Migrations : « Seefar s’occupe des personnes les plus vulnérables »

Rabat, photo: Pline, CC BY-SA 3.0

C’est avec Eva Vyleťalová que débute une nouvelle série d’entretiens et de reportages consacrés aux Tchèques installés au Royaume du Maroc. Après avoir travaillé au sein de l’Organisation internationale pour les Migrations (OIM), Eva Vyleťalová a rejoint l’équipe de l’entreprise sociale Seefar, laquelle vient notamment en aide aux victimes de l’esclavagisme moderne. A Rabat, elle a raconté son expérience au micro de Radio Prague.

Eva Vyleťalová,  photo: Magdalena Hrozínková
Eva Vyleťalová, vous avez fait vos études en France, d'abord au Lycée Carnot de Dijon. Ensuite, vous avez étudié le droit à Aix en Provence et à Lyon. Vous avez aussi été en Ecosse et vous vivez depuis quatre ans au Maroc, où vous avez commencé à travailler dans le domaine de la migration...

« C’est la raison pour laquelle je suis venue au Maroc. Après avoir terminé mon master à la faculté de droit, où je me suis spécialisée dans le droit international et humanitaire, j’ai voulu avoir une première expérience professionnelle. J’ai fini par trouver un stage de quatre mois à l’Organisation internationale pour les migrations à Rabat. Ce stage avait pour but d’avoir une première expérience d’assistance directe aux migrants vulnérables, bloqués ici au Maroc, et qui sont dans une situation administrativement irrégulière. Je suis donc venue pour le stage de quatre mois qui s’est finalement transformé en contrat d’embauche. J’ai fini par travailler pour l’OIM pendant trois ans et depuis un an et demi environ je travaille pour l’entreprise sociale Seefar. La mission de notre entreprise est de donner le plus d’opportunités possibles aux personnes les plus vulnérables. Nous nous spécialisons thématiquement sur les sujets de la migration, de la traite des personnes et de l’inclusion sociale. »

Pour en revenir à vos débuts au Maroc, c’était quelques années avant le déclenchement de la crise dite migratoire…

Rabat,  photo: Pline,  CC BY-SA 3.0
« Oui, c’est assez drôle de l’entendre comme cela parce que, au final, ce que désormais nous appelons la crise migratoire, est simplement la médiatisation d’un phénomène qui existait avant, avec presque les mêmes nombres qu’aujourd’hui. Par la suite s’est ajouté le conflit en Syrie, un des pays qui accueillaient un nombre très important de réfugiés. Avec la guerre, il s'est transformé en pays producteur de demandeurs d’asile. C'est dans ce contexte que je suis arrivée au Maroc, en 2013, et c’était juste un mois avant que le roi Mohammed VI annonce la nouvelle politique d’immigration et d’asile au Maroc et donc c’était assez intéressant de voir les avancements et les envies d’avancements dans le cadre légal. »

En quoi consistait votre travail ?

« Moi je travaillais à l’Organisation Internationale pour les Migrations dans le programme d’aide aux retours volontaires et à la réintégration. Dans le cadre de ce programme, nous faisions de l’assistance directe aux personnes qui se sont retrouvées bloquées au Maroc et qui étaient, d’un point de vue administratif, dans une situation irrégulière et qui souhaitaient retourner dans leur pays d’origine. Nous faisions donc de l’assistance directe, ce qui consistait au suivi de chaque personne et notamment de faire aussi des identifications, car le Maroc est un pays où il y a beaucoup de types de migrations. Les migrations sont un phénomène compliqué d’un point de vue de la catégorisation des personnes. Quand on parle de réfugiés, on parle d’une personne qui a demandé l’asile et qui a eu le statut de réfugié, qui a fui une situation où sa vie a été en danger. Pour ces personnes, par exemple, on n’aurait jamais pu faire le retour volontaire car ces personnes ne bénéficient pas du retour volontaire avec l’OIM. Par contre, on assiste des gens qui sont venus au Maroc pour des questions économiques, ou qui, malheureusement, ont pu être victimes d’autres personnes, qui ont été enrôlées par tromperie et qui se sont retrouvées au Maroc malgré leur souhait. Le travail consistait à faire des entretiens, à identifier si parmi ces personnes on ne pourrait pas organiser le retour de certaines qui se trouvent dans une situation difficile au Maroc et qui souhaiteraient retourner dans leurs pays, mais qui peuvent aussi être dans une situation où leur retour les mettrait en danger. Le but était aussi d’éviter de mettre la personne en danger. »

Lorsque la situation s’est aggravée avec la guerre en Syrie et les flux migratoires assez importants vers Europe, est-ce que cela a influencé votre travail ?

Photo: Seefar
« Non pas vraiment, puisque pour savoir exactement le nombre de personnes, il aurait fallu avoir des données du Haut-Commissariat pour les réfugiés, qui est l’agence des Nations Unies qui s’occupe de la détermination des statuts de réfugiés. Pour les personnes venant de la Syrie, par exemple, c’est eux qui s’en occupait et non pas l’OIM pour qui je travaillais. En général, il n’y a pas eu de changements suite à cela, car la majorité des personnes qui fuient la Syrie ne vont pas forcément aller jusqu’en Europe. Ils s'installent, pour la plupart d'entre eux, dans les pays voisins de la Syrie : au Liban, en Jordanie ou en Turquie. Par rapport à ce très grand nombre de réfugiés syriens qui ont effectivement dû fuir leur pays à cause du conflit armé, il y a juste une toute petite partie qui vont aller jusqu’en Europe. D’un point de vue européen, le phénomène a été beaucoup médiatisé. En regardant les chiffres concrets, nous nous rendons compte que certes, il y a eu un plus grand nombre de personnes qui ont demandé l’asile en Europe, mais c’est toujours minime par rapport à des pays qui les accueillent majoritairement, à savoir les pays voisins de la Syrie. »

Actuellement, vous êtes toujours dans le domaine des migrations et des droits de l’Homme…

« Plutôt des migrations oui, de l’inclusion sociale et de la traite des personnes puisque cette dernière est en fait liée à la migration. »

Dans le cadre de votre travail pour Seefar, que faites-vous exactement ? Comment est organisé le travail ? Vous êtes plusieurs à travailler au sein de cette organisation, mais vous n'avez pas de bureau permanent.

Photo: Seefar
« Seefar est une entreprise sociale créée en 2014. Nous sommes assez modernes dans notre manière de travailler, dans le sens où nous travaillons à distance et donc nous n’avons pas besoin d’un bureau concret d’un point de vue technique. Ensuite, au niveau de la spécialisation, notre mission estde faire en sorte que ceux qui sont les plus vulnérables aient le plus d’opportunités pour améliorer leur vie. On va faire ça par le biais de différents services, nous faisons des études de recherches, nous faisons des campagnes de communication et aussi tout ce qui est suivi et évaluation et cela sur trois thématiques principales : migrations, traite des personnes et inclusion sociale. Au niveau géographique, on se focalise en Afrique et surtout sur la Corne africaine. Par exemple, nous faisons des campagnes de communication en Ethiopie et au Soudan pour mieux informer les personnes des risques des migrations irrégulières et des alternatives de migration légale. Nous agissons aussi dans le nord et dans l'ouest de l'Afrique, nous avons effectué des études de recherche en Libye et nous avons quelques activités là-bas. Nous nous focalisons aussi au Proche-Orient, en Afghanistan et en Asie du Sud-Est, principalement en Indonésie. »

Et vous concrètement que faites-vous ?

« Je suis membre de l’équipe de recherche et je suis analyste. »

La traite des personnes c’est un sujet dont on parle peu en République tchèque. Comment est-ce que vous travaillez sur ce problème ?

Photo: Seefar
« Après avoir fait des études de recherche, nous avons par la suite lancé deux campagnes de communication pour la prévention de la traite, ciblées sur certains types de populations qui vont avoir plus de risques de se faire tromper et par la suite de se faire exploiter et ainsi de tomber dans le schéma de l’esclavagisme moderne. En ce moment, nous travaillons principalement par ce moyen. »

Il s’agit le plus souvent de femmes, d’enfants ?

« La traite des êtres humains dépend de chaque région dans le monde, cela peut toucher autant des femmes que des hommes ou des enfants et le type d’exploitation peut être différent. Ça peut être de l’esclavagisme moderne par le biais du travail forcé, les hommes peuvent être très souvent sujets à ce type d’exploitation notamment dans les constructions et cela existe dans le monde entier. A l’époque où je travaillais pour l’OIM au Maroc, nous avons pu avoir des soupçons de potentielles victimes de traite qui viendraient du Nigeria et qui se feraient exploitées sur la route en vue de partir en Europe. En ce moment même, nous faisons aussi une campagne de communication au Nigeria pour la prévention de l’esclavagisme moderne. »