Le couvent des Borroméennes à Prague : quatre mondes sous un même toit

Le couvent des Borroméennes

« Quatre mondes vivent dans notre couvent. Il y a le monde des femmes condamnées, le monde des soeurs borroméennes, le monde du personnel civil et le monde des malades. Et ces quatre mondes, ces quatre groupes de personnes, s'efforcent de faire don de soi, de se dévouer l'un à l'autre, de servir l'autre et de lui profiter, de lui être utile. » « Quatre mondes sous un même toit - l'un pour l'autre en don. » Tel est donc le credo expliqué par Soeur Miroslava Frydecka, Mère supérieure de la Maison Saint Charles, un établissement unique en Europe et peut-être même au monde situé dans la périphérie ouest de Prague. Une prison pour femmes est en effet intégrée au bâtiment où vit la congrégation des soeurs borroméennes. Une tradition carcérale à l'histoire longue et mouvementée puisqu'elle remonte à 1864. Radio Prague a été récemment accueillie sur les lieux par la Mère supérieure. C'est donc à une visite exceptionnelle que nous vous convions, alors que sont célébrés, ce 5 juillet, en République tchèque les saints Cyrille et Méthode, deux frères de Thessalonique venus évangéliser la Bohême et la Moravie au IXe siècle.

C'est à 1837 qu'il faut remonter pour trouver trace de l'arrivée des premières soeurs borroméennes à Prague. La première congrégation y fut formée par quatre religieuses au retour de leur noviciat effectué en Lorraine, comme le rappelle Soeur Miroslava :

« La première congrégation des soeurs de charité de Saint Charles a été fondée en France et plus précisément à Nancy il y a un peu plus de 350 ans quand la famine, la peste, le choléra et d'autres maladies incurables sévissaient après la guerre de Trente ans. C'est alors qu'un petit groupe de cinq femmes courageuses s'est constitué. Seules, elles se sont détachées de leurs familles afin de pouvoir se consacrer et se mettre au service des pauvres et des malades. Or, elles savaient qu'en agissant ainsi, elles seraient elles aussi contaminées et ne pourraient plus rentrer chez elles. Et pourtant, elles ont offert leur vie pour soigner les malades. Et c'est de là que la congrégation s'est répandue, tout d'abord à Prague en 1837 avec la maison mère et un hôpital dans le quartier de Mala Strana, puis ensuite dans d'autres pays. Aujourd'hui, nous sommes dans cinq pays en Europe et nous collaborons ensemble. »

Aujourd'hui, la Maison Saint Charles de Repy regroupe plusieurs services. Le premier est l'offre de séjours à la fois médicaux et sociaux pour personnes âgées et malades. Par ailleurs, dans un autre bâtiment, un accueil est également assuré pour d'autres personnes âgées et malades dont les familles ou les proches ne sont pas en mesure de pouvoir s'occuper pendant la journée. Ces visiteurs d'un jour retrouvent toutefois le cercle familial le soir. Mais ce qui fait la particularité de la Maison Saint Charles est que si un personnel civil et les soeurs s'occupent de la bonne marche de ces services, les femmes incarcérées sont également associées au travail, principalement en tant qu'aides-soignantes. Dans cette optique, une formation leur est même proposée, formation également dispensée afin de faciliter leur réinsertion professionnelle dans des établissements sanitaires et sociaux après leur remise en liberté. Si les prisonnières n'ont pas toujours été aides-soignantes, la prison, elle, où des femmes purgent leurs peines, est intégrée au couvent depuis 1864.

« Notre maison a été construite par les soeurs borroméennes. A l'origine, elle était destinée à 400 orphelins. Mais parce que ces enfants provenaient de familles pauvres manquant d'hygiène, une maladie infectieuse des yeux s'est rapidement répandue parmi eux et bien que tous aient été soignés, les autorités de l'époque se sont servies de ce prétexte pour placer de force les enfants dans des familles d'accueil vivant dans leurs villages d'origine. Du coup, les soeurs ont décidé avec l'accord des autorités administratives compétentes de transformer la maison vide en prison pour femmes, où les soeurs et les détenues travaillaient ensemble aux champs, à la blanchisserie ou à la boulangerie. Les soeurs s'efforçaient également de les guider spirituellement pour que leurs journées et leur peine aient un sens. Et le système et cette maison d'arrêt ont fonctionné avec succès pendant 83 ans jusqu'en 1948 puis la mise en place du régime totalitaire dans notre pays dans les années 1950. »

« Les religieuses ont alors été dispersées, placées dans des usines ou regroupées dans des camps dans les régions frontières où elles étaient seulement autorisées à s'occuper des retraités ou de personnes handicapées, et tout cela afin qu'elles ne transmettent pas leur foi au reste de la population. La maison a, elle, été transformée en bureaux de l'Institut de recherches technologiques agricoles, l'église servait de garage pour les tracteurs et le bâtiment n'a jamais été entretenu. Puis tout a de nouveau changé après 1990. Avec le vent de nouvelle liberté qui soufflait sur notre société est apparu le désir d'introduire plus d'humanisme et de liberté dans le système pénitentiaire afin que celui-ce ne reste pas au niveau des années totalitaires. Notre congrégation a alors été sollicitée pour que notre maison soit restaurée de nouveau en prison. Mais parce que les soeurs sont peu nombreuses, nous avons certes accepté tout en décidant parallèlement de faire de la maison un centre d'accueil pour les malades où les femmes condamnées pourraient travailler au service des malades. C'est ainsi que s'accomplissent deux services pour deux groupes de gens dans le besoin. Et ce projet fonctionne très bien depuis maintenant onze ans. »

Actuellement, une cinquantaine de femmes, soit la capacité maximale, sont en détention dans la prison qui occupe une aile du bâtiment de la Maison Saint Charles. L'administration de la maison d'arrêt n'incombe cependant pas aux soeurs qui n'interviennent nullement dans le choix des femmes appelées à les rejoindre. Explications avec la Mère Supérieure, Soeur Miroslava :

« Les employés de notre prison se rendent à ce qui s'appelle des sélections dans d'autres prisons et là-bas, ils choisissent les femmes dont le profil est intéressant pour nous. Les femmes qui ont déjà été condamnées à plusieurs reprises ne peuvent pas nous convenir, car il y a un problème dans le caractère, la personnalité de la détenue. Inversement, il y a chez nous des femmes qui ont commis les délits les plus divers, parfois même les plus graves. Mais ce n'est pas une tragédie pour nous, car ces femmes ont elles aussi besoin qu'on leur donne une nouvelle chance de vivre. Nous ne savons pas pourquoi le délit a été commis, dans quelles dispositions morales, émotionnelles la femme se trouvait au moment du délit. Mais nous ne faisons pas de distinction entre elles et ne les classons pas selon la gravité de leur délit. Ces femmes doivent cependant être choisies et une commission décide ensuite de leur placement chez nous. Les détenues savent qu'elles viennent ici pour travailler et doivent porter en elles l'espoir de parvenir à leur réinsertion sociale. »

Si la réinsertion sociale est un objectif primordial, les soeurs s'efforcent également de servir de guides pour les femmes détenues, mais sans jamais vouloir imposer leur foi.

« Je pense qu'elles sont confrontées à de grands défis mais rien ne leur est imposé. Elles voient comment la vie se passe ici et elles savent qu'il y a une église. Certaines d'entre-elles consacrent leur temps libre le samedi au ménage de l'église. Elles affirment s'y sentir bien, qu'il y a quelque chose qui les apaise, les rassure, même lorsqu'elles ne sont pas du tout croyantes. Ensuite, elles nous aident à conduire les malades et les personnes âgées aux offices religieux et à les reconduire à leurs chambres, et bien entendu elles peuvent participer aux offices. Elles savent également qu'il y a un prêtre à leur disposition, elles croisent quotidiennement les soeurs qui travaillent et rendent visite aux personnes âgées. Enfin, elles sont autorisées à participer à toutes les manifestations culturelles, essentiellement des concerts, que nous organisons au cours de l'année. Et tout cela exerce une influence sur les femmes. Par le passé, deux d'entre-elles se sont faites baptiser. Pour le reste, il ne s'agit pas de conversions visibles, mais il est certain qu'elles sont imprégnées de quelque chose. Lorsque nous leur demandons ce que la vie dans la maison leur donne, elles nous remercient. Elles disent qu'elles se sont rapprochées d'une vie qu'elles n'auraient pas connue dehors si elles n'avaient pas été incarcérées. »

Aujourd'hui, la Maison Saint Charles ne pourrait poursuivre sa mission sans l'apport et l'emploi du personnel civil. Des employés conscients eux aussi de la particularité de leur profession et du rôle de la Maison, comme le souligne Soeur Miroslava :

« Les employés civils de notre personnel soignant ne viennent jamais travailler chez nous parce qu'ils désirent être au service des femmes incarcérées. Ils viennent parce qu'ils désirent travailler dans la santé et se mettre au service des malades et des personnes âgées. C'est vrai qu'un certain nombre d'entre eux sont attirés par le fait qu'il s'agit d'un établissement religieux, qu'il y a une église. Ils savent que nous réclamons plus de travail, notamment dans les rapports avec les personnes en chambre. Mais c'est justement ce qui leur plaît. Et lorsqu'ils rencontrent les condamnées, ils considèrent cela comme une évidence. Bien entendu, il y a parfois des problèmes et les employés se plaignent du comportement des prisonnières. Mais ils savent aussi que c'est une partie de la mission, de la vocation de notre maison. »

Face au déclin de la foi catholique, reste donc la question de l'avenir de la Maison Saint Charles et la transmission de sa vocation aux générations futures. Mais Soeur Miroslava se veut résolument optimiste :

« Vous savez, il est difficile de savoir de quoi l'avenir sera fait. Pour l'instant, notre congrégation est constituée d'une quarantaine de soeurs en mesure de travailler. Je suppose donc que si les services proposés restent d'aussi bonne qualité qu'ils le sont actuellement, il y aura toujours au moins une soeur ici. Actuellement, nous sommes 14 religieuses ici à Repy, mais trois seulement à travailler. Les autres ont plus de 80 ans et elles constituent en quelque sorte notre famille. Personnellement, je confie l'avenir à Dieu et si Lui veut que cette oeuvre se poursuive, Il fera en sorte qu'elle se poursuive et qu'il y ait au moins une ou deux soeurs. Car bien entendu, nous devons construire en comptant sur le personnel civil. Seules, nous ne serions pas en mesure de tout supporter, il y a quand même 70 employés ici. Mais si cette soeur parvenait à souder le personnel ici et à transmettre notre esprit, alors une soeur pourrait suffire. »

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