Bilan politique 2016 - « Babiš est le point ultime du développement post-communiste à la tchèque »

Andrej Babiš, photo: Filip Jandourek, ČRo

Pour la première fois depuis 2002 et la fin du cabinet dirigé par Miloš Zeman, un gouvernement tchèque semble en mesure d’aller au bout de son mandat électoral. Intronisée en janvier 2014 et épargnée depuis par les affaires, la coalition formée par le social-démocrate Bohuslav Sobotka avec le mouvement ANO de l’homme d’affaires Andrej Babiš et le parti chrétien-démocrate, devrait rester stable et conduire la République tchèque jusqu’aux élections législatives prévues à l’automne prochain. Profitant d’une conjoncture économique favorable, ce gouvernement a continué, malgré les intérêts souvent divergents des formations qui le composent, de mener une politique très pragmatique tout au long de l’année écoulée. Maître de conférences à l’Institut d’études politiques de l’Université Charles à Prague, le politologue Michel Perottino dresse au micro de Radio Prague un bilan politique de cette année 2016 en République tchèque. Un bilan volontairement consacré aux affaires intérieures.

Andrej Babiš,  photo: Filip Jandourek,  ČRo
« La situation générale est paradoxale par rapport à l'histoire que nous avons vécue jusqu’à présent, c’est-à-dire que nous avons un gouvernement qui est vraiment stable, et ce même si on se rend compte, quand on y regarde de plus près, que la situation est un peu plus tendue en raison notamment de la perspective des prochaines élections. Ces tensions à l’intérieur du gouvernement ont tendance à augmenter. »

« Si on se retourne sur 2016, on peut dire que le système marche relativement bien, malgré certains problèmes bien spécifiques qui apparaissent comme la crise migratoire ou l’instauration du suivi électronique centralisé des caisses enregistreuses pour lutter contre l’évasion fiscale. Et puis ce qui a mis de l’huile sur le feu est que certains éléments du gouvernement ont commencé à régler le problème de la présence d’Andrej Babiš au gouvernement alors qu’il est un des principaux acteurs économiques dans le pays… »

Vous touchez là du doigt cette fameuse loi sur les conflits d’intérêts (cf. : http://www.radio.cz/fr/rubrique/faits/anti-babis-la-loi-sur-le-conflit-dinterets-a-ete-adoptee) …

« C’est effectivement une loi qui, aujourd’hui, vise essentiellement Babiš. Cette loi réagit à une situation qui, jusqu’à présent, n’avait pas posé de problèmes particuliers. On a toujours eu des ministres qui étaient économiquement très actifs, mais pas dans les proportions d’Andrej Babiš, tant en quantité avec son holding agro-industriel Agrofert que dans le sens où un acteur économique occupe une position-clé comme l’est celle du ministre des Finances. Il a ainsi accès à toute une série d’informations que le citoyen ou l’entrepreneur lambda n’a pas et ne peut pas avoir. »

Néanmoins, si l’on s’en tient aux sondages ou aux résultats des dernières élections régionales favorables au mouvement ANO, il semble que ce soit là une situation qui ne dérange pas plus que ça les Tchèques…

Photo: Filip Jandourek,  ČRo
« Non, parce que cela est, d’une certaine manière, tout à fait en accord avec l’ère du temps ou la logique post-communiste qui a été soutenue par tous les gouvernements précédents, et notamment par l’ODS (le parti libéral fondé par Václav Klaus au début des années 1990, ndlr), où la légitimité particulièrement forte des entrepreneurs, qui sont le pilier de l’économie et de la société post-communiste tchèques, était mise en exergue. Babiš est en quelque sorte l’expression ultime de l’entrepreneur qui a réussi, qui est riche, qui en tant que tel est supposé être incorruptible, et donc légitime pour gouverner. Sur le long terme, cette logique est défendue par tout le monde, à savoir que l’entrepreneur a vocation à faire de la politique sans être mêlé aux scandales de corruption. »

« Evidemment, cela ne peut pas marcher comme ça. Cela remet en cause aussi les principes mêmes de la démocratie tels que nous les connaissons depuis la fin du XIXe siècle. Dans le passé, on avait en effet plutôt tendance à écarter ce type d’acteurs pour miser sur l’égalité et sur la liberté, mais une liberté uniquement politique, et non pas politique et économique. Encore une fois, Babiš est le point ultime du développement post-communiste à la tchèque. »

Peut-on donc parler d’un gouvernement tchèque à deux têtes avec un Andrej Babiš au même niveau ou presque que le Premier ministre Bohuslav Sobotka ?

« Andrej Babiš n’est pas seulement ministre des Finances, il est aussi vice-Premier ministre. De ce point de vue-là, cela peut donc apparaître logique. Mais il convient là de contextualiser un peu la situation. A mon sens, Bohuslav Sobotka domine au sein du gouvernement ; pas dans le sens où il domine la coalition à proprement parler, mais dans le sens où il fait son travail. Ce gouvernement avec deux chefs est donc peut-être plus une apparence qui s’explique par le fait qu’Andrej Babiš est très présent et très actif notamment dans les médias avec un marketing politique très développé. Il donne son avis sur tout et il est très présent sur le devant de la scène. Mais quand on regarde les résultats et que l’on observe qui est vraiment capable d’avancer ses pions, on s’aperçoit que Bohuslav Sobotka n’est pas si ‘secondaire’ comme on a parfois tendance à le penser. »

Comment dès lors expliquer les critiques qui remettent en cause le statut de leader de Bohuslav Sobotka à l’intérieur de la social-démocratie (ČSSD), notamment depuis les résultats décevants des élections régionales et sénatoriales il y a quelques mois de cela ? Sait-il mettre en avant les résultats de son travail ?

Bohuslav Sobotka,  photo: Martin Svozílek,  ČRo
« C’est un style un peu particulier qui veut que l’on se place plutôt en retrait pour travailler dans les couloirs davantage que sous le feu des projecteurs. S’il est donc critiqué, c’est d’abord parce que la social-démocratie est en difficulté, et bien entendu Bohuslav Sobotka a sa part de responsabilité là-dedans. La seconde chose est que, comme tous les partis sociaux-démocrates ailleurs en Europe, la social-démocratie tchèque fonctionne avec différentes fractions qui sont toujours en concurrence ou en conflit. Le ČSSD n’est donc pas un groupe uni. Au milieu de tout cela, Bohuslav Sobotka a trouvé des appuis suffisamment importants pour être le chef du parti, mais il est parallèlement constamment remis en question. C’est là un mode de fonctionnement interne du ČSSD. »

Selon vous, Bohuslav Sobotka sera-t-il malgré tout le leader du ČSSD pour les prochaines élections législatives qui occupent déjà les esprits dans tous les partis ?

« Nous sommes effectivement déjà dans une sorte de pré-campagne électorale. C’est tout à fait clair quand vous observez les relations à l’intérieur du gouvernement entre la social-démocratie et ANO d’Andrej Babiš. Mais aujourd’hui, personne n’est en mesure de remettre en cause le primat de Bohuslav Sobotka. Il y a certes des personnalités importantes au sein du ČSSD, mais pas une d’entre elles ne saurait s’imposer comme nouveau leader et imposer une nouvelle ligne directrice. Le congrès de la social-démocratie au printemps prochain devrait le confirmer. Je vois mal qui, et pourquoi, pourrait remplacer Bohuslav Sobotka. Et puis l’autre question qui reste en suspens est celle concernant le président de la République avec des élections qui suivront peu après les législatives. C’est aussi ça l’enjeu dès aujourd’hui. »

Lors du récent bilan qu’il a fait de l’année écoulée, Bohuslav Sobotka a parlé de stabilité politique et économique. Sur ce dernier point, tous les feux ou presque sont au vert avec un faible taux de chômage, une croissance du PIB ou encore des investissements… Est-ce là le fruit du travail du gouvernement ou celui-ci profite-t-il de la conjoncture actuelle ?

Photo: Commission européenne
« La situation économique tchèque est très influencée par l’Union européenne, et plus encore par l’Allemagne. Quoique fasse le gouvernement, le résultat sera bon ou mauvais davantage en fonction de ce qui se produit à l’extérieur des frontières de la République tchèque que de ce qui se passe à l’intérieur. On l’a vu en 2006 et 2007 lorsqu’il n’y avait pas de véritable gouvernement en place. L’économie a continué à tourner et il n’y a pas eu de problèmes particuliers à régler. »