Le théâtre à l’école : « Il est très important de développer les capacités des enfants dans plusieurs sens »

Photo illustrative: Václav Flegl

La pratique théâtrale est bien plus qu’un simple divertissement. Elle permet de développer la personnalité, la communication, la créativité, la concentration, la réflexion. Bien que le jeu dramatique ne soit pas une matière obligatoire des cursus scolaires, il est de plus en plus apprécié par les experts en matière d’éducation. Pour parler davantage de l’évolution du théâtre dans les écoles tchèques, Radio Prague a rencontré Jaroslav Provazník du département de l’éducation dramatique à la DAMU, l’école de théâtre de Prague. Jaroslav Provazník, qui a des années d’expérience avec les pratiques théâtrales en classe, a commencé par expliquer ce que c’est le jeu dramatique :

Jaroslav Provazník,  photo: archives de DAMU
« Le jeu dramatique n’est pas la même chose que le théâtre. C’est une matière dans laquelle les élèves peuvent entrer dans le rôle, peuvent interpréter des personnages fictifs. Par ce biais, ils peuvent développer leur créativité. Ils peuvent découvrir la position de quelqu’un dans une certaine situation, ils peuvent voir les choses de différents côtés. Le jeu dramatique est quelque chose d’assez important dans la vie de l’enfant. Si on regarde les programmes de nos écoles, on voit que l’enseignement des arts plastiques et de la musique est quelque chose de tout à fait normal. Cependant, pendant très longtemps, le théâtre n’était pas présent dans les écoles tchèques. »

La situation est plus ou moins similaire en France…

« De ce que je sais, la situation actuelle en France est assez semblable. Il y a aussi un mouvement assez important qui pousse pour l’entrée du théâtre dans les écoles. Ce qui est différent, c’est qu’en France ce mouvement est basé sur le partenariat. C’est-à-dire que les écoles françaises ont des contacts avec les théâtres, avec les acteurs, avec les metteurs en scène, qui viennent de temps à autre dans les écoles et font des ateliers. Tandis que chez nous, on forme systématiquement les enseignants pour qu’ils puissent travailler avec les enfants pendant plusieurs années, en enseignant la matière, le jeu ou l’éducation dramatique comme on l’appelle chez nous. »

Vous avez dit qu’il y avait une pression pour introduire le théâtre à l’école aujourd’hui. Est-ce que vous voyez une évolution dans ce sens ces dernières années ?

« Oui. Il y a plusieurs décennies, on avait tendance à voir l’école comme un appareil de transmission des connaissances vers les têtes des enfants. Maintenant, de nombreuses personnes réalisent qu’il est très important de développer les capacités des enfants dans plusieurs sens. Je veux parler des capacités complexes : la créativité, l’expression corporelle, l’expression orale, à travers les pratiques, et pas seulement verbalement. On peut le voir très bien dans nos écoles. Beaucoup d’enseignants transmettent encore les connaissances relatives au théâtre seulement verbalement, c’est-à-dire qu’ils enseignent en disant ‘Molière est né telle année, a écrit ceci’. Or pour comprendre l’essentiel du théâtre, il faut pratiquer le jeu dramatique. Il faut entrer dans les situations fictives, dans les rôles, il faut incarner les personnages fictifs pour toucher véritablement le fond du théâtre. »

Revenons au concept du jeu dramatique. Où, quand et comment est-il né ?

Miloslav Disman,  photo: archives de ČRo
« On pourrait revenir au Moyen-âge, durant lequel des écoles essayaient d’enseigner le latin à travers les pantomimes. Il y a bien sûr les jésuites, ou chez nous Jan Amos Komenský, dit Comenius, qui a créé le concept de schola ludus, l’école par le jeu. L’éducation dramatique moderne commence quant à elle au début du XXème, surtout en Amérique, mais aussi en France avec l’éducation nouvelle et les écoles alternatives. En République tchèque, cela a commencé dans les années 1920, avec quelques écoles alternatives, grâce à Miloslav Disman. Après la Seconde Guerre mondiale, certaines personnes tentent de travailler dans le domaine du théâtre joué par les enfants. Il y avait surtout Hana Budínská à Prague, Jindra Delongová à Brno et Josef Mlejnek à Vysoké Mýto, une petite ville de l’est de la Bohême. »

« Ces gens, dès les années 1950, ont commencé à développer le théâtre joué par les enfants, de manière très innovatrice. Dans les années 1960, avec l’assouplissement du régime, Eva Machková, personnalité-clef pour l’éducation dramatique tchèque, a créé un journal intitulé L’éducation théâtrale, et a mis en réseau les gens qui travaillaient avec les enfants dans ce domaine. Elle s’est également rapprochée des confrères anglais pour créer une véritable éducation dramatique tchèque moderne. Depuis le commencement des années 1970, nous avons le festival national des troupes d’enfants, qui s’appelle aujourd’hui Scènes d’enfants. Cela se déroule désormais à Svitavy, à l’est de la Bohême. Nous avons également un journal spécialisé dans l’éducation dramatique et une association du drama créatif, comme on l’appelle. Il y a deux départements spécialisés dans la formation des futurs enseignants d’éducation dramatique, dans les écoles de théâtre de Prague et de Brno. »

Ce développement s’est-il poursuivi sous le communisme ?

« Oui, c’est un paradoxe. Quand on a créé le festival national des troupes d’enfants, avec des ateliers pour les enseignants, les communistes voyaient cela comme quelque chose de ni très important, ni très visible. On a eu, avec ce festival, un espace de liberté. Mais c’était le commencement d’un mouvement qui s’est surtout développé après la chute du communisme. Avant 1989, l’éducation dramatique chez nous existait seulement au travers du théâtre joué par les enfants après la classe. Après la chute du communisme, elle est entrée dans les écoles. On a poussé le ministère de l’Education à rédiger des programmes incluant l’éducation dramatique, on a commencé à former des enseignants. »

L’éducation dramatique existe sous deux formes : les activités théâtrales peuvent être travaillées à l’école dans le cadre de cours spécifiques ou bien certaines méthodes du jeu dramatique peuvent être employées par exemple dans des classes de langues, de littérature, d’histoire etc. Concernant cette dernière forme, comment peut-elle être réalisée ?

Photo illustrative: archives de Radio Prague
« Il est vrai que l’emploi des techniques d’éducation dramatique dans d’autres matières est assez répandu dans nos écoles. Dans le travail avec les petits enfants de six à dix ans, il y a des leçons pendant lesquelles les enfants peuvent jouer certaines situations de l’histoire, prendre le rôle de certains personnages. Par le geste, l’action, la voix, on peut entrer dans l’histoire beaucoup plus profondément. On peut utiliser les images fixes : entrer dans une situation sans bouger, sans voix, ou alors travailler sur les idées d’un personnage, dire ce qu’il pense à un moment précis. »

Quant à la matière éducation dramatique en tant que telle, que certaines écoles commencent à introduire, comment les élèves la travaillent-elle ?

« Quand cette matière commence dans la première classe, c’est-à-dire à six ans, c’est d’abord pour travailler la concentration. Il y a des jeux spécifiques, pour étudier le mouvement, ou pour représenter des scènes fixes, par exemple. Petit à petit, les enfants essayent d’incarner les personnages, de reproduire les scènes. Dans les classes supérieures, les enfants peuvent aussi préparer des représentations, ce qui fait partie du programme d’éducation dramatique. Dans la dernière classe, les enfants vont au théâtre, et discutent des représentations qu’ils ont vues, ils essayent de rédiger des critiques. »

Est-ce que les parents et les directeurs d’écoles considèrent cette matière comme importante pour le développement de l’enfant, ou est-ce toujours vu comme inutile ou comme du temps perdu ?

« Cela varie selon les écoles. Dans certaines d’entre elles, on coopère avec les parents, on les invite pour qu’ils voient eux-mêmes ce à quoi correspond l’éducation dramatique. Ils peuvent voir les représentations préparées par les enfants ou les leçons ouvertes. Dans ces écoles, les parents voient que c’est quelque chose de très important, qui manquait dans les écoles. Si l’enseignant ou le directeur de l’école voit l’enseignement dramatique comme quelque chose de peu important, c’est également visible dans la perception de cette matière par les parents. »