Le « coronatchèque »

Photo illustrative: ČTK/Luděk Peřina
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Salut à tous les tchécophiles de Radio Prague ! Comme promis dans notre émission précédente, nous allons poursuivre notre passage en revue de quelques-uns des néologismes apparus ces derniers temps dans la langue tchèque en raison de la crise du coronavirus.

Photo illustrative: ČTK/Luděk Peřina
A plusieurs reprises cette semaine dans nos émissions, nous avons évoqué le phénomème actuel de réappropritation de Prague par les Tchèques, ceux-ci profitant à la fois du processus de déconfinement et de l’absence des touristes étrangers, puisque les frontières restent encore très largement imperméables. Aux alentours du pont Charles, de la place de la Vieille-Ville ou de la place Venceslas, et en attendant la réouverture du Château de Prague ce lundi, ce phénomène s’en accompagne d’un autre tout aussi étonnant : celui que les propriétaires d’hôtels et de restaurants ont eux-mémes appellé « koronaceny » - les « prix corona ». Il s’agit là d’une politique de prix (très) réduits par rapport au niveau qui était le leur avant la crise du coronavirus, lorsque ce sont des foules de touristes venus du monde entier qui battaient le pavé pragois.

Il est ainsi tout à fait possible en ce moment de boire une bière ou de déguster une glace ou un goulasch, y compris au pied du pont Charles ou de l’horloge astronomique, ou même de passer une nuit dans des établissements qui ne sont habituellement plus que fréquentés par les touristes à des « prix tchèques » - comprenez à des prix qui, en temps normal, sont pratiqués essentiellement en dehors des grands axes touristiques du centre historique. „Zavřené hranice? Praha zacílí na české turisty. V centru už frčí „koronaceny““, titrait ainsi par exemple, dès la fin avril, avant même la réouverture des terrasses des bars et restaurants, le site Deník.cz, soit quelque chose comme « Frontières fermées ? Prague vise les touristes tchèques. Dans le centre, les ‘prix corona’ sont à la mode ». Dans certains endroits, les tarifs pratiqués ont ainsi parfois été divisés par trois ou par quatre...

Bien évidemment, nombre de ces néologismes ont pour racine « korona ». Sur le dictonnaire en ligne Čeština 2.0. – « Le tchèque 2.0. », on a ainsi vu apparaître un mot comme « Koronožrout » - littéralement « un bouffeur (ou gobeur) de corona » - pour désigner une personne apeurée qui accepte toutes les mesures de restriction prises par le gouvernement sans les critiquer. Son équivalent est « covidožrout », un même mot-valise composé cette fois de « covid » bien entendu pour la Covid-19 et de « žrout » pour « bouffeur » ou « gobeur ».

Et ici, puisque Michel Piccoli est décédé cette semaine, mentionnons que le film « La grande bouffe » s’intitule en tchèque « Velká žranice », une précision qui nous permet de constater la ressemblance entre « žrout » et « žranice » et leur rapport avec le verbe « žrát ». Un verbe dont l’usage est particulièrement intéressant pour nous, tchécophiles, car si un de ses multiples sens, qui appartient à l’argot, est donc bien de « bouffer et se goinfrer », de facto comme des porcs et comme dans le film culte si controversé à sa sortie au début des années 1970, son sens premier est en revanche « manger », mais il s’applique alors uniquement pour les animaux. Pour les humains, c’est le verbe « jíst » qu’il faut utiliser pour « manger », sauf si bien entendu on préfère le faire avec avidité, autrement dit « se bâfrer » ou « s’empiffrer ».

Autre néologisme « coronavirusien » apparu ces dernières semaines et lié à une pratique extrémiste : le mot « koronácek » - « un nazi du corona » (si, si) – pour quelqu’un d’extrême qui refuse de parler d’autre chose que du coronavirus. Comme d’autres domaines d’activité, la culture a beaucoup souffert ces trois derniers mois, et c’est ainsi que l’on a vu fleurir par exemple des « koroncerty » - des « concerts corona » - pour les concerts proposés en ligne au public.

Nous l’avons déjà dit et répété à maintes reprises dans cette rubrique : les Tchèques sont très friands des diminutifs – zdrobněliny. Rien d’étonnant donc qu’ils en inventent un – et même deux – pour un coronavirus qui est ainsi devenu « koronáč » ou « koroňák » dans le langage populaire. Et celui ou celle qui a été contaminé par la Covid-19, aussi « affectueusement » appelée « kovídek » - littérallement « la petite covid » - peut-être désigné comme un « koviďák ».

Bref, une authentique « koronahysterie » - une « hystérie corona ». Et si on savait ce qu’était une « peur bleue », voici qu’il existe désormais également le « koronastrach » - la « peur korona »...

'Rouškomat',  photo: Barbora Němcová
Heureusement, les « roušky » - les « masques » - (le mot de l’année en décembre prochain, on lance les paris ?) sont là pour nous sauver. Des masques qui ont été cousus par des « roušičky », un néologisme qui, à l’oreille et même dans sa forme écrite, n’est pas sans nous rappeler les « zlaté ručičky » - « les petites mains dorées » que nous avions évoquées dernièrement. Un port du masque qui a été très respecté par les Tchèques, parfois là aussi jusqu’à l’extrême et à la dénonciation pour son non-respect, ce qui fait que des mots (moins drôles) comme « rouškomando » - « commanda du masque » - ou « roušteroristi » - « terroristes du masque » - sont apparus eux aussi...

Mais nous l’avons dit, ces néologismes, plus ou moins usités, se comptent par centaines, et notre idée ne pourrait être de tous les recenser. Nous nous quittons donc avec ces « terroristes aux mains dorées ». Que ceux-ci ne vous empêchent pas de vous porter du mieux possible– mějte se co nejlíp!, de porter le soleil en vous – slunce v duši, salut et à bientôt – zatím ahoj !