Le filet à provisions, une invention tchèque qui revient à la mode

Photo: Česká síťovka

Accessoire privilégié des Tchèques pendant de longues décennies, le sac plastique est tombé en disgrâce dans le pays, notamment après l’interdiction de sa distribution gratuite dans les magasins, en 2018. De plus en plus nombreux sont ceux qui le remplacent par le bon vieux filet à provisions : cette invention tchèque, vieille de presque cent ans, est de retour sur le marché local, tel un produit relooké et chic qui a pour ambition de conquérir le monde.

Photo: Magdalena Hrozínková

Nous sommes dans la boutique pragoise de la marque « Česká síťovka ». C’est une société créée en 2012 par Karolína Pechová avec pour objectif de ressusciter et de revisiter le sac filet (‘síťovka’ en tchèque) qui a connu son heure de gloire sous le communisme. Mais son histoire est plus ancienne, elle remonte à 1926, comme nous le raconte Karolína Pechová :

Karolína Pechová,  photo: Magdalena Hrozínková
« Cette année-là, le Tchèque Vavřín Krčil a fabriqué le premier sac filet. C’était dans la ville de Žďár nad Sázavou, où il avait un atelier de fabrication de filets pour cheveux qu’il exportait dans le monde entier. Mais avec la mode des cheveux courts, son commerce n’a plus très bien marché. Voilà qu’un jour, il a eu l’idée de rajouter des anses à ce filet et de le transformer en un sac à commissions. Son invention a eu un grand succès même à l’étranger : il a exporté en Allemagne, en France, au Canada ou en Suisse. Mais comme Vavřín Krčil n’avait aucun brevet international pour son invention, le sac filet a été copié et fabriqué un peu partout dans le monde… »

L’atelier de Vavřín Krčil a été nationalisé par les autorités communistes en 1948, mais la fabrication de sacs filets a persisté dans le pays sous l’ancien régime :

Photo: Česká síťovka
« Sous le communisme, il n’y avait quasiment rien d’autre. Je crois que cela pouvait d’ailleurs gêner les gens que tout le monde puisse voir le contenu du sac, lorsqu’il leur arrivait par exemple de trouver un produit rare… En Tchéquie, le filet à provisions a toujours cette image de ‘sac de l’époque socialiste’. Mais ce que nous produisons aujourd’hui n’a rien à voir avec le passé. Surtout, nos produits sont de vrais accessoires de mode et pas seulement des objets utilitaires. »

Pourtant, c’est l’aspect pratique (et écologique) du sac filet qui a séduit Karolína Pechová au point qu’elle a décidé de le fabriquer elle-même :

« J’étais encore très jeune, mais je me souviens que le sac plastique avec une marque étrangère était quelque chose de très précieux, presque sacré pour les Tchèques avant la révolution de Velours. A partir des années 1990, notre pays a été submergé par ces sacs en plastique. Je les détestais et lorsqu’un jour, ma grand-mère m’a demandé d’aller faire des courses, j’ai refusé d’en prendre un. Alors elle a sorti plusieurs sacs filets, dont un qu’elle a fabriqué elle-même et un autre qu’elle avait reçu en cadeau de la part de son admirateur bulgare. Je les ai trouvés très beaux, mais très petits. Ma grand-mère m’a expliqué qu’en fait, ces sacs étaient extrêmement extensibles ! »

La « síťovka » n’est pas un filet de mémé

Photo: Česká síťovka
Pliable, résistant, lavable, réutilisable à vie et souvent recyclable, le sac filet sert donc notamment à rassembler les provisions du marché ou du magasin, mais aussi à emporter toutes sortes d’objets qui peuvent peser jusqu’à 20 kg en moyenne. Ces qualités ont amené plusieurs entreprises tchèques à se lancer dans la production des filets à provisions, mais ces projets ont pour la plupart échoué. Ainsi, la société Česká síťovka qui ne compte que quelques employés, est l’un des rares fabricants de sacs filets en République tchèque. Le projet mis en œuvre par Karolína Pechová a également une dimension sociale :

Photo: Česká síťovka
« J’ai eu l’idée de faire participer à ce projet une organisation caritative. Tous les sacs sont faits à la main, dans plusieurs ateliers protégés dans la région de Bohême centrale. Ces ateliers emploient des personnes avec un léger handicap mental. Puis, nous collaborons aussi avec cinq couturières qui fabriquent les sacs chez elles. Elles arrivent à coudre deux à six sacs par heure. En ce qui concerne les sacs de luxe, qui sont entièrement fabriqués à la main, avec des techniques spéciales, la fabrication dure environ cinq heures. Le design est créé par notre société et nous colorons les sacs nous-mêmes. Nous avons réinventé le filet à provisions pour qu’il plaise aux jeunes, nous n’avons pas voulu juste en faire une marque vintage. »

En coton pur, parfois mélangé avec de la fibre synthétique ou alors faite de fibres de bambou, la « česká síťovka » a des couleurs vives. Il y en a pour tous les goûts : des sacs à dos, des sacs plus classiques ou en version « baluchon », avec un filet dense ou même équipés d’une pochette… En sept ans d’existence, la société fondée par Karolína Pechová a vendu plus de 700 000 sacs sur le marché tchèque, ainsi qu’aux Canaries, en Italie et en Australie.

Photo: Česká síťovka