Je m’en tousse

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La fin de l’hiver et l’arrivée du printemps sont une période de l’année pendant laquelle certains d’entre nous sont parfois fatigués, un peu malades, souffrants, voire victimes de ce que l’on peut appeler une petite dépression passagère, saisonnière. Généralement rien de bien grave, et ce d’autant moins que cela est pour nous l’occasion de nous intéresser à quelques expressions de la langue tchèque à ranger dans un dictionnaire qui pourrait être qualifié de psychosomatique, autrement dit des expressions se rattachant à la fois au corps et à l’esprit.

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« Ať jdu sama nebo v davu, mám tě pořád plnou hlavu, mám tě pořád plnou hlavu, což už možná víš » - « Que j’aille seule ou dans la foule, je t’ai toujours plein la tête, je t’ai toujours plein la tête, ce que tu sais peut-être » : telles sont, traduites littéralement, les paroles du premier couplet de la chanson intitulée « Já se vznáším » - « Je plane », interprétée par Hana Zagorová. Bien entendu amoureuse, celle-ci affirme donc « mám tě pořád plnou hlavu », autrement dit qu’elle a la tête pleine de l’homme qu’elle aime. Mais l’expression « mít něčeho plnou hlavu » - « avoir la tête pleine de quelque chose », peut être employée dans un autre contexte. Ainsi, si nous souffrons de maux de tête, c’est peut-être parce que nous avons « la tête pleine de soucis » - « mít hlavu plnou starostí ». Il peut également s’agir d’autres préoccupations troublant notre tranquillité d’esprit, et ce sans qu’elles constituent nécessairement un motif d’inquiétude.

Par curiosité, nous nous sommes donc amusés à entrer l’expression « mít plnou hlavu » dans Google et nous sommes tombés sur certains titres de presse comme « František Janeček narozeniny neslaví, má plnou hlavu muzikálu », soit « František Janeček (qui est un producteur) ne fête pas son anniversaire, il a la tête pleine de [sa] comédie musicale ». On suppose qu’il s’agissait là de la dernière comédie musicale que le František Janeček en question était en train de produire. Autre titre de presse trouvé, dans le domaine du sport cette fois : « Reprezentace? Teď mám plnou hlavu Sparty, říká trenér Lavička », soit « L’équipe nationale ? Pour l’instant j’ai la tête pleine du Sparta, dit l’entraîneur Lavička ». Ici, Vítězslav Lavička, qui est l’entraîneur de l’équipe de foot du Sparta Prague, répondait à une question d’un journaliste qui lui demandait s’il était prêt à devenir le sélectionneur de l’équipe nationale. Et celui-ci expliquait donc que ce n’était pas une éventualité à laquelle il réfléchissait, car toutes ses pensées étaient tournées vers le Sparta. Autrement dit, dans les deux exemples cités, le premier ne fête pas son anniversaire et le second n’envisage pas d’entraîner l’équipe nationale, car l’esprit de l’un comme de l’autre est occupé par d’autres pensées, dans les cas présents une comédie musicale et une équipe de foot.

On le constate, « avoir la tête pleine de » en tchèque n’équivaut donc pas à « en avoir plein la tête » en français, qui signifie ici « en avoir assez de quelque chose » ou « être excédé de ou par quelque chose ». Les Tchèques, eux, lorsqu’ils en ont marre, de quelque chose ou de quelqu’un, lorsqu’ils « en ont assez » - « mít toho dost », disent plutôt qu’ils « en ont plein les dents » - « mít něčeho (někoho) plné zuby » ou qu’ils « en ont jusqu’au cou » - « mít toho až po krk », un peu comme les Français « en ont plein le dos », « plein les bottes », voire même, certains disent-ils même plus souvent, « plein le c.. ».

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Bon, mais quelle que soit la partie de notre corps qui soit pleine, on trouve quand même avec l’adjectif « plein » - « plné », le sens de « entièrement occupé » en français comme en tchèque. Par exemple, si l’on dit d’un romancier qu’il est « plein de son sujet », cela veut dire qu’il est exclusivement préoccupé du sujet de son livre. En tchèque, on dirait alors que l’écrivain en question « a la tête pleine de son sujet » - « má plnou hlavu svého námětu ».

On revient ainsi en quelque sorte au sens que nous avons initialement évoqué : « avoir la tête pleine de quelque chose, pleine de quelqu’un ». On retrouve cette expression aussi dans le tube de Dalibor Janda intitulé « Žít jako kaskadér » - « Vivre comme un cascadeur ». Et comme Hana Zagorová qui planait au début de cette rubrique, notre ami Dalibor chante lui aussi « mám tě plnou hlavu, plný byt », soit littéralement « je t’ai plein la tête, plein mon appartement ». On constate donc que pour les Tchèques, « avoir la tête pleine de quelque chose » n’équivaut pas nécessairement à un mal de crâne, mais parfois aussi à un mal au cœur…

Maux de tête ou mal au cœur, c’est parfois du pareil au même, kif-kif bourricot en quelque sorte. Néanmoins, pour ce qui est des douleurs au cœur, retenons l’expression selon laquelle littéralement « quelque chose gît sur le cœur » des Tchèques. Ainsi, si vous entendez l’un deux affirmer « leží mi to na srdci », cela signifie que la chose en question « lui tient à cœur », qu’il lui attache une grande importance. Et on peut ici sans doute supposer que l’affaire en question lui tient parfois tellement à cœur qu’il « en a la tête pleine » jusqu’à « en avoir plein la tête »…

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Bon, trêve de plaisanterie, lorsque l’on en a que ce soit plein la tête, plein les dents, plein le dos ou jusqu’au cou, mieux vaut alors parfois « laisser tomber », s’en moquer ou s’en foutre. Les Tchèques, eux, préfèrent « tousser » - « kašlat », comme dans la chanson de Michal David intitulée « Čím to, že tak kašlu » - « Comment se fait-il que je tousse autant »…

Dans celle-ci, le chanteur se demande donc pourquoi il tousse tant – « čím je to, že tak kašlu », en se doutant que cela est la faute de la nicotine et du fait qu’il fume. Conscient du mauvais côté de la chose, il décide donc « já kašlu na to kouření », ce qui ne signifie pas qu’il décide de « tousser » sur le tabac comme on pourrait le traduire littéralement, mais plutôt qu’il « laisse tomber le tabac » et arrête donc de fumer. Bref, « il tousse » en quelque sorte sur le tabac précisément pour mieux arrêter de tousser dans le sens premier du terme, à savoir se racler la gorge.

On l’aura ainsi compris, lorsqu’un Tchèque affirme qu’il « kašle na něco », cela veut donc dire qu’il se fout de la chose en question, qu’il s’en désintéresse, bref tout le contraire que lorsqu’il « en a la tête pleine »…

On ne pouvait rêver meilleure conclusion. Pour nous aussi, le moment est venu de « nous en tousser ». On se retrouve donc dans quinze jours… D’ici-là, portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj !