Le Sokol fête ses 150 ans

„Tummeln wir uns!“ - „Tužme se!“
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Ce vendredi 6 juillet, jour de la fête nationale commémorant le martyr du réformateur de l’Eglise, Jan Hus, une autre fête a culminé à Prague : la XVe fête fédérale de la plus ancienne organisation tchèque de culture physique, le Sokol. Un événement de première importance pour les plus de 10 000 Sokols du pays et de l’étranger réunis au stade Eden à Prague. Le Sokol, qui développe le legs des grands de l’histoire tchèque tels que l’héritage spirituel de Hus, le courage de Žižka, l’humanisme de Comenius, célèbre cette année le 150e anniversaire de sa fondation et les 130 ans écoulés depuis le tout premier « slet », un rassemblement de masse appelé aussi fête fédérale. Retour, dans cette émission spéciale, sur l’histoire du Sokol, indissociable du réveil national en pays tchèques à la fin du XIXe siècle, du combat pour la liberté lors des deux conflits mondiaux, de la fondation de l’Etat tchécoslovaque et de ses destinées...

Miroslav Tyrš et Jindřich Fügner
L’idéal de l’éducation grecque antique unissant l’harmonie corporelle et spirituelle est à l’origine d’un mouvement gymnastique patriotique fondé le 16 février 1862 par Miroslav Tyrš et Jindřich Fügner. Focalisé au départ sur la culture physique, Sokol étend ses activités au domaine culturel. Les « slety », les journaux et les bibliothèques du Sokol jouent un rôle majeur pour forger l’identité nationale tchèque sous l’Empire austro-hongrois dont les pays de la couronne de Bohême font partie. Tyrš est d’ailleurs l’un des initiateurs de la construction du Théâtre national de Prague.

Le mouvement se répand dans tout le pays et à travers le monde, dans les pays slaves mais également en France, où le premier Sokol voit le jour en 1892 à Paris. Parmi les membres d’honneur du Sokol de Paris figurent le premier président tchécoslovaque Tomáš Garrigue Masaryk, le peintre Alphonse Mucha ou le professeur Ernest Denis. Le Sokol voit le jour aussi en Espagne et en Amérique du Nord où le premier Sokol est crée en 1892 à Chicago par la plus grande communauté tchèque des Etats-Unis. C’est aussi grâce aux Sokols de l’étranger que le mouvement maintient ses activités malgré plusieurs interdictions dans son pays. L’exposition « Sous les ailes du Sokol » inaugurée au Musée militaire le 18 juin, jour du premier « slet » sur l’Ile des tireurs à Prague en 1882, retrace les 150 ans du mouvement. L’historien Michal Burian évoque ses débuts :

« La création du Sokol est liée à l’éternel combat tchéco-allemand qui marque toute notre histoire. A l’origine, une association gymnastique germano-tchèque doit être créée en 1861 à Prague. Après que le sponsor allemand décide de financer uniquement une association allemande, l’idée tombe à l’eau et c’est à moment-là que Miroslav Tyrš et Jindřich Fügner prennent l’initiative de fonder un mouvement autonome tchèque. Il y a 150 ans de cela, le 16 février 1862, la réunion constituante de l’Union gymnique de Prague a lieu à Prague. Ce n’est que deux ans plus tard qu’elle prendra le nom de Sokol. »

La philosophie du Sokol met en avant la pratique sportive en groupe, la promotion du patriotisme tchèque et de valeurs morales dont la discipline, la perévérance, l’amour de la patrie, l’honnêteté, la sociabilité, le bénévolat. Le Sokol est ouvert à toutes les classes d’âge et à toutes les classes sociales. Une association féminine est créée dès 1869. C’est une organisation de masse qui comptera jusqu’à 560 000 adhérents en 1938, juste avant la Seconde Guerre mondiale pendant laquelle il est interdit.

D’où vient le nom du mouvement, Sokol ? Qui a inventé sa devise « Tužme se » – raffermissons les muscles, « Un esprit sain dans un corps sain? » Michal Burian explique :

« Le nom de Sokol, le faucon, a été proposé par le professeur Emanuel Tonner, l’un des membres fondateurs, tout de suite après la création de l’Union gymnique praguoise. Pour ce qui est de sa devise, force est de constater que le Sokol est fait de symboles. Ses membres se tutoient et s’appellent entre eux frère et sœur, expression du caractère démocratique du mouvement qui insiste sur la fraternité entre chacun des membres. Les Sokols se saluent d’un « Nazdar » – Salut : une salutation adoptée pendant la Grande Guerre par les légionnaires tchécoslovaques. La devise « Tužme se » est une devise inventée par Tyrš. Un autre symbole, l’uniforme des Sokols, est créé par Josef Mánes qui l’a composé avec la chemise rouge garibaldienne et une toque de soie piquée d’une plume de faucon. Josef Mánes est aussi l’auteur du premier drapeau du Sokol. »

La Maison Tyrš située dans le quartier de Malá Strana, devient le siège du Sokol. De nouvelles salles de gymnastique ouvrent à Prague et dans de nombreuses villes et communes en Bohême et en Moravie :

« Au départ, les exercices se déroulent dans des conditions assez spartiates. En 1863, Jindřich Fügner finance la construction d’un premier gymnase du Sokol praguois : c’est un beau bâtiment néo-Renaissance, le même qui existe aujourd’hui encore dans la rue Sokolská, pas loin du centre-ville. Le développement du Sokol est rapide dès les premières années, le nombre d’adhérents approche d’un demi-million et l’affluence aux ‘slety’ rend nécessaire la construction du stade de Strahov à Prague qui, par sa superficie, est jusqu’à présent le plus grand du monde. »

En dépit ou plutôt en raison de sa grande popularité, Sokol est mal vu par les autorités politiques. La première interdiction ne s’est pas fait attendre, rappelle Michal Burian :

« En tant qu’organisme profondément démocratique, Sokol devait logiquement se heurter à des obstacles, au cours de ses 150 ans d’existence. La première fois, il est menacé de fermeture en 1866, soit quatre ans après sa création. L’Autriche est en guerre avec la Prusse et le mouvement peut continuer son action en s’engageant à transformer les unités des Sokols en détachements militaires sportifs. Raison pour laquelle il gagne alors le surnom d’armée nationale tchèque. Cet aspect militaire resurgira à plusieurs reprises encore. Bien entendu, le chapitre le plus célèbre de l’histoire du Sokol est lié à la création des légions étrangères tchécoslovaques pendant la Première Guerre mondiale, à la fondation de la République tchécoslovaque, puis encore à son engagement dans les armées alliées pendant la Seconde Guerre mondiale. »

Compagnie Nazdar
Pour la deuxième fois, le Sokol est interdit en 1915. Les légions tchécoslovaques qui combattent dès 1914 du côté des Alliés sont constituées pour une large part d’anciens Sokols. Une compagnie tchèque créée en France reprend le vocabulaire du mouvement et se nomme « Compagnie Nazdar. »

Une nouvelle interdiction du Sokol est liée à l’occupation nazie du pays. De nombreux Sokols s’engagent dans les armées alliées ainsi que dans la résistance locale, y compris dans l’aide aux parachutistes auteurs de l’attentat contre Heydrich.

Après le coup d’Etat de février 1948 et l’arrivée des communistes au pouvoir, le Sokol organise un dernier « slet », avec 500 000 participants. Des manifestations contre le régime qui ont lieu au cours de l’événement conduiront à une nouvelle interdiction. En 1968, le processus de renouveau permet une brève recréation du Sokol mais l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie y mettra fin.

Le « slet », rassemblement de masse des gymnastes, est sans aucun doute l’aspect le plus impressionnant du Sokol. En tchèque, le mot « slet » signifie nuée d’oiseaux, ce qui en dit long sur la taille de ces rassemblements. Pour Michal Burian, trois rassemblements sur les onze organisés entre 1882 et 1948 sont à retenir :

« Je mentionnerais trois rassemblements, le premier, en 1882, organisé sur Střelecký ostrov, l’Ile des tireurs, a jeté les bases d’une nouvelle tradition. Il y a encore les deux rassemblents les plus emblématiques, celui de 1938 qui a symbolisé un immense élan de la nation, sa détermination à défendre la patrie contre l’Allemagne nazie. Cette année-là, 30 000 Sokols réunis au stade de Strahov ont exécuté des exercices au titre éloquent : Serment de fidélité à la République. En fait, c’était symboliquement la nation toute entière qui a manifesté à ce moment sa préparation à aller défendre les frontières de l’Etat. Le dernier grand rassemblement qui a eu lieu en 1948 a symbolisé une opposition masive à l’arrivée du communisme. »

Bedřich Šupčík avec sa médaille d’or | Photo: Barbora Němcová,  Radio Prague Int.
Le sport a toujours été au centre de l’attention du Sokol et ses membres se sont maintes fois distingués dans diverses compétitions. La première reconnaissance internationale pour le Sokol est liée à la France. En 1889, la France organise l’Exposition Universelle à Paris avec l’édification de la Tour Eiffel, et le congrès de l’Union des gymnastes français. Invité à Paris par le président de cette dernière, Joseph Sansboeuf, le Sokol y gagne trois premières places lors des compétitions. La création du Sokol de Paris, en 1892, est considérée comme la suite logique de cette rencontre. C’est aussi en France, grâce à un Sokol, que la Tchécoslovaquie s’est offerte la première médaille d’or olympique de son histoire, rappelle Michal Burian :

« La première médaille d’or des Jeux olympiques remportée par un Tchèque est celle de 1924, et c’est un Sokol, Bedřich Šupčík, qui a décroché cette première médaille d’or de l’histoire, aux Jeux olympiques de Paris, dans la discipline du grimper de corde. »

Quatre fêtes fédérales - slet, y compris celle qui vient de se terminer au stade Eden, ont eu lieu depuis 1990, date de reprise officielle des activités du Sokol. La tradition continue, le rôle du Sokol, aujourd’hui, est toutefois moindre qu’au siècle dernier. Il n’empêche que la Communauté tchèque du Sokol est la quatrième association civique en République tchèque. Dans 1 100 unités, elle regroupe près de 190 000 membres dont la moitié sont des jeunes de moins de 26 ans. Elle organise la pratique de dizaines de disciplines sportives et elle a aussi beaucoup contribué à l’expansion de la course humanitaire Terry Fox en République tchèque.