« Pivo dělá hezká těla » - « La bière fait de beaux corps », comme le veut le titre de la chanson du groupe Alkehol et comme disent parfois eux-mêmes les Tchèques, le plus souvent ceux qui possèdent un « pivní pupek », littéralement un « nombril de bière », autrement dit ceux qui ont de l’embonpoint, de la bedaine, du bide, du bidon, du bedon, de la brioche, de la panse, bref un ventre tout beau tout rond grâce à la bière. Sa consommation, pour peu que celle-ci soit en quantité suffisamment abondante, ferait donc de beaux corps… Mouaih… Si tous les enfants (et plus encore leurs "menteurs" de parents) savent bien que manger de la soupe, ça fait grandir, on pourrait plutôt penser que boire du lait, par exemple, permet d’avoir de beaux athlètes. Pourquoi le lait précisément ? Et pourquoi pas? En fait, simplement parce que... nous l’avions évoqué dans notre dernière émission (une raison suffisante, non?). Nous avions en effet cité les mots « polévka » - soupe, et « mléko » - lait, deux mots qui se transforment en « polívka » et « mlíko » dans le langage populaire ou familier, du moins en Bohême. Or, on trouve trace également de ce mot « mlíko » dans un autre contexte, celui de la bière et de l’ « hospoda », à savoir ces brasseries - bistrots que l’on trouve en République tchèque et dans lesquels est essentiellement servie de la bière.

Mlíko,  photo: Pilsner Urquell
Ce mot « mlíko » désigne donc une certaine façon de tirer une bière. Si vous commandez une « mlíko » dans une brasserie, le serveur, ou le garçon de café si vous préférez, appelé « hospodský », est censé vous ramener un « půllitr » (le mot qui désigne le verre de bière et qui, traduit littéralement, signifie « demi-litre ») dans lequel il n’y aura que de la mousse. Tirée en une seule fois en ouvrant seulement à moitié le robinet, cette mousse se doit d’être la plus épaisse et la plus crémeuse possible. Le « půllitr »étant ainsi rempli uniquement de cette mousse blanche, ce type de bière est presque logiquement désigné sous le nom de « mlíko »… lait. Vous venez donc d’apprendre qu’il est possible de boire un grand verre de lait en buvant de la bière, ou plus précisément un verre de mousse de bière. Nous ne vous conseillons cependant pas d’essayer au petit-déjeuner. Quoique… chacun ses goûts et ses habitudes, après tout. Quoiqu’il en soit, les amateurs de « mlíko » affirment qu’il convient de boire le verre le plus rapidement possible et qu’il s’agit là d’une boisson très rafraîchissante.

Hladinka,  photo: Budka
A l’opposé de la « mlíko », il existe également ce qui est appelé « hladinka », un mot difficilement traduisible mais qui est un diminutif de « hladina » - surface, dans le sens d’étendue plane. Pour ce type de commande, la bière est d’abord tirée lentement puis plus rapidement le long de la paroi du verre. Il convient d’arrêter d’un seul coup et de laisser la mousse remonter. Celle-ci ne sera cependant pas très importante, seulement quelques centimètres, et si la bière a été tirée dans les règles de l’art, chacune des gorgées du « půllitr » doit ensuite laisser des traces de mousse en forme de cerceaux ou d’anneaux à l’intérieur du verre. Il s’agit en sorte de la façon la plus classique de tirer une bière.

Čochtan,  photo: Pilsner Urquell
En revanche, si vous ne souhaitez aucune mousse, un peu comme dans les pubs britanniques, il vous faut commander une « čochtan », un mot dont nous sommes cette fois tout à fait incapables de vous donner un équivalent. Sachez néanmoins que, normalement, ce type de bière devrait également être tiré en une seule fois. Attention, il ne s’agit donc pas d’attendre que la mousse disparaisse et que la bière s’évente avant de l’apporter à la table d'un client.

Mentionnons encore la « šnyt », un mot certes bien joli à l’oreille mais pour lequel nous n’avons pas non plus d’équivalent en français. Dans le cas présent, le garçon chargé de la pompe vous servira une bière toujours tirée en une seule fois mais avec beaucoup de mousse. Il ne s’agit nullement d’une « mlíko », simplement il y a dans une « šnyt » plus de mousse que dans une « hladinka ». Un peu comme si le tirage de la bière avait été mal maîtrisé, mais qui constitue sans doute la meilleure façon de déguster une bière, surtout lorsque l’on goûte celle-ci pour la première fois.

Šnyt,  photo: Pilsner Urquell
Attention, une « šnyt » n’est pas non plus ce que les Tchèques appellent un « podmírák », un substantif qui littéralement signifie « sous la mesure » - « pod mírou », et qui n’est rien de plus qu’un bon moyen d’arnaquer le client. Un moyen qui, notez-le bien, est d’ailleurs relativement fréquent dans les brasseries tchèques. Dans ce cas-là, il ne faut alors pas hésiter à réclamer au garçon qu’il vous serve une autre bière, ce que les serveurs tchèques, dont beaucoup n’ont pas un sens très développé de l’amabilité, n’apprécient généralement guère. Mais c’est là une autre histoire qui fait partie du folklore local…

Enfin, évoquons encore le mot « nadvakrát », littéralement « en deux fois », où, comme le nom l’indique, il s’agit de tirer une bière en deux fois. A l’arrivée, le second tirage, après avoir laissé reposer la bière quelques secondes, sans qu’elle s’évente, permet d’obtenir une mousse qui prend un peu la forme d’un bonnet, comme la désignent d’ailleurs les Tchèques avec le mot « čepice ». En français, on parlerait peut-être de « faux col », ce qui désigne la mousse à la surface d’un verre de bière.

Photo: Archives de Radio Prague
C’est donc avec la commande d’une « bière avec faux col », une technique que les Tchèques appellent, eux, « čepování s čepicí », littéralement quelque chose comme « tirage avec un bonnet », que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue », qui vous a proposé une plongée, et pas seulement de votre langue, dans la bière avec ou sans mousse. On se retrouve « comme d’habitude » – « jako vždy », dans quinze jours. D’ici-là, portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj !