Etre femme et soldat

Photo: CTK

Récemment, nous vous avions fait entendre un petit extrait d'interview à propos de la présence des femmes dans l'armée tchèque : nous revenons sur le sujet aujourd'hui, dans la Tchéquie au quotidien, histoire de rentrer un peu plus dans les détails et de vous présenter également une de ces femmes qui a choisi très tôt sa vocation.

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Près de 12,3% de femmes dans l'armée tchèque, c'est le dernier chiffre présenté par le ministère de la Défense tchèque, un chiffre proche de celui de la France, à 12,79%, à la différence près que depuis la Révolution de velours, et surtout la fin des années 1990, avec notamment l'entrée du pays dans l'OTAN, leur nombre ne fait qu'augmenter. Bronislava Jonitova qui s'occupe des « Gender studies » et fait partie du Conseil administratif contre la discrimination au ministère de la Défense, y voit bien sûr d'autres raisons également :

« L'intérêt des femmes a nettement augmenté à partir des années 90. Avec la professionalisation à venir, c'est devenu une carrière attirante. Après la révolution, il y a eu de nombreuses missions d'observation par exemple, et les femmes s'y intéressent. Mais ce qui important, c'est que les jeunes filles s'intéressent surtout aux études que proposent les écoles militaires. En 1998, nous avons justement supprimé les chiffres de base qui limitaient le nombre de filles qui pouvaient être acceptées dans les écoles. Une fois ces limites discriminatoires supprimées, l'intérêt des filles et des femmes pour ces écoles augmente de manière notable. Ce peut être pour des raisons diverses : le côté attirant de la carrière, se mettre en lumière, se distinguer des autres professions, et bien sûr, la possibilité de se réaliser après l'école est beaucoup plus importante qu'au sortir d'une école civile. »

Michaela Cvanova a 37 ans, elle est major, un grade haut placé, entre celui de capitaine et de lieutenant-colonel. A l'heure actuelle, elle s'occupe des relations avec l'extérieur - comprenez le monde civil - du chef d'Etat-major. Elle est un peu son bras droit, en somme. C'est justement à l'Etat-major des armées que nous avons rendez-vous, dans le quartier de Dejvice, non loin du Château de Prague et du ministère de la Défense, sur un immense rond-point aux bâtiments colossaux. Son bureau, au fond d'un enchevêtrement de couloirs décorés de photos noir et blanc d'officiers, est moderne. Une bougie parfumée allumée, des livres sur l'armée dans une bibiothèque, des photos punaisées au murs, le major Cvanova est vêtue de son uniforme : tailleur et talons hauts, blonde, les cheveux courts soigneusement coiffés en bataille, elle fait l'effet d'une femme élégante et féminine, loin du cliché de la femme-soldat.

Avec seize années d'armée derrière elle, Michaela Cvanova se dit satisfaite et contente de son métier. Un métier qui était une sorte de vocation depuis toute petite, comme elle le confie volontiers. Attrait de l'uniforme et d'une certaine discipline de vie, certes, elle n'en reconnaît pas moins que ses premiers pas n'ont pas toujours été de tout repos :

« Les débuts étaient en effet très durs, avant que les hommes ne s'habituent. C'est toujours le même problème : nous en tant que femmes, nous n'avons pas de problème pour nous habituer, mais les hommes si, ils ont des problèmes à s'adapter, à savoir de quelle manière ils doivent nous aborder, s'ils doivent s'adresser à nous en tant que soldat. Chez certain, la galanterie l'emporte aussi : la femme doit être protégée, il ne faut pas lui crier dessus... Selon moi, c'est une question de générations. Vous savez, même aujourd'hui, vous avez pas mal d'hommes qui ne veulent pas de vous. Mais moi personnellement, je n'ai pas eu d'expérience négative. Bien sûr, il arrive toujours qu'il y ait un ou deux imbéciles. »

D'après Bronislava Jonitova, la République tchèque avait une tradition de présence féminine dans l'armée, déjà pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais après guerre, leur nombre se réduit à peau de chagrin. Les années 80 sont des années de balbutiement : le nombre de femmes augmente un peu, mais plus par défaut. Malgré le service militaire obligatoire, un déficit de volontaires se fait sentir chez les hommes. Les femmes, déjà présentes en tant qu'employées civiles, dans les services logistiques notamment sont donc forcément les bienvenues.

« Le fait qu'une majorité de femmes soit, disons, dans l'Armée de l'air, c'est parce qu'il y a beaucoup plus de postes qui leur corrrespondent. Les femmes veulent toujours avoir une famille, être mères. Et donc, les jeunes filles s'orientent dans leurs études et dans les matières qu'elles choisissent, en fonction de cet aspect pour qu'à l'avenir, elles puissent le concrétiser. Nombre de femmes se retrouvent ainsi dans les services logistiques, médicaux ou administratifs. Elles ne s'orientent pas directement vers des postes très spécialisés et typiquement masculins. Il y a malgré tout environ 200 postes occupés par des femmes et qui sont typiquement des professions masculines. Ainsi, nous avons une pilote, une conductrice de tank, des mécanos, qui réparent les tanks, des postes qui jusqu'alors n'étaient occupés que par des hommes. »

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Bien avant que l'accès aux métiers militaires soit ouvert aux femmes sans restrictions, au milieu des années 1980, Michaela Cvanova fait déjà partie de cette nouvelle génération, qui inaugure le nombre croissant de « soldates ». Comment les gens réagissent-ils en découvrant qu'elle a choisi l'armée comme profession ? Michaela Cvanova :

« En fait, nous ne nous montrons pas trop en uniforme parmi les civils, mais c'est surtout parce que ce n'est pas très pratique : en uniforme, je dois porter des talons hauts, donc pour aller d'un endroit à l'autre, je préfère m'habiller en civil. Mais justement, il y a deux semaines, j'étais à une réunion de classe de ma fille, et je n'ai pas eu le temps de me changer. Je dirais que les gens m'ont plutôt regardée avec curiosité, parce que d'abord ils ne savaient pas trop où me classer : soldat, pompier ou hôtesse de l'air ?! Ca dépend bien sûr aussi de quoi vous avez l'air en uniforme. Mais de manière générale, les réactions sont plutôt positives. Mais les débuts étaient plus problématiques, le temps que les gens s'habituent. On entendait parfois que nous allions à l'armée juste pour se trouver un mari. Dans notre promotion, nous étions 35 femmes, et 2500 hommes ! »

L'année dernière, Bronislava Jonitova avait fait une conférence à l'Institut français. Parmi les sujets abordés : le degré de satisfaction des femmes et des hommes quant à leurs conditions de travail dans l'armée. Les différences sont souvent selon elle minimes, même s'il apparaît que les femmes accordent une plus grande importance aux conditions de travail : compréhension des supérieurs en cas de grossesse, comportement des supérieurs envers elles etc. Un résultat avait d'ailleurs fait tiquer Bronislava Jonitova :

« Il est intéressant de voir que les femmes étaient plus satisfaites du comportement de leurs collègues masculins envers elles, que les hommes vis-à-vis de leur propre comportement envers les femmes ! Les hommes ne sont apparemment pas contents de la manière dont ils traitent les femmes, mais celles-ci voient les choses un peu autrement ! »

En tout cas, il faut quand même une bose dose d'un caractère bien trempé pour passer l'épreuve du feu et tenir le coup sur la longue durée. Un choix de vie que ne comprennent pas toujours les proches d'ailleurs : si la mère de Michaela Cvanova n'a jamais réellement accepté le métier de sa fille, son père s'est finalement fait à l'idée. Quant à la vie familiale du major, c'est simple : elle est mariée à un soldat, une situation qui peut éviter certains conflits :

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« Au début de notre mariage, nous étions jeunes donc ça a forcément mis un peu de temps pour que nous trouvions un consensus. Mais c'est vrai qu'on se comprenait mieux : je savais que mon mari devait aller travailler pour l'armée, je savais pourquoi et de quoi il s'agissait, donc je n'allais pas lui reprocher de sortir dans un bar par exemple. Inversement, quand moi j'avais besoin de m'absenter, de rester longtemps au travail, il n'a jamais fait de scènes. Chez nous, c'était plutôt 50/50. S'il n'avait pas été comme cela, s'il n'avait pas eu cette manière d'aborder les choses vis-à-vis de moi et de nos deux filles, ça n'aurait pas marché, je n'aurais pas pu faire ma carrière et lui non plus, ou alors lui l'aurait faite et moi je serais restée à la maison ! Mais il a toujours voulu que je prenne des cours, que je continue d'étudier, et c'est lui qui pendant ce temps-là, gardait les enfants. »

Missions en Bosnie, en Irak, en Afghanistan, trois années passées à l'OTAN à Bruxelles, autant d'expériences qui, pour le major Cvanova, sont des enrichissements personnels aussi, de découverte et selon elle, de mise en perspective du monde qui l'entoure.