Coupe Davis: c’était bien, c’était chouette

Radek Štěpánek et Tomáš Berdych, photo: ČTK

Il n’y a finalement pas eu photo. Pas sans certains petits regrets quand même et, déjà, une pointe de nostalgie. Le week-end écoulé, la France, chez elle, dans son jardin de Roland-Garros, avec l’appui de ses supporters, était tout simplement plus forte. Vainqueur des deux dernières éditions de la Coupe Davis, l’équipe de République tchèque de tennis ne défendra pas son titre en finale en novembre prochain et ne réalisera pas un triplé historique, comme elle en rêvait. Trop limités avec un Tomáš Berdych pour une rare fois hors du coup, contre une équipe de France talentueuse dont les joueurs ont fait de la conquête du Saladier d’argent un objectif commun cette année, les Tchèques se sont logiquement inclinés (1-4) en demi-finale. Ils ne recevront donc pas la Suisse de Federer et Wawrinka en finale à Prague pour ce qui aurait pu constituer l’apothéose d’une belle et folle aventure. Une aventure entamée précisément contre la Suisse en barrages en 2007 et comme le tennis tchèque n’en connaîtra probablement plus avant longtemps. Reportage à Paris.

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« On est en finale. On est en finale. On est, on est, on est en finale… » Ils connaissaient tous bien le refrain. Exception faite du bon millier de Tchèques qui avaient fait le déplacement, les 14 000 autres supporters français qui avaient rempli le court central de Roland-Garros avaient largement de quoi être heureux samedi après-midi. Non seulement les tribunes bleu-blanc-rouge étaient inondées de soleil, une raison déjà bien suffisante pour ne pas (trop) faire la soupe à la grimace côté tchèque, mais surtout Richard Gasquet et Jo-Wilfried Tsonga, les deux héros du week-end, en remportant le double aux dépens de Tomáš Berdych et Radek Štěpánek en quatre sets (6-7, 6-4, 7-6, 6-1), venaient d’envoyer la France en finale d’une Coupe Davis qu’elle n’a plus remportée depuis treize ans. Presque une éternité dans un pays où la compétition occupe une place si particulière, comme l’expliquait somme toute sereinement Richard Gasquet, au sortir d’un vestiaire français dans lequel quelques bouchons de champagne avaient pourtant visiblement déjà sauté :

« C’est un kif de pouvoir gagner là, c’est sûr. Jeudi soir (veille des premiers matchs), quand j’étais seul dans ma chambre à 22 heures un peu crispé quand même, en me disant que le lendemain matin à 10h30 j’allais jouer contre Berdych sur le Central, il y avait de l’appréhension. J’aurais signé avec les mains, avec les pieds et avec tout ce que vous voulez pour me retrouver samedi soir à 3-0 en ayant gagné deux de ces trois matchs dans une ambiance comme celle-là. Je pouvais difficilement rêver mieux. »

Favoris avant le début de la rencontre vendredi matin, les Bleus, qui à la différence des Tchèques pouvaient se permettre le luxe de se passer des services d’un joueur comme Gaël Monfils fatigué, ont donc fait respecter leur statut. Si surprise il y a eu, celle-ci est plutôt venue de la vitesse à laquelle ces Bleus sous pression ont expédié l’affaire. Dès vendredi, la France menait ainsi deux points à zéro au terme des deux premiers simples. Si la victoire nette et sans bavures de Tsonga aux dépens d’un Lukáš Rosol impuissant en trois sets (6-2, 6-2, 6-3) était plus ou moins attendue, en revanche la démonstration de Gasquet contre Berdych en ouverture sur un score quasi identique (6-3, 6-2, 6-3) l’était franchement moins.

Or, à peine ce premier match achevé, un petit quelque chose qui flottait dans l’air ambiant, l’étincelle qui brillait dans les yeux de Français euphoriques et qui semblait éteinte dans ceux de Tchèques pas encore tout à fait résignés mais presque, pouvait déjà laisser à penser que le sort de cette demi-finale était réglé. Après avoir affirmé en anglais quelques instants plus tôt qu’il venait de livrer « le pire match » de sa carrière en Coupe Davis, Tomáš Berdych, encerclé cette fois par la petite dizaine de journalistes tchèques présents à Paris, n’a d’ailleurs nullement cherché à botter en touche au moment d’analyser les raisons de la supériorité de son adversaire et de ce qui avait fortement ressemblé à un non-match de sa part :

Tomáš Berdych,  photo: ČTK
« Je n’étais tout simplement pas prêt pour jouer un match de ce niveau et contre un tel adversaire sur terre battue. Aujourd’hui, je n’ai jamais été en mesure de le mettre (Gasquet) en difficulté. Pour moi, les passages du dur à la terre sont toujours très compliqués et là je n’ai pas eu suffisamment de temps pour m’acclimater. C’est comme ça. Je savais que ce serait difficile avant de venir ici, mais j’ai essayé, j’ai fait de mon mieux. Les Français ont parfaitement choisi leur surface. Après, il faut dire aussi que Richard a parfaitement joué. Il n’a pas eu de baisse de régime, il a été très régulier et ne m’a jamais laissé la moindre chance de me remettre dans le coup. C’est lui qui a conduit le match du début à la fin. »

Malgré ce départ catastrophique, alors que le capitaine Jaroslav Navrátil avait confié la veille encore après le tirage au sort qu’il entendait bien voir les deux équipes à égalité un point partout vendredi soir, la perspective du match de double le lendemain permettait encore aux Tchèques d’espérer revenir dans la partie avant les deux derniers simples dimanche. Toutefois, lorsqu’un journaliste lui a demandé quel joueur il pourrait choisir pour un éventuel cinquième match décisif deux jours plus tard, le capitaine tchèque n’a pas pu s’empêcher d’éclater de rire :

« Vous êtes marrants les gars, vous me parlez d’un cinquième match alors qu’on vient de se prendre deux branlées sans même remporter le moindre set. Il faudrait déjà gagner le double, mais les Français peuvent mettre qui ils veulent sur le terrain, ils ne seront pas faciles à battre, surtout avec le public derrière eux. Ceci dit, c’est vrai, si on gagne et qu’on recolle à 2-1, tout restera possible. Pourquoi pas ? En même temps, si on perd, ça deviendra d’autant plus compliqué pour nous… »

Radek Štěpánek et Tomáš Berdych,  photo: ČTK
Et pour cause : en cas de nouvelle défaite, à 3-0, les Tchèques auraient été d’ores et déjà éliminés. Gentiment ironique et pas démonté apparemment par la tournure défavorable des événements, le capitaine tchèque ne perdait donc pas son sens de l’humour. Ce qui n’empêchait pas non plus Jaroslav Navrátil de rester parfaitement lucide :

« Les Français ont été fantastiques aujourd’hui (vendredi), surtout Gasquet. Franchement je ne m’attendais pas à le voir à ce niveau. On n’est pas résignés, non, mais le fait est qu’on n’a gagné que quelques jeux en deux matchs. C’est sûr que le moral n’est pas au beau fixe dans l’équipe. Mais mon Dieu, on n’a perdu que deux matchs de tennis. En finale en Espagne il y a quatre ans, on avait pris 5-0. Ce sont des choses qui arrivent. On n’est pas des robots, pas même Tomáš, et on ne peut pas gagner à tous les coups. J’avais prévenu que ce serait difficile contre la France. Mais il nous reste une chance si on gagne le double demain. On a déjà vu des retournements de situation de ce type, des équipes qui perdaient 2-0 et se sont quand même qualifiées. On a suffisamment d’expérience pour ça, mais c’est sur le terrain que ça se joue. »

Et sur le court, malgré une paire Berdych-Štěpánek qui avant samedi ne s’était inclinée qu’à une seule reprise en seize matchs de double en Coupe Davis, ce sont de nouveau les Français qui ont pris le dessus pour faire exploser de joie un public qui n’attendait que ça et qui n’avait alors cure de la manière quelque peu frustrante dont venait de se conclure la partie.

Jo-Wilfried Tsonga et Richard Gasquet,  photo: ČTK
Car, même s’il ne peut être retiré quoi que ce soit au mérite d’un Gasquet et d’un Tsonga au moins aussi bons que leurs adversaires sur ce double, l’observateur neutre et l’amateur de tennis, eux, regretteront que la blessure au dos contractée par Štěpánek au début du deuxième set n’ait pas permis au duo tchèque de défendre sa chance à armes égales jusqu’au bout. Ils le regretteront d’autant plus que la première manche, conclue au tie-break, avait été la promesse d’une formidable bataille. Cette préoccupation n’était cependant pas, bien naturellement, celle du camp français, comme le concédait un Tsonga plus soucieux du résultat et de l’obtention, dès le double, du troisième point décisif synonyme de qualification pour la finale :

« Pour nous, c’est un réel soulagement. Encore plus pour moi parce que si on avait perdu, j’aurais certainement dû y retourner (sur le court) dès demain matin (dimanche). Il était donc important pour moi aujourd’hui de mettre l’accent sur la victoire pour m’épargner un petit peu. Mais c’était top ! Richard a été super solide dans les moments importants. Il nous a permis de faire la différence. Bon, Radek était un peu touché, mais c’est normal au vu de son âge. On savait qu’on pouvait aller le titiller physiquement si on rendait le match difficile. C’est ce qui s’est passé. A la fin du match, il m’a dit qu’il était complétement cuit, ce que je peux comprendre à 36 ans. »

La version des choses de Tsonga n’était cependant pas tout à fait la même que celle du vétéran Štěpánek quelques instants plus tôt lors de son passage en salle de presse :

« Même si on avait remporté le troisième set au tie-break, je ne pense pas que cela aurait changé quoi que ce soit au résultat final. J’étais déjà vraiment trop limité dans mes mouvements. Je ne sais pas ce que j’ai, mais si ça n’avait pas été la Coupe Davis, j’aurais abandonné le match. Je suis resté sur le court uniquement par respect pour nos adversaires et le public. Cela n’enlève rien au mérite des Français. Il faut les féliciter. Hier comme aujourd’hui, ils ont été excellents et ils ont mérité leur succès. »

Dignes dans une défaite qui est apparue toujours un peu plus inéluctable au fil de l’avancement des deux premières journées, les Tchèques n’ont pas eu besoin d’être forcés pour reconnaître objectivement la supériorité d’ensemble d’une équipe de France mieux armée que la leur avec cinq joueurs dans le Top 30 mondial, mais que l’on sera néanmoins curieux de revoir à l’œuvre contre la Suisse de Federer et Wawrinka en finale.

Tomáš Berdych et Radek Štěpánek,  photo: ČTK
Cette finale, ce ne sera donc pas à Prague. Tant pis pour les Tchèques, tant mieux pour les Français. Mais avant de se plonger dans la préparation de ce dernier grand rendez-vous de la saison et de « faire une petite fête quand même pour profiter de ce moment ensemble », le capitaine français Arnaud Clément a tenu à rendre hommage aux Tchèques et plus particulièrement aux deux grands artisans de leurs succès ces dernières années :

« Ce que je leur ai dit ? Bravo ! Bravo… Bravo pour ce que vous avez réalisé. Berdych et Štěpánek sont deux gars auxquels je tire un grand coup de chapeau. Bien sûr, dans ma position, je suis heureux que nous ayons fait tomber cette équipe tchèque, mais ce qu’ils ont réalisé quasiment à eux deux pendant deux ans et demi… Je ne sais pas s’il y a déjà une équipe dans l’histoire qui a réussi à le faire. Ça prouve l’amour qu’ils ont pour cette compétition, l’engagement par rapport à leur pays, et je trouve ça magnifique. C’est ce que j’aime dans la Coupe Davis. En tout cas, j’ai énormément de respect pour eux et on a pu voir leur état d’esprit jusqu’au bout, même aujourd’hui dans la défaite. Pour moi, ce sont deux immenses champions. »

Et tout cela valait bien une Marseillaise reprise a cappella par le public français ou, à chacun selon sa conception du sport et de la fête, une Danse des canards sortie du tuba des supporters tchèques…