Ils forment un couple franco-tchèque et jusqu’ici, tout va bien

Photo: Štěpánka Budková

Ils sont en couple depuis cinq, huit, dix-sept ans ou bien plus encore. L’un parle tchèque, l’autre français. Ils ne viennent pas du même pays, n’ont pas grandi dans le même monde, ne partagent pas la même culture, mais leur vie oui. Parmi eux, une centaine se marient chaque année en France ou République tchèque pour le meilleur et pour le pire. Ils forment un couple franco-tchèque et jusqu’ici, tout va bien. Voici un petit tour d’horizon des différences (pas si insurmontables) qui composent de manière assez classique le quotidien des Tchèques et des Français ayant choisi de croquer la vie ensemble.

Photo: Štěpánka Budková
Avec une proportion d’environ un pour dix en République tchèque et quinze pour cent en France, les mariages mixtes, autrement dit les mariages dont l’un des conjoints est de nationalité étrangère dans un pays donné, ne sont plus les objets amoureux non identifiés qu’ils étaient encore il y a trente ans. Si les Tchèques se marient en premier lieu avec des Slovaques et des Allemands, et les Français avec des Portugais et des Anglais – pour ne citer que les mariages entre ressortissants de l’UE –, il arrive également, mais beaucoup plus rarement, que des Français et des Tchèques se disent oui. La moyenne tourne autour de quarante couples par an en France, un peu moins en République tchèque ; un chiffre stable depuis 2008, mais en baisse depuis l’an 2000. Alena a rencontré Marc en décembre 1989 dans un bar en Suisse. Elle se souvient :

« À l’époque, la République tchèque n’était pas membre de l’Union européenne, donc la contrainte, si on voulait rester ensemble, c’était une question de visa. Aujourd’hui, les gens restent juste « ensemble », nous on s’est marié tout de suite. »

Bien sûr, tous les couples mixtes ne se marient pas, mais selon l’Insee, en 2009 en France, ils représentaient 10% des mariages contre 2% des pacs seulement. Quant aux couples mixtes vivant en concubinage, nous n’avons pas trouvé de statistiques.

Pour réaliser cette émission, nous avons interrogé cinq couples franco-tchèques. C’est évidemment trop peu pour être objectif, mais suffisant pour se rendre compte des différences les plus courantes. Tous résident en France. Ils ont entre cinq et dix-sept ans de vie commune derrière eux. Trois d’entre eux sont mariés, un autre pacsé, le dernier vit en concubinage. Ces cinq couples ont trouvé l’âme sœur sous une écorce étrangère. Peut-on parler de choc culturel dans le cas des couples franco-tchèques ? Antoine, l’un des interrogés, observe :

« Je pense qu’entre la France et la République tchèque, y a un feeling relativement bon, avec en même temps une énorme différence culturelle surtout matérialisée par la langue et par le passé de ces cinquante dernières années où on a vécu deux réalités complètement différentes. »

Helena, sa compagne, poursuit :

« Tout est différent. Même les dessins animés qu’on regardait quand on était petit, on n’en a pas un en commun. »

Photo: Archives de Radio Prague
Des références radicalement différentes : c’est en effet l’un des lots des couples binationaux, au-delà de la différence de langue ou encore de l’éducation. Pour les couples franco-tchèques issus de la génération « Rideau de fer », le fossé est d’autant plus grand, bien qu’aujourd’hui, dans la vie de tous les jours, sur le plan du travail, des loisirs, de l’art et de la consommation, la société tchèque et la société française soient très similaires – et ce malgré un écart dans les niveaux de vie. De choc culturel, on ne peut donc guère parler. En termes de religion, la France et la République tchèque partagent les mêmes racines chrétiennes. En l’occurrence, sur les cinq couples interrogés, les seuls ayant vécu quelques difficultés d’acceptation de leur entourage sont issus d’une famille athée côté tchèque et musulmane côté français. Kateřina raconte :

« Au tout début, notre mariage n’a pas été très bien accepté. Par contre, très rapidement après, quand nos belles-familles ont appris à nous connaître, c’est tout le contraire qui s’est produit, et maintenant ça se passe extrêmement bien, en tout cas ma famille adore mon mari ! »

Si, au sein d’un couple non mixte, l’apprentissage des différences commence surtout au moment d’emménager ensemble, les couples mixtes vivent a fortiori cette étape dès leur rencontre. Avec le temps, certaines différences culturelles ont tendance à s’estomper, d’autres pas...

Passés les premiers clichés que les binômes franco-tchèques peuvent susciter chez leur entourage (les amis de Jérémy provoquant par exemple gentiment Eva : « Comment ça, tu n’aimes pas la bière ? » ou bien la famille de Vincent accueillant Lucie : « Alors comment ça va en Tchécoslovaquie ? »), le second cap à franchir est sans doute la différence de langue et les malentendus qui vont avec. Lucie ajoute :

« Quand on est en République tchèque, pour moi ce ne sont pas vraiment les vacances parce que je dois traduire tout le temps. »

Ayant l’habitude de fréquenter la communauté franco-tchèque à Paris, Antoine observe pour sa part :

Photo: Štěpánka Budková
« Pour la personne française, c’est toujours un peu le challenge d’apprendre le tchèque. Y a des niveaux qui sont plus ou moins avancés suivant la motivation du partenaire. Mais c’est vrai que, souvent, c’est plutôt le Tchèque qui parle bien les deux langues que l’inverse. »

La liste des différences entre Tchèques et Français est évidemment subjective et pour cette raison infinie : alimentation, rythme de vie, centres d’intérêt, fêtes, éducation, caractère, ouverture sur le monde… les rubriques sont sans fin. Aussi nous ne pouvons donner ici qu’un aperçu de ces différences, en retranscrivant les témoignages qui ont été partagés le plus souvent et le plus spontanément.

S’il y a une remarque que tous les partenaires tchèques ont faite, c’est la longueur des repas à la française. Alena ne s’y fait toujours pas :

« En famille, quand il y a une fête et qu’on reste cinq heures à table – on mange on mange on boit on boit – c’est un peu difficile. »

Idem pour Eva. Dur dur pour les Tchèques de tenir sur la longueur, surtout quand on sait qu’ils ont l’habitude de dîner vers 18h-19h :

« Quand on finit un repas de famille à 2h00 du matin alors qu’on a commencé à 22h00, c’est vraiment n’importe quoi pour moi. »

Photo: Archives de Radio Prague
Dans ce contexte, l’apéritif ne représente pas pour Eva ce moment convivial dans lequel les Français excellent :

« Je ne vois pas pourquoi s’amuser à parler sans rien manger. En République tchèque, on ne va surtout pas prendre des chips avant de dîner, en tout cas dans ma famille c’est interdit parce qu’après on n’a plus faim. »

Dans la vie au quotidien, il y a un tas de petites habitudes faciles ou non à adopter. Généralement la méthode qui gagne joint l’utile à l’agréable. Nos cinq couples disent par exemple suivre l’usage tchèque qui est d’enfiler ses chaussons une fois rentré chez soi. Par ailleurs, chez Kateřina, c’est soupe chaude à tous les repas, même pendant l’été : un autre grand rituel tchèque. Quid du survêtement le dimanche ou du self-service au dîner ? Aucun des couples interrogés n’a relevé ces semble-t-il coutumes tchèques. En revanche, côté « french touch », Lucie a noté le chic des Français qui « passent beaucoup de temps dans la salle de bain et sont très bien habillés ». Quant à Helena, elle ne se sert plus elle-même de roquefort, par crainte de manquer à la sacro-sainte façon de couper ce fromage. Une autre habitude tchèque semble l’emporter : les deux petites couettes. Jérémy nous en dit plus :

« Alors j’ai découvert les deux petites couettes grâce à Eva. Au début j’avoue que j’étais vraiment réticent, je trouvais que c’était une idée stupide, et puis une fois qu’on a essayé, on n’a du mal à revenir à la grande. »

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Une enquête auprès d’Ikea nous a en effet permis de confirmer deux tendances inverses : 75% des couettes vendues dans leurs magasins en République tchèque sont pour une personne, quand en France le ratio est de 40% pour les simples et 60% pour les doubles. Tous les couples interrogés fonctionnent avec deux petites couettes sauf un. Helena précise :

« On n’en a qu’une, une grande pour deux, et ma famille se demande à chaque fois comment on fait. »

Mais au-delà de ces différences « pratiques » qui s’oublient une fois adoptées, il y a les différences « profondes », inscrites au cœur de nos personnes et qui restent généralement avec le temps. Sur ce registre et au vu des témoignages, les Tchèques seraient plus indépendants, plus posés et plus pragmatiques que les Français davantage grégaires, analytiques, aux discussions allant bon train. Marc décrit chez sa femme ce trait qu’il estime typiquement tchèque :

« Une tolérance plus accrue à la liberté de l’homme : partir, sortir le soir avec des amis, c’est normal, même si je ne le fais pas souvent d’ailleurs (rires). Le fait de garder une certaine indépendance, chacun, dans le couple. »

Un aspect d’Alena qui ne semble pas discorder avec ce qu’elle remarquait un peu plus tôt :

« Les Français ont tendance à rester en groupe. Par exemple quand on va faire du ski avec des amis, il faut tout faire ensemble. Et ce côté « faut rester ensemble parce qu’on est potes », moi j’avais beaucoup de mal au début. »

De leur côté, Helena et Antoine racontent :

Photo: Kristýna Maková
« Parfois j’appelle des proches car j’ai besoin de parler, notamment quand l’actualité demande d’avoir une discussion franco-française : on est immergé dans une culture qu’on connaît, on a des références qu’on peut partager. Avec Helena, même si on est proche, disons que sa vision de la France, elle se l’est façonnée à travers moi. »

Sans se concerter, Helena a abordé cet aspect sous un autre point de vue :

« Je pense que les Français sont plus philosophes que les Tchèques. Ils adorent discuter et analyser la situation sous tous les angles. Les Tchèques, ou en tout cas pour ma part, je vais essayer de trouver une solution sans trop me prendre la tête tandis qu’Antoine va toujours observer les choses sous plusieurs points de vue. »

Une différence de caractère qui ne signifie pas que les Tchèques en savent moins long sur ce qui les entoure. Au contraire, leur connaissance du monde est souvent plus large que celle des Français, à en croire Eva et Jérémy:

« À l’école ils nous disaient toujours : lisez, lisez les journaux, au moins les titres, regardez ce qui se passe autour de vous. Les Français, j’ai l’impression qu’ils ne font pas du tout ça. - Jérémy : Non, puisque tout est en France et que la France est le centre du monde, on n’en a pas besoin (rires). Maintenant je ne le dis plus, mais je l’aurais presque pensé il y a encore trois ans. C’est terrible cette mauvaise culture egocentrique qu’on a en France. - Eva : Ce n’est pas systématique heureusement. - Jérémy : Oui mais quand même, c’est une tendance générale. Je le remarque bien maintenant en tout cas. »

Bref, vivre avec un étranger n’est pas toujours simple mais c’est tellement enrichissant, entendra-t-on souvent dire de la part de ceux qui en ont fait le pari. Au-delà des différences, il y a aussi le déracinement que peut ressentir celui ou celle qui a quitté son pays, une trajectoire professionnelle qui se retrouve parfois en zigzag, et puis l’arrivée des enfants qui donne lieu à de nouvelles interrogations, de nouvelles découvertes, de nouvelles négociations… au fond comme pour tout couple qui soit, mais avec peut-être un peu plus de grands yeux et d’exclamations du genre « Ils sont fous ces Tchèques » ou bien « Ils sont fous ces Gaulois » !