La mémoire du général Pellé, symbole des relations franco-tchèques après 1918, rappelée au Musée de Roztoky

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A l’occasion du 28 octobre, jour de la fête nationale en République tchèque, nous vous proposons de revenir un épisode franco-tchèque de l’après Première guerre mondiale. Soutenue par la France et les pays victorieux de l’Allemagne, la création de la toute nouvelle Tchécoslovaquie en 1918 est allée de pair avec un soutien direct des grandes puissances sous diverses formes. L’une d’entre elles a été l’envoi par la France d’une mission militaire à Prague, chargée entre autres de former la nouvelle armée tchécoslovaque. A sa tête, un homme : le général Pellé dont le destin a été bouleversé par cette mission, à plus d’un titre. Une exposition au Musée de Roztoky, près de Prague, présente cette histoire qui aujourd’hui est également rappelée par sa petite-fille, Isabelle Sandiford-Pellé.

Lieutenant-général Josef Bečvář,  la curatrice Marcela Šášinková,  Isabelle Sandiford-Pellé,  l'ambassadeur Jean-Pierre Asvazadourian à l'exposition au Musée de Roztoky,  photo: Aleš Hůlka / Musée de Bohême centrale à Roztoky
Isabelle Sandiford-Pellé, vous êtes la petite-fille du général Pellé. Pour les générations d’aujourd’hui, ce nom ne dit peut-être pas grand-chose mais vous œuvrez justement à mieux faire connaître cette personnalité française du début du XXe siècle par l’intermédiaire d’ouvrages et d’expositions. Une question peut-être plus personnelle pour commencer, avant de parler du Général Pellé, pourquoi vous êtes-vous fixée cette mission de rappeler sa mémoire ?

« Au début, par le plus grand des hasards et en raison d’une série d’événements qui se sont produits depuis une dizaine d’années. C’est une aventure absolument extraordinaire à travers laquelle j’ai découvert non seulement un grand-père mais aussi beaucoup d’autres choses. J’ai découvert l’histoire, un autre métier. Ce grand-père, notre mère nous en a toujours parlé. Elle avait des vagues souvenirs qu’elle a énormément étalés, et qui restaient très abstraits pour nous. J’ai donc commencé à m’intéresser à l’affaire quand elle est tombée malade il y a une dizaine d’années. J’ai commencé à ranger ses affaires et à trouver une montagne de documents de toutes sortes que j’ai décidé de trier. Parmi ces documents, il y avait avant tout des dessins. Contrairement à ce que j’en savais, mon grand-père était un dessinateur extraordinaire. »

Général Maurice Pellé,  photo: Carnet de croquis/Général Pellé
C’est d’ailleurs ce qu’avait montré l’exposition qui lui était consacrée au mémorial de Verdun en 2012… On pouvait y découvrir nombre de ses dessins, souvent très humoristiques d’ailleurs.

« L’histoire de Verdun est drôle parce qu’elle n’avait pas du tout commencé par une exposition de dessins. Il y a trois ans, ce que les commissaires voulaient, c’était d’avoir l’histoire du général Pellé. Il a de multiples facettes qu’on n’a pas toutes découvertes. A Verdun, l’exposition traitait du rôle du général Pellé auprès du futur maréchal Joffre. En construisant l’exposition, on s’est rendu compte qu’on n’avait pas assez de choses et c’est là qu’on a décidé de mettre l’accent sur les dessins. »

Nous célébrons depuis l’an dernier, le centenaire de la Première guerre mondiale. La mémoire de votre grand-père, qui a combattu aux côtés du maréchal Joffre, est-elle commémorée dans le cadre de ces célébrations ou reste-t-il dans l’ombre de Joffre, comme le disait le titre de l’exposition de Verdun ?

Les professeurs à l’Ecole Polytechnique par M. Pellé,  photo: Carnet de croquis/Général Pellé
« En septembre 2014 a débuté une exposition à l’Ecole polytechnique sur encore une fois cette même thématique, mais en le traitant par le biais de son appartenance à cette grande école. L’exposition a duré six mois. Elle a été inscrite parmi les projets les plus importants de la mission du centenaire, était axée sur les grands polytechniciens dont Joffre était mais aussi Foch. Cette exposition a fait partie des événements qui ont donné le coup d’envoi du centenaire. »

Le Général Pellé est, après la Première guerre, envoyé en Tchécoslovaquie, pour former la nouvelle armée tchécoslovaque de la petite république naissante. Pourquoi a-t-il été choisi ?

« Il a été choisi parmi d’autres d’abord parce qu’il était considéré comme un des généraux de la victoire. Ensuite, parce qu’il avait une grande connaissance de la langue allemande. Il avait été attaché militaire à Berlin et donc connaissait très bien l’Allemagne. Le morcellement après la guerre nécessitait l’intervention des pays vainqueurs, tout autour de l’Allemagne pour lui faire barrage. Il y avait Berthelot en Roumanie, Henrys en Pologne et Pellé en Tchécoslovaquie, à cause de sa bonne connaissance de l’Allemagne en général, et parce qu’il était diplomate. »

Quelle était sa mission précise à Prague ? En quoi consistait la formation de l’armée tchécoslovaque ?

Maurice Pellé avec T. G. Masaryk,  photo: Carnet de croquis/Général Pellé
« La mission militaire au départ était une mission de conseil auprès du ministère de la Défense tchécoslovaque, pour armer un pays dont les soldats rescapés de la guerre avaient été partagés en deux camps. Il y avait les légionnaires tchécoslovaques et les soldats intégrés dans l’armée austro-hongroise. Ces derniers étaient terriblement démoralisés et démotivés. Il fallait construire une armée avec des éléments extrêmement hétéroclites. Puis, mon grand-père a été nommé chef d’Etat-major de l’armée à cause de l’invasion magyare dans le sud de la Slovaquie, ce qui a transformé la mission en vraie cheville ouvrière de cette armée. »

A-t-il rencontré des difficultés, notamment dans ses rapports avec les militaires tchécoslovaques ?

« Bien sûr. Il y a des dizaines d’ouvrages qui parlent de cette difficulté. D’après ce que j’ai pu balayer, ce n’était pas ce qui était le plus difficile. C’était plutôt vis-à-vis de son propre gouvernement en France, où les décisions n’étaient pas toujours faciles à envisager. La situation était complexe partout après la guerre. Les gens acceptaient difficilement de voir arriver des étrangers. Rien n’était clair… Donc il fallait avoir beaucoup de tact et de patience pour contourner les obstacles. Mais ce n’était pas plus les officiers tchécoslovaques que les autres. Et puis, Béla Kun, l’invasion magyare a été repoussée, politiquement surtout. Et Pellé en a récupéré la paternité. »

Le général Pellé a laissé une trace importante en Tchécoslovaquie. Il faut rappeler qu’à Prague qu’il a une rue qui porte son nom, de même qu’une villa qui rappelle qu’il y a vécu. Il n’est pourtant pas resté si longtemps sur place. Mais ce séjour en Tchécoslovaquie est un vrai tournant pour lui…

« Il est arrivé à l’âge d’or de la Tchécoslovaquie, qui n’a finalement pas duré très longtemps. »

Jarmila et Maurice Pellé | Photo: L'exposition Maurice Pellé - Zdenka Brauner,  chemins des destins entre la Bohême et la France/Musée de Roztoky
C’est à Prague qu’il va rencontrer votre grand-mère, Jarmila Braunerová, nièce de la peintre Zdenka Braunerová… Un autre tournant dans la vie de ce célibataire endurci…

« C’est le sujet de l’exposition. Une des facettes de mon grand-père, c’est qu’il était un incorrigible amoureux. Ma grand-mère n’était probablement pas son premier amour, mais en tout cas, le vrai et grand. C’est une très belle histoire. Ça a été la deuxième étape de mes travaux. Après avoir retrouvé des dessins, j’ai retrouvé pas mal de lettres qu’ils se sont échangées. Il était un esthète, il avait de la fantaisie… Ce qui transparaît dans les lettres en général, c’est des choses plus intimes. »

A-t-il appris le tchèque ?

« Un petit peu. Il a commencé plus vite que moi en tout cas ! Dans ses lettres, il échange avec ma grand-mère, il lui pose des questions sur la langue, et en retour, il lui donne des cours de grammaire française. Je pense que s’il avait eu l’opportunité de rester plus longtemps, il l’aurait appris très vite.

Quel était son lien avec la Tchécoslovaquie ? Est-ce devenu pour lui une seconde patrie ?

Maurice Pellé,  photo: Carnet de croquis/Général Pellé
« Totalement. Il a un peu tourné le dos à son pays. C’est une longue histoire, mais il n’a pas été le seul à être déçu notamment dans le milieu où il travaillait, parce qu’il y avait des luttes intestines parmi les siens et surtout avec les politiciens. Son rôle auprès de Joffre pendant la guerre lui a attiré énormément d’antipathie de la part des politiques qui ne supportaient pas d’être mis à l’écart des décisions stratégiques. Tout ceci mériterait un livre, car c’est passionnant. En tout cas, quand il est arrivé en Tchécoslovaquie, il a trouvé qu’il y avait une fraîcheur, une façon d’être qui était ce qu’il n’avait jamais connue : il a été élevé dans un milieu extrêmement sévère, de juristes et de militaires, dans l’esprit de la revanche de Sedan. Tout cela n’était pas très drôle. Son éducation militaire, les garnisons… au milieu de cela, ses bouffées d’air, c’était tout ce qui était artistique. En France, il était souvent invité dans les salons littéraires. Il était souvent au salon de la princesse Mathilde où ses intérêts étaient évidemment culturels. En Allemagne, il a fait partie de la bonne société et fait des choses intéressantes. Puis il y a eu la guerre. C’est quelqu’un qui arrive à 50 ans et qui n’a pratiquement vécu que pour sa carrière. Il arrive dans un pays où tout le monde est en liesse… Un homme de cet âge-là ne pouvait qu’être ému. C’est comme cela qu’il a perçu le pays. »

Depuis le 22 octobre jusqu’au 27 mars 2016, le Musée de Roztoky accueille une exposition qui est consacré au général Pellé. C’est un lieu très bien choisi puisque le musée est lié à la famille Brauner, la famille de sa femme…

« Tout-à-fait. Mon grand-père arrive en 1919 et très rapidement rencontre les personnalités du monde littéraire et artistique de Prague, parmi lesquelles la peintre Zdenka Braunerova qui était une fervente patriote. Ils sympathisent immédiatement. C’est une femme extrêmement chaleureuse et volubile. Elle l’invite un jour dans son atelier à Roztoky, où il rencontre une très jolie jeune fille, avec des fleurs dans les cheveux et qui chantent très bien. L’histoire de cette exposition commence avec ce noyau-là pour développer tout ce qui les a menés à ce moment-là. »

Que peut-on voir à cette exposition, sans trop en divulguer ?

« Comme son nom l’indique, Destins croisés entre la France et la Bohême, il s’agit du destin de Zdenka Braunerová, née en 1858 et de Maurice Pellé, né en 1863. Tous deux ont un parcours assez exemplaire. On les voit grandir, on voit leur milieu familial qui n’est pas si différent que cela, on les voit faire leurs choix très tôt sur ce qu’ils feront toute leur vie : elle avec le dessin et la peinture, lui la défense de sa patrie. L’exposition poursuit ce chemin parallèle qu’ils prennent jusqu’au moment où leurs chemins se croisent à Prague. »

Le général Pellé est un symbole des relations franco-tchèques. J’imagine que c’est important pour vous que cette exposition est lieu ici, en République tchèque…

« Je suis très fière, oui. Et puis, on est toujours dans les commémorations du centenaire de la Première guerre mondiale… Je pense qu’il y a encore beaucoup à dire. L’exposition se déroule sous le patronage de l’Etat-major. Je pense qu’ils sont très heureux de ce rapprochement. Ce sont les commémorations qui font que les gens se rappellent de notre histoire qui est si importante… »