Etre femme en République tchèque

Si Prague prenait un jour l'apparence d'un être vivant, sans nul doute prendrait-elle celle d'une femme. Celle d'une femme mûre, sûre d'elle et pourtant si fragile. Celle d'une femme à la beauté ensorcelante et à la grâce ensorceleuse. Prague, femme fatale, mais aussi la mère, la capitale d'une petite République, certes de nature moins sophistiquée, plus rurale, plus simple, mais tout aussi charmante et mignonne avec ses risettes de petite coquine. La femme, la femme tchèque, sa place, sa condition et l'évolution de son rôle dans la société de ce début de siècle, c'est le thème de cette Tchéquie au quotidien présentée exceptionnellement par le remplaçant d'Alain Slivinsky actuellement en vacances, Guillaume Narguet.

Au moins deux générations de femmes tchèques regrettent de ne pas être venues au monde un peu plus tard. Celles des mères et grand-mères qui aimeraient tant avoir les vingt ou vingt-cinq ans de leurs beautés de petites filles. Elles aiment à penser, à s'imaginer ce à quoi aurait alors pu ressembler leur vie. C'est que, douze ans après la Révolution, bien des choses ont changé pour les jeunes femmes tchèques. Pour le vérifier, il suffit de se balader dans les rues de Prague ou des autres grandes villes du pays. Bien difficile d'apercevoir une différence entre les demoiselles tchèques et celles des capitales européennes occidentales et ce, tant au niveau vestimentaire que celui, par exemple, du comportement. Le temps semble bien loin où la femme tchèque se contentait de rester à la maison, de s'occuper des enfants et des tâches ménagères. Certes, selon un récent sondage réalisé par l'Institut tchèque de la statistique (équivalent de l'INSEE en France), la cuisine, la garde des enfants, le ménage ou encore la lessive restent des domaines relativement inconnus pour les hommes tchèques. Ainsi, seuls 3% d'entre eux s'occuperaient de la préparation des repas, 6% passeraient l'aspirateur et 4% pousseraient et rempliraient le cadis lors des courses. En fait, l'idée de l'homme chef de famille et de la femme chef de maison reste bien ancrée dans les mentalités tchèques. Tout comme la tradition voulant que la femme assure en priorité son rôle de mère. Les femmes elles-même, plus ou moins inconsciemment et surtout du fait de leur éducation, continuent d'ailleurs à se placer automatiquement dans cette position.

Mais cette tendance, peu à peu, s'estompe. Si la génération des femmes qui sont aujourd'hui grand-mères aurait considéré comme un affront fait à leur dignité de femme le fait de ne pas pouvoir ou devoir gouverner la maison, les femmes peuvent aujourd'hui se permettre des choix de vie bien différents et sensiblement identiques à ceux des hommes. C'est pourquoi nombreuses sont celles à privilégier leurs études et le début de leur carrière à une vie de famille pouvant se permettre d'attendre quelque temps. L'âge moyen auquel les femmes tchèques se marient l'atteste de fait très clairement. Si en 1981 elles s'engageaient pour le meilleur et le pire dans leur vingt-deuxième année, en 2000 elles semblaient y réfléchir à deux fois puisqu'elles ne le faisaient plus que dans leur vingt-septième. En cela, elles ne font finalement que suivre une tendance globale et mondiale, même si cela ne signifie pas non plus que les femmes tchèques renoncent totalement à une vie en ménage et à avoir des enfants. Une constatation intéressante toutefois: si en 1970 plus de 125 000 contrats de mariage furent signés, en 2000, seuls 55 000 couples ont considéré comme indispensable d'officialiser leur relation en mairie. Un nouveau phénomène a fait son apparition en République tchèque, ignoré avant 1989, celui de l'union libre. Un choix répondant le plus souvent à la fois à une forme d'incertitude, de manque de confiance en l'avenir, à une évolution des valeurs morales et, enfin, à une réalité économique précaire.

La libération de la femme tchèque a également entraîné une augmentation du nombre d'enfants nés hors du mariage. Alors qu'au début des années 90, leur part ne représentait qu'un dixième des naissances en Tchéquie, à la fin de la décennie, le chiffre avait plus que doublé. Une explication pourrait provenir des allocations sociales plus élevées accordées à une femme célibataire qu'à une femme mariée. En réalité, il semble plutôt que tomber enceinte ne signifie plus pour les femmes tchèques qu'il faille obligatoirement se marier avec le père de l'enfant. N'étant plus dépendantes économiquement de leur mari ou de leur compagnon, elles peuvent se permettre d'élever seules leur enfant. Certaines penseraient même que, plutôt qu'un mauvais père, mieux vaut ne pas en avoir du tout. Une prise de position prêtant assurément à discussion, mais qu'un chiffre illustre bien. En 2000, l'âge moyen des mères tchèques lors d'une naissance était de vingt-sept ans. De même, l'âge moyen lors de la naissance du premier enfant atteignait pratiquement les vingt-cinq ans. Les femmes tchèques attendent donc bel et bien de réussir sur un plan professionnel et d'acquérir une sécurité financière leur garantissant une certaine forme d'indépendance avant d'entreprendre quoi que soit sur le plan familial.

N'empêche, si toutes ces données sont réjouissantes pour la femme, elles fournissent aussi une partie des explications à une situation catastrophique pour l'avenir de la République tchèque. Le pays est l'un des pays en Europe possédant l'un des plus faibles taux de natalité. Les femmes tchèques ne mettent plus au monde en moyenne qu'un seul enfant. En dehors des raisons économiques déjà évoquées et du faible soutien accordé par l'Etat à la natalité, est également à prendre en compte le facteur biologique. En retardant trop la naissance du premier enfant, la femme n'a ensuite plus le temps pour un second. Ensuite, les couples s'habituent à un style de vie sans enfant et à un certain âge, ils se mettent à craindre que la venue d'un enfant vienne perturber le confort et le train-train de leur quotidien. Mais démographes et sociologues ne se montrent guère enthousiasmés par cette théorie. Selon eux, il faut toujours en revenir à une explication économique. Les femmes ne peuvent se permettre de rester à la maison et de s'occuper des enfants. De fait, lorsqu'une femme se retrouve en congé maternité, son employeur est obligé de lui garder sa place pendant trois ans. C'est pourquoi, à compétences égales, entre un homme et une femme, au moment de l'embauche, le recruteur préférera généralement un homme. Lors de la recherche d'emploi, les femmes tchèques se plaignent d'ailleurs d'avoir à répondre lors des entretiens à des questions d'ordre privé du type: "Comptez-vous avoir des enfants et si oui, comptez-vopus vous en occuper?" Bref, une sorte de discrimination encore relativement courante.

Mais il serait sans doute plus approprié de ne pas trop noircir le tableau. Car s'il est une évidence que la condition de la femme en République tchèque peut et doit encore s'améliorer, le constat des changements opérés dans les mentalités, tant masculines que féminines, sur une période aussi courte qu'une décennie rassure. Il rassure sur les valeurs d'un pays et de son peuple. Car, en Tchéquie comme ailleurs, le sourire d'une femme se doit d'être une priorité.