De l'Everest jusqu'aux sommets tchèques

Everest (Photo: www.radekjaros.cz)

Le cinquantenaire de la conquête du Mont Everest a récemment été célébré par les médias du monde entier. Nombre d'alpinistes et de nostalgiques, avec à leur tête le légendaire Italien Reinhold Messner, ont profité de cette occasion pour se faire entendre et regretter que la multiplication des ascensions, véritables expéditions commerciales, ait transformé le Toit du monde en un gigantesque parc d'attractions. Bien que violée dans sa grandeur symbolique, la montagne reste pourtant, aux yeux de beaucoup, ce symbolique élément naturel auquel, depuis le calcul de son altitude en 1852, audacieux, braves, courageux et téméraires ont toujours senti le besoin de se mesurer. Six Tchèques ont gravi les 8850 mètres de celle que les Tibétains aiment à appeler Chomolungma, approximativement traduit comme « la déesse mère du monde ». Cinq hommes et une femme qui, avant de s'attaquer à leur rêve, ont effectué leurs premiers pas et escalades dans les massifs de régions tchèques et slovaques qui, à l'image de leurs habitants volontiers ballonnés, possède des contours plus vallonnés qu'on ne pourrait l'imaginer. En route donc pour l'aventure himalayenne, puis pour une randonnée plus paisible au coeur des rondeurs de Bohême, Moravie et Silésie.

Six Tchèques ont pu admirer le monde depuis le sommet du Mont Everest. Ils se sont rangés sur la longue liste des quelque 1200 alpinistes à avoir inscrit leur nom aux côtés de ceux du Néo-Zélandais Sir Edmund Hillary et du porteur de la tribu des Sherpas Tensing Norgay, premiers hommes à avoir triomphé, en 1953, du plus haut des quatorze pics himalayens à plus de 8000 mètres. Pour quatre d'entre-eux, la performance est d'autant plus remarquable qu'ils ont effectué l'ascension sans avoir eu recours aux bouteilles d'oxygène. Le premier fut Leopold Sulovsky, en 1991, qui prend part alors à une expédition italienne. Il emprunte la difficile paroi nord qui nécessite le passage par le couloir Norton. Pour cela, il adopte le style cher, entre autres, à Reinhold Messner qui consiste, selon ce dernier, à « donner le maximum de chances à la montagne. » Car si Messner fut le premier, en 1978, en duo avec l'Autrichien Peter Habeler, à atteindre le sommet de l'Everest sans bouteilles d'oxygène, il effectua surtout, deux ans plus tard, l'ascension en solo, sans l'aide des sherpas. Il a rendu populaire l'escalade de style dit « alpin », style qui consiste à utiliser dans l'Himalaya les mêmes moyens et techniques que ceux dont les alpinistes disposent lors de leurs ascensions dans les Alpes. Sulovsky est partisan d'une pratique d'un tel genre, il se reconnaît dedans. Tout en grimpant, Sulovsky fumait entre vingt et trente cigarettes par jour !

« Les conditions étaient excellentes pour fumer. Les Italiens me demandaient comment je pouvais fumer, alors qu'il y avait si peu d'oxygène autour de nous », affirme-t-il encore aujourd'hui. Mais l'homme, originaire d'Ostrava, en Moravie du Nord, région dévastée par l'industrie lourde, a de la répartie et leur répond qu'il n'y a guère plus d'oxygène chez lui. Arrivé au sommet, Sulovsky savoure lorsqu'il contemple le paysage autour de lui, mais ne perd pas pour autant son vice.

« J'éprouve du plaisir à être ici et nulle part ailleurs, mais j'aimerais beaucoup m'allumer une cigarette. Malheureusement, je n'en ai plus et il n'y a personne d'autre ici qui fume. »

Treize ans plus tard, il dit se montrer reconnaissant envers la montagne qui l'a laissé passer et laissé revenir. Mais il critique les expéditions touristiques qui se sont développées ces dernières années et qui voient des guides de montagne emmener au sommet des gens sans condition physique, ni expérience.

« Sur les tracés normaux de l'Everest, on fait désormais la queue comme au supermarché. Mais si vous choisissez un itinéraire plus difficile, vous êtes toujours seuls », conclue-t-il.

En 1998, Vladimir Nozek et Radek Jaros atteignent à leur tour le sommet de l'Everest, eux aussi sans oxygène et sans l'aide des porteurs, des sherpas. Ils font alors partie d'une expédition tchèque qui emprunte la voix nord, redoutée pour sa longueur et sa faible protection face aux vents. A cinquante mètres du sommet, Radek Jaros fait demi-tour. « Je me suis rendu compte que je ne savais plus ce qui s'était passé dans les dernières minutes, j'avais des pertes de mémoire, a-t-il expliqué. J'ai alors pensé à mes enfants et j'ai entamé la descente. » Sur un plateau, il croise son compagnon Vladimir Nosek qui, lui, poursuit la montée.

« Je me suis dit que je n'étais pas seul là-bas. Du coup, nous avons continué jusqu'en haut ensemble. Sans moi, Nosek y serait parvenu ; mais moi, sans lui, certainement pas », a également avoué Jaros.

Enfin, en 2002, Miroslav Caban est devenu le quatrième et jusqu'à aujourd'hui dernier Tchèque à s'élever sur le Toit du monde sans oxygène. Et lui aussi a atteint son objectif en mettant en pratique le style alpin. Ainsi, il réalisa le rêve de toute sa vie, comme il l'affirme lui-même :

« Un an avant, ma femme m'avait demandé de ne plus faire de 8000 mètres. Je lui avais alors répondu que je voulais essayer l'Everest. C'est ce que j'ai désiré toute ma vie. »

Ils auraient pu toutefois être cinq si son partenaire, victime d'ennuis pulmonaires, n'avait pas dû abandonner à 8200 mètres d'altitude et faire demi-tour. Un exemple parmi tant d'autres qui confirme que la conquête de l'Everest, plus haut sommet du monde, sans oxygène, reste toujours une performance sportive et une aventure de tout premier ordre. Josef Rakoncaj, l'alpiniste tchèque le plus connu, en est le témoignage vivant. Certes, il a déjà escaladé huit des quatorze sommets à plus de 8000 mètres, mais jamais encore, malgré trois tentatives par des voies certes difficiles, celui de l'Everest ne s'est offert à lui.

Mais ce cinquentenaire de la conquête du Mont Everest est aussi l'occasion de s'intéresser à des montagnes plus modestes, en l'occurence celles de République tchèque. Un livre, intitulé « Les sommets de plus de 1000 mètres en Bohême, Moravie et Silésie », est récemment paru, qui s'est proposé de répertorier tous les sommets de plus de 1000 mètres que comporte le pays. Et surprise, ils sont relativement nombreux, puisque leur nombre total s'élève à 561 ! Parmi ceux-ci, 391 sont des sommets qualifiés par les auteurs de « majeurs » ou « principaux », et 170 des sommets de seconde catégorie. Plus de la moitié du territoire de la République tchèque se situe à une altitude moyenne de 300 à 700 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le pays est recouvert de seize chaînes de montagnes qui disposent de sommets à plus de 1000 mètres. La plupart d'entre-eux se situent dans des zones protégées. On trouve le plus grand nombre en Bohême du Sud, dans le Massif de la Sumava. Mais le plus haut point de Tchéquie se trouve, lui, au sommet de la montagne Snezka - la Neigeuse en français, dans le parc national protégé de Krkonose, ou Monts des Géants. Son sommet a été mesuré à 1602 mètres au-dessus du niveau de la mer et permet d'admirer au loin les beautés qui se situent des deux côtés de la frontière tchéco-polonaise. Et là-haut, Dieu sait combien elles sont nombreuses...