Le collectionneur Serge Bernard : « Les Tchèques ne savent pas ce qu’ils doivent au Sokol »

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Serge Bernard est français, mais il vit depuis trente-cinq ans à Munich, où il s’est installé, avec sa famille, en tant qu’agent général de prêt-à-porter féminin pour l’Allemagne et l’Autriche. Il y a plus de quarante ans, ce philatéliste passionné d’histoire est tombé, par hasard, sur des images des Sokols tchécoslovaques. Depuis, il a rassemblé une des plus importantes collections au monde consacrée à cette association de gymnastes, une collection de cartes postales, de vignettes, d’affiches, de photographies et d’autres documents encore et qui pourrait, dans le futur, donner lieu à un musée. Car pour Serge Bernard, le mouvement Sokol a une histoire fabuleuse, mais mal connue des Tchèques. Il nous en parle dans la seconde partie de cette émission spéciale, en évoquant, tout d’abord, les débuts de sa collection.

Serge Bernard,  photo: Sokol Munich
« Par hasard, j’avais acheté, dans le cadre de la collection philatélique toujours, un lot d’une cinquantaine de cartes postales à un ami qui avait besoin d’un peu d’argent. Je n’en avais a priori pas besoin, je les avais achetées pour lui faire plaisir. Il s’est trouvé que deux cartes postales représentaient le ‘slet’ (rassemblement des Sokols, ndlr) de 1901 à Prague. J’ai été fasciné par un stade noir de monde et une multitude d’athlètes qui faisaient un exercice. Vous savez, je suis français, j’ai une culture moyenne et donc je ne connais très bien que l’histoire de France. Je me suis demandé ce qu’était la Tchécoslovaquie, la Bohême. Je me suis demandé comment un petit pays comme celui-là avait pu faire une telle manifestation sportive en 1901. J’étais sidéré, ce fut pour moi, qui ne suis pourtant pas très sportif, une ouverture d’esprit. »

Alors vous vous êtes d’abord intéressé à l’histoire de Tchécoslovaquie, de la République tchèque, c’est ça ?

« Oui, enfin plutôt d’abord au mot Sokol, parce qu’autour de moi, dans le cadre philatélique, il y avait des Tchèques. Je leur ai demandé ce qu’était ce Sokol. Ils commencèrent à m’expliquer un peu. Je leur dit que je trouvais certaines cartes postales magnifiques, très jolies, très décorées - elles dataient d’à peu près 1920. Mais que je cherchais surtout à comprendre leur histoire, je suis alors rentré dans un processus d’étude du Sokol. Petit à petit, j’ai remonté le fil du temps du Sokol, de la création du Sokol, à Tyrš, Fügner et aux Eveilleurs. Pourquoi ces gens réussirent-ils à réunir tout un peuple de cette manière? Il y a autre chose qui m’a surpris : tous les Tchèques qui étaient autour de moi, qui vivaient en Allemagne depuis plus ou moins longtemps, n’avaient manifestement pas une approche semblable à la mienne, à travers l’étude que je venais de faire. En discutant, nous sommes tombés dans des histoires politiques : le nazisme, le communisme… J’ai essayé de leur expliquer ce qui me semblait le plus important : dans le cadre du mouvement Sokol, le peuple tchèque s’est levé d’un seul coup contre la monarchie, qui l’étouffait. »

Avez-vous pu rencontrer les Sokols aussi en Allemagne ?

« J’ai rencontré des Sokols en Allemagne. A Munich il y a deux clubs, qui naturellement, comme tout club, se disputent. J’ai rencontré des Sokols à Prague, en France, à l’occasion des conférences. Dernièrement, j’en ai rencontré aux Etats-Unis où je suis allé faire une conférence sur les Sokols à Chicago. Nous avons discuté avec une plus grande approche historique, plus pointue. »

Parlons à présent de votre collection, que réunit-elle exactement ?

« Ma collection a donc commencé bêtement avec des cartes postales. Je me suis cantonné à la recherche d’éléments-papiers, c’est à dire des cartes postales, des journaux, des lettres et des livres qui concernent les Sokols. J’ai une quarantaine d’albums et plus de 6000 cartes postales et documents. Je dois avoir la plus grande collection de vignettes du Sokol, j’en ai des récentes en provenance des Etats-Unis ou du Canada. J’ai plus d’une centaine d’ouvrages, des journaux, des revues en tchèque, en serbe, en slovène, en français, en anglais, en allemand. »

Est-ce qu’il a été difficile de se procurer tout ce que vous avez ?

Sokol à Cognac,  1918
« Oui et non, on tombe dans le domaine de la collection. Il y a des choses extrêmement banales que l’on peut trouver en quantité dans les magasins, chez les marchands de cartes postales, et qui n’ont de valeur que par leur beauté, leur qualité, et qui n’ont pas de valeur réelle sur le plan de la collection. J’ai par contre des choses rarissimes qui n’existent qu’en un ou deux exemplaires. C’est une collection qui date de 1962. Elle contient des cartes postales qui se succèdent sur tout le XIXème siècle, qui rappellent tous les déboires des ‘slety’ annulés par la monarchie, etc. J’ai voulu faire quelque chose d’éducatif, j’ai voulu surtout m’adresser aux enfants. J’ai fait des recherches en Croatie, j’ai découvert des choses inconnues de mes collègues et des Tchèques que j’ai rencontrés, comme l’existence d’un Sokol bosniaque, d’un Sokol musulman, d’un journal du Sokol de Casablanca… »

Avez-vous pu présenter votre collection aux enfants, puisque vous indiquez que vous la destinez surtout à la jeune génération ?

« Non, j’ai exposé deux fois en Allemagne, mais dans un cadre philatélique uniquement. J’ai présenté ce qui pourrait plaire aux philatélistes, ça ne s’adressait pas du tout aux enfants. Toute ma collection est bâtie sur un rêve, une utopie, qui serait de réussir à intéresser quelqu’un pour cette collection, quelqu’un qui puisse créer un musée adapté aux adultes et aux enfants. »

Donc vous imaginez un musée pour votre collection, quel sera son futur ?

« Depuis 40 ans, cette collection m’a couté beaucoup d’argent et je souhaite à présent la vendre. J’en voulais un certain prix, mais je m’aperçois que le temps passant, je ne la vendrai pas au prix que j’espérais. Je finirai par la vendre à celui qui m’en offrira le plus. »

Avez-vous essayé de contacter des institutions tchèques ?

« J’ai essayé de contacté des institutions tchèques, des mairies tchèques, mais on bute toujours sur le même problème, le financement. S’ils ont le bâtiment, s’ils veulent acheter la collection, je suis d’accord pour discuter le prix, mais après il faut quand même l’installer. C’est une collection de papier, qui se présente comme une collection de philatélie. Elle nécessite donc des cadres particuliers, vitrés, fermés, ça représente beaucoup d’argent. »

Serge Bernard,  photo: Sokol Munich
Avez-vous des acheteurs potentiels dans d’autres pays ?

« J’en ai parlé aux Américains qui, bien entendu, ne se précipitent pas. J’en ai parlé aux Français, mais on bute sur le prix. »

Donc c’est partout pareil… Quel est pour vous le rôle le plus important du Sokol ?

T.G.Masaryk,  1926
« C’est d’avoir donné au peuple tchèque une idée de son unité, c’est d’avoir réussi à grouper les Tchèques pour leur fierté, pour leur dignité, à les grouper en leur démontrant qu’ils n’étaient pas seulement les domestiques ou les cochers des Autrichiens, c’est à dire des Germains. Ils ont donné à leur peuple ce que n’avait pas su faire les Eveilleurs. Parce que les Eveilleurs étaient restés des intellectuels entre intellectuels, ils n’avaient pas touché le peuple. Mais Tyrš et Fügner par leur initiative vont toucher directement la petite bourgeoisie et le peuple. Dans l’espace des trois années qui suivirent la création du Sokol, des associations furent créées dans une quinzaine de villes ! Il faut voir ce que c’était à l’époque avec toute la monarchie qui essayait de les en empêcher. Il y a un autre aspect du Sokol qu’on a escamoté : on parle de Masaryk, un homme admirable et respectable, mais il ne faut pas oublier qu’il a réussi son opération de présentation et de création de la République tchécoslovaque grâce au Sokol. Si Masaryk a pu aller aux Etats-Unis, y tenir le langage qu’il y a tenu et y vivre, c’est grâce à l’argent du Sokol. Dans un pays qui ne savait même pas ce que le mot ‘démocratie’ voulait dire, ils créèrent une République. Cela a fonctionné parce qu’il y avait tout un tissu de la société tchèque qui était tenue par les Sokols. Chaque ‘sokolovna’ (salle de sport, ndlr) était un centre d’information, de discussion et même de gestion de cette République qui naissait. Je crois qu’aujourd’hui encore, les Tchèques ne savent pas ce qu’ils doivent au Sokol. »