L’école d’été de Dobruška: renouer avec ses racines tchèques

Na kurzu češtiny v Dobrušce, foto: autorka

Depuis 19 ans, la petite ville de Dobruška accueille chaque mois d’août une trentaine de personnes venues du monde entier pour apprendre la langue tchèque. D’autres écoles d’été d’études slaves sont organisées dans plusieurs villes du pays, mais celle de Dobruška a la particularité de rassembler des élèves un peu spécifiques, puisque presque tous ont un parent, proche ou éloigné, d’origine tchèque. Cette année, l’école a reçu de nombreux « latinos » venus principalement d’Amérique centrale et du sud. Certaines familles viennent également au complet, comme ces trois élèves israéliens qui forment ensemble trois générations. La grand-mère est née en Slovaquie en 1919, de parents tchécoslovaques, avec qui elle a quitté le pays en 1939. Elle a été accompagnée dans ce séjour par son fils et sa petite-fille d’une quinzaine d’années. Nous avons aussi rencontré à Dobruška Sonia Chemli, qui est institutrice et qui vient de Tunisie.

Sonia Chemli
« Mon père était en 1968 à Zlín, ancien Gottwaldov, en Moravie. Ma mère est d’origine morave. Ils se sont connus. Mon père est resté six mois. C’était un coup de foudre. Ma mère est allée en Tunisie en 1969 pour voir comment ça se passait et ils se sont mariés. Puis, je suis née en 1970. Ma mère est en Tunisie depuis 40 ans. Elle s’est très bien adaptée. Elle a été très bien accueillie par la famille de mon père, pas son beau-père, sa belle-mère et toute la famille. Et elle s’est intégrée. »

Vous a-t-elle transmis sa langue ?

Dobruška
« Oui, quand elle est venue en Tunisie, elle ne parlait ni français, ni arabe. Et mon père ne connaissait pas la langue tchèque. Quand je suis née, elle parlait avec moi en tchèque. Et je lui ai parlé en tunisien, c’est-à-dire le dialecte, et ainsi je lui ai appris le tunisien et elle m’a appris le tchèque. C’était un peu un échange. Ensuite, j’ai commencé à lire un petit peu parce que c’est tout-à-fait différent de la langue française. En deuxième langue, on apprend le français en Tunisie. A la maison, c’était un bouillon : un mot tunisien, un mot français, un mot tchèque. Et tout est très différent, la prononciation, l’alphabet etc. A l’âge de 12 ans, je me suis dit que je pouvais lire un peu. Grâce à la phonétique, j’ai un peu appris à lire et à écrire en tchèque. Mais je ne connaissais pas la grammaire. Je m’intéresse beaucoup aux langues ; je suis en train de terminer ma maîtrise en langue française et je vais peut-être faire un troisième cycle à la Sorbonne. Donc pourquoi ne pas faire quelque chose avec le tchèque, et le français. C’est un rêve. »

Quand êtes-vous venue pour la première fois en République tchèque ?

« J’avais trois mois. Chaque année, on passe des vacances chez ma grand-mère à Uherské Hradiště, à 30 km de Zlín et à 60 km de Brno. J’y étais presque tous les ans, même avec mes enfants et mon mari. Je passe les vacances ici pour fuir la chaleur en Tunisie pendant l’été. »

Vos enfants parlent-ils tchèque et communiquent-ils avec leurs grands-parents en tchèque?

« Ils comprennent parfaitement. Ils parlent quand ils sont seuls, ils font l’effort. Mais quand on est là, on est là pour faire l’intermédiaire donc ce n’est pas évident. Mais je pense que plus tard, quand mon fils aura 18 ans – il a 16 ans maintenant – je l’enverrai ici pour les cours de grammaire. C’est très intéressant et la grammaire tchèque est très difficile, je dois le reconnaître. »

Vous avez baigné dans la langue tchèque toute votre vie, vous n’avez pas connu de rupture puisque vous êtes revenue souvent ici. Je m’attendais à rencontrer quelqu’un qui avait appris avec sa mère mais qui arrive 10 ou 15 ans après et qui se retrouve confronté à une langue légèrement différente que celle qu’elle avait apprise. Or ce n’est pas votre cas. Vous connaissez bien la langue et j’imagine que vous parlez très bien ?

« Oui, mais avec beaucoup de fautes de grammaire, mais ce n’est pas de ma faute parce que je n’ai jamais appris les règles de grammaire. Mais je commence à me corriger et ici, c’est très bien pour nous. Les organisateurs et les professeurs s’intéressent à nous. Ils nous apprennent beaucoup de choses. Nous faisons des excursions, nous allons voir des châteaux. C’est très bien et enrichissant. »

Est-ce que c’est important pour vous justement d’apprendre à connaître la culture tchèque, au-delà de la langue ?

« Je me suis toujours intéressée à la culture tchèque. Ça me plaît ici, comment les gens vivent. C’est tout-à-fait différent de chez nous. C’est même différent de la France. J’ai toujours aimé, ça m’a toujours attiré. Je me suis aussi un peu intéressée à la politique tchèque, à l’histoire. Et en classe, on écoute, on est attentif. »

Qu’est-ce qui vous paraît le plus difficile dans la grammaire tchèque ?

« Le ‘i’ et le ‘y’. Il y a des mots où on écrit ‘i’ et d’autres ‘y’. Et il y a plein de règles à apprendre, et ce n’est pas une règle générale. On peut prendre par exemple le mot ‘hrad’ (le château), auquel il faut trouver toutes les déclinaisons. La même chose avec ‘žena’ (la femme) et ‘muž’ (l’homme). C’est difficile et c’est nouveau pour moi. La langue arabe est beaucoup plus difficile mais comme c’est ma langue maternelle, je n’ai pas de problème. C’est beaucoup plus difficile que le français, alors que la grammaire française est difficile. »

Vous connaissez très bien les cultures arabe, française, et tchèque. Quelles sont les plus grandes différences de caractères nationaux que vous avez pu trouver entre ces trois cultures ?

« Le tempérament. Ça n’a rien à voir. Les Tchèques sont beaucoup plus simples, et ça me plaît beaucoup. Je ne l’ai pas trouvé ni en Tunisie, ni en France, ni en Italie. C’est beaucoup moins stressant ici. J’aimerais beaucoup vivre ici. »

Même en hiver ?

« Je ne sais pas, je n’ai pas essayé… si c’est chauffé… »

On va reparler de l’école d’été. Concrètement, qu’est-ce que vous avez fait pendant un mois ?

« On commence notre journée à 7h. On déjeune jusqu’à 8h. De 8h à midi, c’est l’école. On part ensuite déjeuner au restaurant universitaire. On reprend à 14h jusqu’à 15h30 ou 16h. Ensuite, il y a des excursions. »

Qu’est-ce qui vous a le plus plu dans ces excursions ?

« Les châteaux. En Tchéquie, ils ont 240 châteaux. C’est un conte de fée pour chaque château. C’est toute une histoire, les meubles, tout est très beau. »

Il y a aussi des légendes ?

« Oui, et on en trouve de toutes les cultures. »

Babiččino údolí
Quel est le château qui vous a le plus plu ?

« Babiččino údolí. C’est très beau, comme château et comme histoire. C’était une grand-mère qui a créé ce château petit à petit avec ses petits-enfants (dont l’auteur du roman « Grand-mère » - Babička- Božena Němcová, ndlr). Ils y ont vécu. Il y avait un moulin traditionnel. L’endroit et l’histoire m’ont beaucoup plus. »

Vous êtes nombreux dans cette école d’été, vous venez du monde entier. J’imagine que vous avez créé des liens avec certaines personnes. Comment cela s’est-il passé ?

« On était de 36 pays. Nous étions très différents – religions, habitudes – mais on a laissé tout cela de côté. Ici, on est vraiment une famille. »

Photos : Milena Štráfeldová