Ibrahim Traoré : « Avec le Slavia, nous ne sommes pas en Ligue des champions par hasard »

Ibrahim Traoré, photo: Guillaume Narguet

Ce mercredi, le Slavia Prague accueillera, dans son stade d’Eden, le Borussia Dortmund à l’occasion de la 2e journée de la phase de groupes de la Ligue des champions. Après le résultat nul (1-1) ramené de son déplacement à Milan contre l’Inter pour son entrée en matière dans la compétition, et avant de recevoir Barcelone dans trois semaines, l’actuel leader du championnat tchèque entend bien une nouvelle fois jouer les de trouble-fête et démontrer contre le club allemand que malgré son statut de petit poucet, sa présence parmi l’élite européenne n’est pas usurpée. Pour cela, le Slavia peut compter sur les services d’Ibrahim Traoré, qui s’est longuement confié au micro de Radio Prague International. Arrivé au Slavia il y a un an de cela en provenance du modeste Zlín, le milieu ivoirien a depuis remporté un doublé et participé à l’épopée du club pragois en Ligue Europa la saison dernière. Et le voici désormais donc en Ligue des champions :

Ibrahim Traoré,  photo: Guillaume Narguet

« Je réalise ce qui m’arrive, mais quand je suis venu en République tchèque, mon objectif était d’aller le plus haut possible. Bien sûr, personne ne sait jamais ce qui va se passer, mais j’y croyais. Je suis bien conscient que ce qui m’arrive est exceptionnel, mais j’ai travaillé pour cela. »

Vous venez d’avoir 31 ans, que représente cette participation à la Ligue des champions dans votre carrière ?

Le Slavia est tombé dans le groupe probablement le plus relevé des huit avec Barcelone, Dortmund et l’Inter Milan. A vos yeux, s’agit-il d’un tirage au sort rêvé ou auriez-vous préféré affronter des adversaires peut-être plus à votre portée ?

« Cela faisait douze ans que le Slavia n’avait plus participé à la Ligue des champions… Oui, nous sommes dans ce qui est appelé ‘le groupe de la mort’, mais personnellement, lors du tirage au sort, c’était le groupe que je voulais. Jouer contre de telles équipes dans leurs stades mythiques, c’est exceptionnel ! C’est ça, la Ligue des champions ! Ce dont nous avons tous envie, c’est de découvrir le très haut niveau, emmagasiner de l’expérience et profiter. »

Profiter, c’est bien, mais vous êtes des sportifs de haut niveau habités par l’envie de gagner. Terminer à une des deux premières places qualificatives du groupe, ou même à la troisième qui vous permettrait d’être reversés en Ligue Europa, est-ce un vrai objectif ?

« Nous ne sommes clairement pas les favoris, c’est évident. Mais nous ne sommes pas là non plus par hasard. Nous avons déjà prouvé à plusieurs reprises que nous sommes une bonne équipe qui continue de progresser. Nous sommes quand même allés jusqu’en quarts de finale de la Ligue Europa la saison dernière après avoir battu de belles équipes (FC Copenhague, Bordeaux, Zénith Saint-Pétersbourg, Genk, FC Séville) avant d’être éliminés par Chelsea. On a réalisé aussi le doublé coupe-championnat. Nous n’avons donc pas à avoir peur et devons jouer notre football. On verra après les résultats. La clef pour nous contre des équipes avec de telles individualités, c’est de jouer très collectivement. Il faut que nous soyons soudés et solidaires. Les matchs la saison dernière contre Séville et Chelsea, même si nous avons été éliminés, nous ont confirmé que c’était la voie à suivre. »

Personnellement, vos performances ont été très remarquées lors de ces deux confrontations. Avez-vous ressenti que vous aviez franchi un palier ?

« Oui, parce que ce ne sont pas des matchs faciles, il faut savoir se mettre au niveau pour exister. Même si c’est vrai que je ne jouais pas forcément beaucoup avant, j’ai toujours gardé à l’esprit que l’entraîneur pouvait faire appel à moi à n’importe quel moment. Et c’est ce qui s’est produit en Ligue Europa. J’ai répondu présent, ce qui confirme qu’il ne faut pas baisser les bras et continuer à s’entraîner sans baisser de pied. »

Le passage du championnat tchèque, où le Slavia domine, à la coupe d’Europe est-il difficile ?

« C’est un autre niveau, mais je ne dirais pas que c’est difficile. En championnat, nous avons très souvent la possession du ballon contre des adversaires regroupés. En coupe d’Europe, les matchs sont généralement plus ouverts, parce que chaque équipe cherche à imposer son jeu. Du coup, il y a plus d’espaces et c’est plus simple de s’exprimer. »

« Simon était une légende ici »

L’intersaison a été marquée par les départs de votre compatriote Simon Deli (FC Bruges) et du stoppeur camerounais Mickael Ngadeu, qui formaient la charnière centrale la saison dernière. Qu’est-ce que cela a changé pour le Slavia ?

Mickael Ngadeu,  photo: Knjh2000,  CC BY-SA 4.0
« C’est sûr que ce sont de grosses pertes. Très franchement, j’ai été déçu par l’annonce de leurs départs. Mais chacun mène sa carrière comme il l’entend, et Simon comme Mickael ont voulu connaître quelque chose d’autre. C’est naturel, mais cela n’enlève rien que c’étaient deux joueurs très costauds qui ont grandement participé à nos belles performances la saison dernière. Mais c’est le football et il n’y a pas qu’eux qui sont partis. Miroslav Stoch (ancien international slovaque au PAOK Salonique), Jaromír Zmrhal (Brescia) et Alex Král (Spartak Moscou) ne sont plus là non plus. Mais d’autres joueurs sont arrivés aussi. David Hovorka et Ondřej Kúdela tiennent maintenant la baraque derrière, et plutôt bien puisque nous n’avons pas beaucoup encaissé depuis le début de saison (2 buts en 11 journées de championnat). »

Les supporters et les dirigeants du Slavia ont beaucoup regretté le départ de Simon Deli ?

« Simon est une légende ici ! Tout le monde aurait préféré qu’il reste, mais après cinq années au Slavia, il a voulu découvrir d’autres horizons et vivre autre chose. Il faut le comprendre, et les dirigeants l’ont compris, malgré leur volonté de le conserver. »

Du coup, vous êtes désormais le dernier francophone dans le groupe…

Simon Deli,  photo: Site officiel de Slavia Prague
« Ça change, car Simon et Mickael ont été très importants pour moi à mon arrivée au club. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble et ce sont eux qui m’ont aidé à bien m’intégrer. Avec leur départ, je ne perds pas que des coéquipiers, mais aussi des amis et des frères. En même temps, ils étaient ici avant moi et ils ont remporté deux fois le championnat avec le Slavia. Franchement, cela a été difficile, mais ça va, je suis un grand garçon… Nous sommes restés en contact, mais les coéquipiers sont toujours là et j’ai d’autres amis. »

Vous avez entamé votre cinquième saison en République tchèque. Avant d’en arriver au Slavia, qui peut aujourd’hui être considéré comme le top à l’échelle du pays, quel a été votre parcours ?

« J’ai commencé à Abidjan avant de partir pour la Libye, d’où je suis vite reparti en raison des problèmes politiques. J’ai alors fait la connaissance d’un agent ivoirien qui m’a dit qu’il avait fait venir Simon Deli, Konaté et Wilfried Bony au Sparta. C’est donc lui qui m’a fait venir en République tchèque. J’ai commencé (en 2014) à Tábor en deuxième division de façon à pouvoir m’adapter au football européen, qui est différent de celui pratiqué en Afrique. »

« La République tchèque ? Je ne connaissais pas, mais je n’avais pas peur »

Enormément de jeunes joueurs africains tentent leur chance en Europe ou un peu partout dans le monde. Beaucoup finissent très mal. N’aviez-vous pas d’appréhension par rapport à un pays, la République tchèque, dont on suppose que vous ne saviez pas grand-chose et où le mode de vie est très différent de celui auquel vous étiez habitué ?

« Non, même si c’est vrai que tout ce que je savais alors de la République tchèque, c’était son parcours à l’Euro 2004 et les performances de Bony au Sparta, dont on avait quelques échos à Abidjan. Mais de la peur ? Vous savez, le rêve de tout footballeur africain est de jouer en Europe, et rien n’est plus grand qu’un rêve. J’ai donc foncé ! »

Après Tábor, vous êtes passés par Zlín, autre petite ville paisible où la vie est plutôt agréable. Comment s’est passée votre adaptation ?

Photo: ČTK / Michal Kamaryt
« Ça n’a pas été facile, d’abord parce que je suis francophone. La langue et le climat tchèques sont très différents, surtout que je suis arrivé en février, il caillait… Mais je me suis accroché en n’oubliant pas pourquoi j’étais là. Je n’avais pas le choix, et puis j’ai été bien accueilli à Tábor. Quelques joueurs et l’entraîneur se débrouillaient en anglais. Cela se passait bien aussi sur le terrain, ce qui a forcément facilité mon intégration. C’est quand même d’abord pour ça que j’étais là. »

Puis à Zlín vous avez découvert la première division et même la coupe d’Europe. Tout s’est bien enchaîné en somme…

« Tout à fait. Cela m’arrive d’y repenser et je me dis que les choses peuvent aller vraiment très vite dans le foot. Après deux saisons en deuxième division, tout s’est bien goupillé avec Zlín : j’ai d’abord été accueilli par des gens formidables. Puis on réalise une saison exceptionnelle : on remporte la coupe et termine 6es en championnat, ce qui n’était plus arrivé au club depuis très longtemps. Derrière, il y a eu la Ligue Europa et la phase de groupes avec qu’un seul joueur parmi nous avait déjà une expérience de la coupe d’Europe. Un vrai challenge ! »

Vous étiez arrivé au Slavia en septembre 2018 pour un prêt d’une demi-saison au terme duquel l’option d’achat a été levée. Vit-on bien à Prague ?

« Oui ! Franchement, quand t’as connu Tábor et Zlín, Prague, c’est quand même mieux. En tous les cas, je m’y sens bien. »