Les diminutifs, quelle plaie? Oui et non (2e partie)

Photo: Barbora Kmentová

Parce que cela était prévu, mais aussi parce que vous avez été relativement nombreux ces dernières semaines à réagir à la première rubrique sur le sujet, nous allons revenir à l’étude de l’emploi par les Tchèques des diminutifs – zdrobněliny. A cela une raison : depuis quelques années, l’usage des diminutifs est devenu une sorte de mode ou plutôt une manie, presque un tic, en tous les cas bien souvent une habitude pour le moins bizarre et que d’autres Tchèques, ceux qui parlent « normalement », n’hésitent pas à critiquer. Cependant, il ne s’agit pas toujours non plus d’une mauvaise habitude…

Photo: Barbora Kmentová
Nemám rád trpaslíky a ty jejich zvyky. Nemám rád všechno, co z nich dělá trpaslíky, Ty jejich malý ručičky, Ty jejich malý hlavičky, Ty jejich malý srdíčka, Ty jejich malý dušičky. Veliký Bože! Proč jsou tak strašně maličký?

« Je n’aime pas les nains et leurs habitudes. Je n’aime rien de ce qui fait d’eux des nains, leurs petites mains, leurs petites têtes, leurs petits cœurs, leurs petites âmes. Grand Dieu ! Pourquoi sont-ils si affreusement petits ? »

Commençons avec la chanson du groupe Traband (ne pas confondre avec les non moins célèbres anciennes voitures allemandes Trabant) intitulée « Nemám rád trpaslíky » - « Je n’aime pas les nains ». Une chanson toute en diminutifs très intéressante, car il ne s’agit pas de l’expression de mauvais sentiments envers les nains, même si le premier couplet pourrait nous faire penser le contraire. En fait, cette chanson, comme nous le confirme le second couplet, exprime plutôt un ras-le-bol précisément de l’emploi des diminutifs :

Nemám rád trpaslíky a ty jejich zvyky. Nemám rád všechno, co z nich dělá trpaslíky. Jak pijou ty svý pivíčka, Jak žerou ty svý knedlíčky, Jak vedou ty svý řečičky, Jak mluvěj ty svý pravdičky. Veliký Bože! Proč jsou tak strašně maličký?

« Je n’aime pas les nains et leurs habitudes. Je n’aime rien de ce qui fait d’eux des nains. Comme ils boivent leurs petites bières, comme ils bouffent leurs petits knedlíky, comme ils prononcent leurs petites paroles, comme ils expriment leurs petites vérités. Grand Dieu ! Pourquoi sont-ils si affreusement petits ? »

Dans cette chanson, les gens abusant des diminutifs sont donc comparés à des nains, un peu comme dans de nombreuses langues qui, souvent et depuis tout temps, associent des concepts négatifs au mot « nain ».

Photo: Štěpánka Budková
Dans notre émission précédente, nous avions expliqué que l’emploi des diminutifs pouvait être utile sémantiquement. Cela peut servir notamment à exprimer un sentiment positif par rapport à quelque chose, et c’est d’ailleurs le plus souvent le cas, comme lorsque l’on parle par exemple d’une petite bière – pivko ou pivečko, ou d’un petit café – kafíčko. Mais aussi parfois un sentiment négatif : ainsi, si on entend dire d’une dame – dáma, que c’est une « dámička », ne vous y méprenez pas, car cela n’a pas la même connotation que la « ma petite dame » qui est évoquée parfois en français, par exemple par les commerçants. Il s’agira plutôt d’une « petite dame » aux manières hautaines, qui prend des grands airs alors qu’il n’y a pas lieu, une dame qui fait des manières, des chichis, des complications. Notez que cela vaut aussi pour les hommes avec le mot « frajírek », diminutif de « frajer ». Là où un « frajer », mot d’argot, est un homme dont on apprécie un acte, un « as » en quelque sorte, un « frajírek » sera, lui, quelqu’un de prétentieux, un type – týpek, qui se fait plus fort ou meilleur qu’il ne l’est en réalité, qui fait le malin ou cherche à se mettre en valeur, bref un crâneur, un frimeur.

Photo: Kristýna Maková
Ce qu’il est également important de remarquer, c’est que certains diminutifs ont pris un autre sens, un sens secondaire que celui que possèdent les mots dont ils sont issus. Par exemple un « páníček », littéralement « petit monsieur » ne sera pas un homme de petite taille, ni même l’équivalent masculin de la « petite dame » hautaine, mais le propriétaire, le maître d’un chien. De même, un « lístek », diminutif de « list », n’est pas une « petite feuille » mais un billet, un ticket, que ce soit de théâtre, de cinéma ou encore d’un événement sportif, peu importe. Pour ces mots, et il y en a bien d’autres encore, on oublie même qu’il s’agit de diminutifs tant ils sont passés dans le langage courant.

Photo: Štěpánka Budková
Dernier exemple amusant : l’œuf. La poule pond bien un œuf – vejce, mais lorsqu’un Tchèque mange un œuf dur, c’est d’un « vajíčko natvrdo » dont il est question, littéralement « petit œuf dur ». Pourtant, même en durcissant à la cuisson, l’œuf en question n’a pas perdu en volume. Mais ainsi le veut l’usage, comme pour les « œufs de Pâques ». Les Tchèques peignent des « velikonoční vajíčka », comme le veut la tradition, mais lorsqu’ils achètent ce qui peut être comparé à des « œufs à la russe », ce sont le plus souvent des « obložená vejce », littéralement « œufs garnis » qu’ils demandent aux vendeuses. Toutefois, notez bien que cela ne vaut que pour les œufs de poule, car un œuf d’autruche – pštrosí vejce, ne sera jamais un « vajíčko » et un œuf de caille – křepelčí vajíčko, ne sera, lui, jamais un « vejce ». Par contre, libre donc à chacun de choisir pour l’œuf ou le petit œuf de poule…

Il y aurait sans aucun doute encore beaucoup de choses à dire sur l’emploi des diminutifs dans la langue tchèque. Et si nous étions Radio Slovaquie, cela serait même encore plus intéressant, car le slovaque, qui en raffole, offre encore plus de possibilités de diminutifs que le tchèque. Néanmoins, même si cela reste forcément quelque peu incomplet, nous avons à peu près fait le tour de la question. On se retrouve dans quinze jours pour d’autres découvertes des particularités de la langue tchèque. En attendant ahojky, čauky, nazdárek, portez-vous du mieux possible quand même - mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj !