Le sport tchèque de 1918 à 2018, un siècle de souvenirs

Bedřich Šupčík

Le 28 septembre dernier, jour de fête nationale et de l’Etat tchèque, une soirée gala s’est tenue à Prague pour célébrer un siècle de sport tchèque et tchécoslovaque. Emil Zátopek, Věra Čáslavská, Martina Navrátilová, Jan Železný, hockeyeurs, footballeurs et bien d’autres encore : tous ont été mis à l’honneur à cette occasion.

Bedřich Šupčík | Photo: Barbora Němcová,  Radio Prague Int.
Son nom ne vous dit probablement pas grand-chose. C’est pourtant lui, Bedřich Šupčík, qui a été le premier champion olympique tchèque et même tchécoslovaque de l’histoire. Aux Jeux de Paris en 1924, cet ancien combattant de la Première Guerre mondiale, né dans une famille tchèque à Vienne en Autriche, a remporté, à la simple force de ses bras, l’épreuve du grimper de corde, une discipline de gymnastique restée inscrite au programme olympique de 1896 jusqu’en 1932. C’est aussi ce titre qui a été le premier mis à l’honneur lors de la cérémonie organisée récemment à Prague.

Depuis donc Bedřich Šupčík jusqu’au double sacre olympique à Pyeongchang en février dernier d’Ester Ledecká, première athlète, hommes et femmes confondus, à remporter la médaille d'or dans les mêmes Jeux d'hiver dans deux disciplines nécessitant des équipements différents, le Super-G en ski alpin et le géant parallèle en snowboard, les onze moments les plus marquants de l’histoire du sport tchèque, à raison d’un moment par décennie passée depuis la fondation de la Tchécoslovaquie en 1918, ont été élus à l’issue d’une grande enquête à laquelle ont participé les spectateurs de la Télévision tchèque, mais aussi fédérations sportives, journalistes, organisateurs de compétitions et bien entendu sportifs eux-mêmes. Le choix n’a pas été simple, comme l’a reconnu Dominik Hašek, gardien héros de l’équipe de République tchèque de hockey sur glace sacrée championne olympique aux Jeux de Nagano en 1998 :

Emil Zátopek,  photo: Archives de Suomen Urheilumuseo
« C’est difficile… Tellement difficile ! Mais s’il faut vraiment en choisir un, alors je dirais Emil Zátopek malgré tout. Quand j’étais petit, mon père me parlait souvent de lui et de ses exploits. C’était une autre époque, il n’y avait pas la télévision et Internet comme aujourd’hui, et ses histoires m’ont marqué. C’est un beau souvenir. Et puis quand je courais moi, tout le monde me disait que j’étais comme Zátopek. »

Comment pouvait-il en être autrement ? Le coureur triple médaillé d’or des Jeux d’Helsinki (5 000 m, 10 000 m et marathon) et multiple recordman du monde a bien entendu été retenu pour les années 1950.

Avant Zátopek, la première équipe d’un sport collectif récompensée a été la Československá Reprezentace finaliste malheureuse de la Coupe du monde de football en 1934 contre l’Italie.

A Rome, la sélection tchécoslovaque, qui disputera une autre finale au Chili en 1962, s’était inclinée sous les yeux de Mussolini et d’un public fanatique, au terme d’un match d’une rare violence et d’une épreuve que seule l’Italie fasciste pouvait raisonnablement remporter. Professeur d’histoire à l’Université de Corse, spécialiste du football dans le Bassin méditerranéen, Didier Rey avait rappelé les circonstances de cette défaite sur l’antenne de Radio Prague il y a quelques années de cela :

La première équipe d’un sport collectif récompensée a été la Československá Reprezentace finaliste malheureuse de la Coupe du monde de football en 1934 contre l’Italie,  photo: ČT
« La victoire n’a été obtenue qu’après la prolongation. Ce sont d’abord les Tchécoslovaques qui ont mené au score durant une partie de la rencontre, les Italiens n’égalisant qu’in extremis avant de finir par s’imposer avec un jeu très brutal et surtout un arbitre qui ferme les yeux sur des actions vraiment très litigieuses des Italiens. »

Bien que malheureuse, cette participation des footballeurs à la finale du Mondial de la honte a été préférée à la médaille d’or remportée deux ans plus tard par le gymnaste Alois Hudec aux anneaux lors des Jeux de Berlin en 1936, autre grande compétition des années 1930 organisée à la gloire d’un dictateur. Un authentique exploit pour un sportif d’une race slave considérée comme inférieure par le régime nazi, comme en témoignent aujourd’hui encore les images du légendaire film documentaire – pourtant de propagande - Les Dieux du stade réalisé par Leni Riefenstahl.

La décennie suivante 1939-1948 est marquée par la Deuxième Guerre mondiale. Mais la paix retrouvée, dès 1947 et 1948, les hockeyeurs tchécoslovaques au destin plus tard tragique pour nombre d’entre eux (cf. : https://www.radio.cz/fr/rubrique/panorama/il-y-a-60-ans-les-hockeyeurs-champions-du-monde-etaient-envoyes-dans-les-camps-dinternement-communistes) sont d’abord sacrés champions du monde devant leur public à Prague, avant de décrocher la médaille d’argent aux JO de Saint-Moritz.

Les hockeyeurs tchécoslovaques en 19847,  photo: Národní muzeum,  e-sbirky,  CC BY

Chignon et moustache

Věra Čáslavská | Photo: Ron Kroon / Anefo,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 3.0 NL
De toutes, c’est sans doute la décennie 1959-1968 qui a été la plus gracieuse. Aux Jeux de Tokyo en 1964 puis de Mexico quatre ans plus tard, Věra Čáslavská, septuple championne olympique, émerveille le public. A la fin de l’année 1968, la gymnaste tchèque au chignon blond est même, après Jacqueline Kennedy, la deuxième femme la plus populaire au monde. Et jusqu’à sa mort en 2016 (cf. : https://www.radio.cz/fr/rubrique/faits/vera-caslavska-la-plus-belle-femme-de-lhistoire-du-sport-tcheque-sest-eteinte), fidèle à ses positions de femme engagée, elle restera, malgré les tourments de la vie, la grande Dame de ce siècle écoulé de sport tchèque.

Les années 70, elles, sont celles des cuisses poilues des footballeurs tchécoslovaques champions d’Europe à Belgrade en 1976 contre l’Allemagne de l’Ouest et du plus célèbre moustachu de l’histoire du sport tchèque, Antonín Panenka, auteur d’une inoubliable pichenette du tir au but victorieux en finale…

Tout cela avant les dix-huit titres du Grand Chelem de Martina Navrátilová, qui règne sur le tennis féminin mondial dans les années 80, décennie marquée aussi par les nombreux succès d’Ivan Lendl ou le controversé record du monde, en 1983, de l’athlète Jarmila Kratochvílová sur 800 mètres.

Roman Šebrle,  photo: Eckhard Pecher,  CC BY 2.5
Athlétisme toujours, pas même ses trois titres de champion olympique n’ont permis au lanceur de javelot Jan Železný de concurrencer l’équipe de hockey sur glace sacrée donc aux Jeux de Nagano en 1998. Pour la première participation des joueurs de la ligue nord-américaine NHL à un tournoi olympique, la petite République tchèque bat successivement les Etats-Unis, le Canada puis la Russie pour décrocher ce qui reste aujourd’hui encore la seule médaille d’or de son histoire.

Enfin, pour les deux dernières décennies de l’enquête, les deux premières aussi du troisième millénaire, ce sont les performances de Roman Šebrle, champion olympique du décathlon à Athènes en 2004 et premier athlète à dépasser la barre des 9 000 points, et de la fondeuse Kateřina Neumannová, sacrée aux Jeux de Turin en 2006, qui ont été retenues, avant, bien entendu, la double médaille d’or d’ Ester Ledecká en février dernier en Corée. Une performance historique qui a mis un point final au bien beau siècle qui a été celui du sport tchèque depuis 1918.

Palmarès de l’enquête « Les plus grands moments du sport tchèque » :

1919-1928 : Bedřich Šupčík, premier champion olympique tchèque de l’histoire (grimper de corde, gymnastique)

1929-1938 : équipe de Tchécoslovaquie de football, finaliste de la Coupe du monde en 1934

1939-1948 : équipe de Tchécoslovaquie de hockey sur glace, championne du monde en 1947 et vice-championne olympique en 1948

1949-1958 : Emil Zátopek (athlétisme)

1959-1968 : Věra Časlávská (gymnastique)

1969-1978 : équipe de Tchécoslovaquie de football, championne d’Europe en 1976

1979-1988 : Martina Navrátilová (tennis)

1989-1998 : équipe de République tchèque de hockey sur glace, championne olympique en 1998

1999-2008 : Roman Šebrle (athlétisme) et Kateřina Neumannová (ski de fond)

2009-2018: Ester Ledecká (ski alpin, snowboard)