Gouvernement : et maintenant, on fait quoi ?

Andrej Babiš, photo: ČTK

Près de six mois après la tenue des élections législatives, et trois mois après l’échec du vote de confiance à la Chambre des députés, les Tchèques restent dans l’incertitude quant à la composition de leur gouvernement. Combien de temps le cabinet démissionnaire du mouvement ANO dirigé par Andrej Babiš restera-t-il encore en place ? Quel type d’accord - et entre quels partis - est-il toujours possible pour la formation d’une coalition majoritaire, quelques jours après l’échec des négociations entre ANO et sociaux-démocrates ? Enfin, dans quelle mesure l’organisation d’élections anticipées est-elle plausible ? Autant de questions auxquelles répond Michel Perottino, maître de conférences à l’Institut d’études politiques de l’Université Charles à Prague. Mais avant cela, nous lui avons d’abord demandé de revenir sur le résultat des législatives qui se sont tenues dimanche dernier en Hongrie, pays partenaire de la République tchèque au sein du groupe de Visegrád :

Viktor Orbán,  photo: ČTK
« La Hongrie est un cas un peu particulier, car elle est à la frontière de l’Union européenne. Elle était donc en première ligne lors de la crise migratoire en 2015, dont elle perçoit et ressent différemment les questions. La très bonne position électorale d’Orbán est telle que l’on voit se renforcer un pôle eurosceptique, ou du moins pas très europhile, en Europe centrale. »

On a souvent tendance, notamment dans les pays de l’Europe de l’Ouest, à mettre les quatre pays du groupe de Visegrád dans le même panier. Or, la situation en République tchèque apparaît quand même assez différente de celles en Pologne et la Hongrie.

« Vu de loin, on peut effectivement avoir l’idée d’une situation proche voire d’une similarité nette. En réalité, la situation est très différente d’un pays à l’autre, voire d’une région à l’autre au sein d’un même pays. Si on peut essayer des parallèles ou des rapprochements, on voit que Jaroslaw Kaczynski s’est beaucoup rapproché d’Orbán parce qu’il a intérêt à le faire notamment dans la configuration de l’Union européenne, mais les causalités sont très nettement différentes. »

Autre point intéressant : la position de ces pays vis-à-vis de la Russie, notamment dans l’affaire Skripal. Trois d’entre eux ont décidé d’expulser des diplomates russes. La République tchèque en a expulsé trois, ce qui est un nombre relativement important compte tenu de la taille du pays et même à l’échelle de l’ensemble de l’Union européenne. La Hongrie et la Pologne se sont contentées, peut-être plus symboliquement, d’en expulser un chacune, la Slovaquie aucun. Que signifie plus particulièrement la position du gouvernement tchèque ?

« La position du gouvernement tchèque est celle de la majorité de la scène politique tchèque, à savoir très classique. Elle se positionne dans une solution plutôt antirusse renforcée par la situation politique en Russie. La situation tchèque est un peu particulière. On voit par exemple en Slovaquie que la situation politique est différente et que, par conséquent, les choix opérés en matière de relations avec la Russie sont différents. »

Cette position tchèque marque-t-elle une volonté pragmatique du gouvernement d’Andrej Babiš de se rapprocher de Bruxelles et de l’Europe de l’Ouest ?

Andrej Babiš,  photo: ČTK
« La situation du gouvernement est compliquée, car un gouvernement sans confiance ne devrait avoir qu’une marge de manœuvre limitée. On s’aperçoit que Babiš se positionne de façon très nettement différente. En ce qui concerne la position vis-à-vis de la Russie, il n’a pas la possibilité de faire un choix différent. Même si son principal allié, le président de la République est sur une position très nettement différente. Il n’a pas la possibilité de choisir autrement parce qu’il est lui-même en difficulté actuellement. Cela est lié à son incapacité de trouver un compromis pour former un gouvernement qui puisse obtenir une majorité, quelle qu’elle soit. On s’aperçoit que la situation est devenue extrêmement complexe en interne et par conséquent à international. Etre soutenu que ce soit par le SPD (parti d’extrême droite, ndlr) ou par le parti communiste affaiblit un peu plus sa position. Le choix d’expulser trois diplomates russes est une réaction à cette situation compliquée. »

« Avec ou sans la confiance du Parlement, le pouvoir est entre les mains d’Andrej Babiš »

Vous parlez de l’incapacité d’Andrej Babiš à former une coalition mais s’agit-il vraiment d’une incapacité ? Quand on lit certains médias tchèques, on a plutôt tendance à penser que c’est là sa volonté.

« Evidemment on peut jouer sur les mots. L’incapacité se comprend dans un sens très large. Il est manifeste qu’Andrej Babiš n’a pas, à l’heure actuelle, la volonté de faire des compromis. Les compromis, de manière plus générale, ne sont pas sa tasse de thé. Pour l’instant, il n’y a pas d’urgence à trouver un compromis. On va voir dans les semaines à venir si la situation change. Pour l’instant tout lui sied plutôt bien. Il a, certes, un gouvernement sans confiance mais quand on voit ce qu’il fait, on se rend compte qu’avec ou sans la confiance, le pouvoir est bien entre les mains de Babiš. »

Concrètement, que fait-il pour que ce gouvernement soit actif malgré tout ?

« Le principe est qu’un gouvernement qui n’a pas la confiance de la Chambre basse se contente d’expédier les affaires courantes. Babiš ne fait pas que ça, il va au-delà de cette pratique classique des régimes parlementaires. On voit en particulier qu’il est très actif dans le changement du personnel, notamment des hauts fonctionnaires. Il est aussi actif, non pas dans sa manière de contrôler la police, mais de donner des signes très clairs à la police sur la situation politique et sur qui a les rênes du pouvoir. Et on peut citer d’autres affaires qui vont au-delà de ce que pourrait faire un gouvernement sans confiance. »

« La logique voudrait que la social-démocratie passe dans l’opposition »

Comment analysez-vous l’attitude du parti social-démocrate (ČSSD) ? On a attendu jusqu’au mois de février le congrès du parti et le changement de direction pour savoir quel choix serait fait, à savoir entamer des négociations pour la formation d’une coalition avec le mouvement ANO ou, au contraire, rester dans les rangs de l’opposition. Le choix a été fait de commencer des négociations et, quelques semaines plus tard, on se retrouve au point mort…

« En fait, il faut comprendre qu’avec son résultat électoral particulièrement médiocre, la social-démocratie est en situation difficile. La logique voudrait qu’elle passe dans l’opposition. Une partie du parti pense que la seule solution pour redresser la barre et obtenir de meilleurs résultats électoraux c’est d’être dans la coalition gouvernementale. Le parti est clivé sur cette question. La deuxième partie de la devinette est liée au mouvement ANO : quels sont les compromis que le mouvement ANO pouvait être en mesure de réaliser compte tenu de la situation compliquée ? Il s’est avéré que Babiš ne veut pas abandonner le pouvoir et manifestement certains postes ministériels.

Concrètement, le ministère de l’Intérieur. Pensez-vous que cela soit lié à son implication dans l’affaire dite du « nid de cigognes » ?

« C’est vraisemblablement lié à cette affaire. La police est encore en train d’enquêter sur cette question. Il est clair que la question du ministre touche à cette affaire : est-ce que la police sera en capacité d’effectuer un travail sans entraves et sans contrôle politique de la part d’Andrej Babiš, qui est le premier visé par cette affaire ? Mais ce n’est pas le seul dans son parti. C’est la première chose. La deuxième chose, d’après les informations qui sont sorties dans les médias, les sociaux-démocrates ne voulaient pas que le ministère de l’Intérieur, ils voulaient aussi le ministère des Finances. Ce sont des points clés, non pas objectifs, mais des postes clés qui ont trait au pouvoir d’Andrej Babiš. Face à un autre parti, sans doute que les ministères auraient été différents.

« Une alliance avec le SPD et les communistes serait très risquée à l’international »

La majorité des partis qui pourraient être des partenaires du mouvement ANO au sein d’une coalition – et on pense là notamment au parti conservateur ODS - refusent qu’Andrej Babiš occupe les fonctions de Premier ministre. Pourquoi ce dernier ne se met-il donc pas en retrait à la manière par exemple d’un Robert Fico récemment en Slovaquie pour continuer à diriger en coulisses ?

Miloš Zeman,  photo: ČTK
« Andrej Babiš est un entrepreneur qui a l’habitude de fonctionner de manière très autocratique. Ensuite, il vient quand même de déclarer qu’il pouvait envisager un autre Premier ministre que lui. La porte reste donc ouverte et c’est désormais au président de la République Miloš Zeman qu’il appartient de prendre une décision. Je pense qu’il n’est de toute façon pas dans l’intérêt d’ANO et d’Andrej Babiš de vouloir de nouvelles élections en raison de l’incertitude que celles-ci sous-entendent. Il y a toujours de perdre plus que ce que l’on gagne. Des élections anticipées sont donc la dernière solution envisagée. »

« Cette solution est dans les mains du chef de l’Etat ne serait-ce que pour les semaines à venir. Va-t-il mettre la pression sur Andrej Babiš pour obtenir des avancées ? Ou, au contraire, va-t-il lui laisser carte blanche jusqu’en juin prochain, conformément à ce qu’il avait annoncé ? »

« Il ne faut pas non plus oublier la possibilité d’une reprise des négociations entre les directions d’ANO et de la social-démocratie. En politique, il ne faut jamais exclure aucun cas de figure. Ces négociations pourraient alors effectivement aller davantage dans le sens d’un retrait d’Andrej Babiš, qui serait remplacé par le ministre de l’Environnement Richard Brabec, voire d’autres compromis. Enfin, bien que cette hypothèse soit plus théorique, une coalition plus ou moins ouverte avec le SPD et les communistes… »

Ce serait là quand même très risqué pour Andrej Babiš…

« Pas forcément au niveau national parce que l’on est très largement sur un discours constructiviste dans le sens où l’on cherche à démontrer sa bonne volonté. Il suffisait d’écouter ce que disait Andrej Babiš à la sortie des négociations avec la social-démocratie… En revanche, au niveau international, cela pourrait bloquer énormément, oui. »