Jan Hus ne voulait pas de knedlík

Knedlíky, photo: Štěpánka Budková
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La cuisine tchèque, ou plus précisément les noms de certaines de ses composantes, voilà ce à quoi nous allons nous intéresser pour cette fois. Nous allons ainsi découvrir l’origine de quelques mots sans lesquels la cuisine tchèque ne serait pas ce qu’elle est.

Štrúdl,  photo: Štěpánka Budková
Les recettes voyagent dans le monde et avec elles les noms et les appellations de certains plats. Cela vaut pour toutes les cuisines du monde, et la gastronomie tchèque, dans laquelle on trouve de la džem (prononcez « djem ») – confiture, du pudink– flan, du biftek- beefsteak, de la pyré– purée, du filé– filet, du ragú– ragoût, štrúdl– strudel, et autres špagety– spaghettis, ne fait pas exception à cette règle. Mais cela n’est bien entendu pas vrai pour tout. Nous allons en avoir la confirmation à travers quelques exemples.

Polévka,  photo: Archives de Radio Prague
Commençons avec ce sans quoi beaucoup de Tchèques ne peuvent imaginer un repas, été comme hiver : la soupe ou un potage – polévka, un mot qui, dans le langage familier ou populaire, du moins en Bohême, devient d’ailleurs plutôt « polívka ». Il s’agit là d’une entorse aux bons usages de la langue littéraire assez fréquente en tchèque qui vaut aussi par exemple pour le mot « lait » - « mléko » qui se transforme ainsi en « mlíko ». Mais ce mot « polévka » est pour nous intéressant d’abord d’un point de vue étymologique. En effet, son origine est à relier au verbe « polévat » qui signifie « arroser ». Comme en France avec la soupe, la « polévka » désignait au Moyen-âge le liquide chaud avec lequel on arrosait la nourriture qui se trouvait dans un plat, le plus souvent une tranche ou des morceaux de pain qui étaient posés au fond d’une assiette, le pain dominant alors l’alimentation des gens. Ce liquide chaud était un bouillon de légumes, du lait, du jus de viande, voire une sauce.

Česnečka,  photo: Barbora Kmentová
On retrouve d’ailleurs cette idée « d’arrosage », de « trempage » ou de « mouillage » dans l’appellation même de ce qui est devenu depuis la soupe à l’ail – česnečka, qui s’appelait autrefois « oukrop ». Il s’agissait alors de verser de l’eau bouillante sur des morceaux de pain dur avec de l’ail préalablement broyé. Or, le mot « oukrop » tire son origine du verbe « kropit », qui veut dire « arroser », « asperger », « mouiller ». Bref, il s’agit là de ce qui peut être considéré comme une véritable soupe traditionnelle.

A noter que la langue tchèque ne fait pas vraiment de distinction entre une soupe et un potage, le même mot « polévka » servant à désigner les deux choses. En français en revanche, le potage, qui indique des légumes « cuits dans un pot », est considéré comme plus noble que la soupe, notamment parce que les aliments sont passés et que sa texture est veloutée. Et c’est vrai que très peu de soupes tchèques, notamment celles de légumes, sont passées ou mixées et gardent plutôt l’apparence d’un bouillon. Là encore, il est intéressant de préciser que la langue tchèque possède deux mots pour désigner un bouillon : un premier emprunté au français avec « bujón » (que l’on prononcera cependant « bouillone ») et un second plus tchèque « vývar », qui est un équivalent très fidèle du français « bouillon » puisqu’il provient du verbe « vyvařit », qui signifie « faire bouillir » ou « réduire » par ébullition.

Svíčková,  photo: Štěpánka Budková
Il est amusant de constater qu’il en est pratiquement de même pour l’origine du mot tchèque désignant une « sauce » - « omáčka ». Même si on dira plutôt qu’elle l’accompagne pour mettre en valeur, on peut en effet considérer qu’une sauce sert aussi à « mouiller » un autre aliment plus sec, ce qui correspond alors en tchèque au verbe « zmáčet », qui peut également signifier « tremper ». On remarquera ici que le substantif « omáčka » et le verbe « zmáčet » possèdent ici aussi la même racine, ce qui nous explique donc l’étymologie de la « sauce tchèque ». Il n’est d’ailleurs pas inutile de remarquer que les sauces constituent une des spécialités de la cuisine tchèque et que ces « omáčky », souvent préparées à base de crème, de beurre et de farine, constituent même l’essentiel de certains plats, comme par exemple bien entendu le goulasch ou encore la « svíčková » nationale, du filet de bœuf qui « nage » littéralement dans une sauce à la crème et aux légumes.

Knedlíky,  photo: Štěpánka Budková
C’est ainsi qu’on en arrive à l’utilité d’une autre spécialité de la cuisine tchèque : le « knedlík », la fameuse « quenelle » ou boule de pâte qu’on ne présente plus. Toutefois, même si le « knedlík » est considéré comme une composante typique de la gastronomie locale, il convient de rappeler qu’il s’agit d’un mot d’origine germanique, bien entendu parce que les Allemands, notamment les Bavarois, et les Autrichiens, sont également consommateurs de « knödel ». Jan Hus, célèbre réformateur de la fin du XIVe et du début du XVe siècle dont les Tchèques ont fait un héros national face à l’oppression catholique et allemande, refusait déjà d’utiliser cette appellation de « knedlík » et recommandait de parler de « šiška », un mot qui est employé aujourd’hui encore en Moravie et qui fait référence à la forme ovale du « knedlík » avant que celui-ci ne soit coupé en tranches, soit celle d’un pain long, voire d’un cône ou d’une pomme de pin.

Ce mot « šiška », nous pourrions également nous en servir pour désigner une ficelle de pain avec sa forme fine et allongée. En revanche, malgré leur forme similaire, cet emploi de « šiška » ne serait pas possible pour les spaghettis, que les Tchèques appellent « špagety » (prononcez « chpagety »). Cette « tchéquisation » des spaghettis avec l’ajout de cette lettre « š » (prononcez « ch ») est intéressante, car ainsi le mot « špagety » se rapporte directement au mot « špagát », très proche de l’italien « spago », un diminutif de « spaghetto » qui signifie… « ficelle ».

C’est sur cette constatation qui pourrait presque nous faire dire (en exagérant un peu) que le « knedlík » et les « špagety » sont finalement plus ou moins la moins chose, ne serait-ce qu’étymologiquement ou de par leur forme, que s’achève ce « Tchèque du bout de la langue ». On se retrouve dans quinze jours pour d’autres « futilités » de ce genre. D’ici-là, portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp !, portez donc le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj !