Anna Šabatová : « Il faut être juste et penser toujours à cela » (1ère partie)

Anna Šabatová, photo: ČTK

Le nouveau Médiateur de la République, appelé ombudsman en République tchèque, et chargé de la défense des droits des citoyens, a été élu le 14 février dernier à la Chambre des députés. Lors du deuxième tour de l’élection, quatre-vingt-quinze députés se sont prononcés pour Anna Šabatová, ancienne dissidente et signataire de la Charte 77. Elle a ainsi devancé l’ancien adjoint au Médiateur, Stanislav Křeček, lequel n’a obtenu que 36 voix sur les 168 députés présents. Au micro de Radio Prague, Anna Šabatová est revenue sur son passé et sur la découverte de sa vocation, la défense des droits de l’homme, ainsi que sur les priorités qu’elle compte faire valoir dans le cadre de sa fonction de Médiateur. Dans la première partie de l’entretien, nous vous proposons de faire plus ample connaissance avec Anna Šabatová, et de découvrir le poste de Médiateur, qu’elle a investi le 18 février dernier.

Anna Šabatová,  photo: ČTK
Quelles ont été vos premières impressions en réaction à votre élection au poste de Médiateur ?

« J’étais bien évidemment heureuse. Vu que j’avais posé ma candidature pour la troisième fois déjà, c’était un résultat très satisfaisant. »

Qu’avez-vous pensé, quant au premier tour infructueux de l’élection, où près de 50 bulletins de vote ont été qualifiés de nuls ?

« Il faut dire qu’après le premier vote, je croyais pas à ce que je puisse être élue. Je ne sais pas exactement mais j’ai entendu dire que beaucoup de députés s’étaient trompés, ils ne savaient pas comment voter. »

C’était une surprise pour vous ?

« Une fois que l’on m’a élue, oui c’était une surprise. Mais une surprise agréable. »

Ayant été vous –même adjointe au premier Médiateur de la République, Otakar Motejl, pendant six ans, de janvier 2001 à février 2007, comment, selon vous, la fonction de Médiateur a-t-elle évolué depuis ?

« Il faut dire que la fonction a évolué, parce que la loi de 1999 était une loi qui avait érigé une institution d’ombudsman administratif, de Médiateur administratif, comme par exemple en France. Mais au cours des années, il y a eu plusieurs changements opérés par le législateur et le Médiateur s’est vu attribué de nouveaux devoirs, à savoir d’effectuer une protection, dans des situations où la liberté des personnes est restreinte. Et ce dans deux sens : dans le cadre d’une décision des pouvoirs publics, c’est-à-dire dans le cadre d’une décision émanant de la cour, et ainsi que dans le cadre d’institutions, où les gens sont dépendants de différents soins, par exemple, ce qui concerne les vieilles personnes, ou les personnes dépendantes des services sociaux. Un autre devoir du Médiateur est aussi celui qui concerne la sphère de la discrimination. Cela a été érigé grâce à la loi contre la discrimination en 2009. Ce sont des sujets qui sont énormément liés aux droits de l’homme. Le Médiateur doit visiter, par exemple, des institutions, des établissements spécialisés, et communiquer avec les autorités. »

Pour ceux qui ne vous connaîtraient pas, vous êtes ancienne dissidente, signataire et porte-parole de la Charte 77, adjointe au Médiateur pendant six ans, et Présidente du Comité Helsinki pendant cinq ans. Pourquoi le domaine des droits de l’homme vous fascine-t-il tant ?

« C’est difficile à dire. C’est une question de savoir s’il me fascine. Mais il semble bien que ce soit mon destin. J’ai milité pour les droits de l’homme avant 1989, pendant l’ancien régime. Il s’agissait avant tout des libertés fondamentales : la liberté de s’exprimer, de voyager. Puis j’ai également milité pour les personnes emprisonnées, les personnes qui ont été injustement poursuivies. Après la Révolution de velours, il semblait pendant quelques mois que tout sera meilleur. Il faut dire que la protection des droits de l’homme dans le cadre des libertés et d’une société démocratique reste une tâche très importante, mais les méthodes de travail sont un peu différentes par rapport à avant. J’avais remarqué qu’après la Révolution de velours, un grand nombre de personnes se trouvaient dans une situation compliquée, comme par exemple les Rom, qui ont beaucoup perdu ; beaucoup de personnes étaient discriminées et je m’étais dit que ce sont les nouvelles tâches qui nous attendent. »

Vous-mêmes vous avez été emprisonnée en 1971, condamnée pour trois ans, libérée après 25 mois. Que s’était-il passé à ce moment-là ?

« J’avais participé, juste avant les élections législatives, à une grande opération de distribution de tracts, qui disaient aux citoyens qu’aller voter aux élections était un droit et non pas une obligation. Parce que l’ancien pouvoir en place avait fait une grande campagne à l’époque, en présentant le vote du citoyen comme une obligation et non pas comme un droit. Il est connu de tout le monde que les élections étaient en principe sans choix d’élection. Voter était obligatoire et les personnes qui ne participaient pas aux élections étaient confrontées à des problèmes quelques fois. »

Votre mari, Petr Uhl, est un fervent défenseur des droits de l’homme, signataire de la Charte 77 lui aussi, emprisonné par le régime communiste en 1969 pour une durée de quatre ans, puis en 1979 pour cinq ans ; de quelles façons vos agissements dans le domaine des droits de l’homme se complémentaient-ils à l’époque du communisme ?

Petr Uhl,  photo: Alžběta Švarcová,  ČRo
« Nous avons fait beaucoup de choses ensemble. J’ai rencontré mon mari après être sortie de prison. Par hasard, il était sorti le même mois que moi. En prison, il avait fait connaissance avec mon frère, et une fois il avait décidé de lui rendre visite, et c’est là que nous avons fait connaissance. Le même destin nous a réunis. Nous avons signé la Charte 77 ensemble, nous avons travaillé au sein du Comité pour les personnes injustement poursuivies ensemble, nous avons contacté les dissidents Polonais ensemble, et nous avons rédigé ensemble, un communiqué d’informations sur la Charte 77. »

Pour revenir à votre nouvelle fonction de Médiateur, quels sont les domaines sur lesquels va essentiellement porter votre attention ?

« Il faut être juste, et penser toujours à cela. Chaque personne qui s’adresse au Médiateur est persuadée que sa chose est importante. Il faut donc être juste vis-à-vis de tout le monde. Mais je voudrais pousser un peu plus le sujet de la discrimination, parce que les instruments qui apparaissent dans la loi ne sont pas suffisants. A mon avis, aujourd’hui, le Médiateur peut exprimer un avis. Toutefois, c’est un peu faible. Je voudrais que le Médiateur puisse déposer une plainte devant la cour ou les tribunaux. La cour se prononcerait ainsi dans des cas à portée universelle. »

Pourquoi vouloir lui octroyer cette possibilité ? Et de quelles façons voulez-vous arriver à ce que le Médiateur de la République puisse saisir les tribunaux ?

« Il faut communiquer avec les politiciens, et il faut faire des débats publics. Et ce qui serait opportun, c’est qu’un acte du gouvernement mentionne qu’il est nécessaire de protéger les personnes contre les discriminations de manière plus efficace. »

Que pensez-vous de l’encombrement de la capacité d’agir du Médiateur par rapport aux centaines de demandes qui lui sont attribuées ?

Anna Šabatová,  photo: ČTK
« Ce ne sont pas des centaines, mais des milliers de demandes par an, malheureusement. Il faut être efficace. A peu près 40% des plaintes se trouvent en dehors de la compétence du Médiateur (comme par exemple des domaines qui concernent le droit privé, ndlr), donc ce sont tout d’abord ces plaintes que l’on peut régler assez vite, avec une lettre assez courte, qui contient une liste avec tout ce qui est en dehors de la compétence du Médiateur. Mais une lettre qui fournit tout de même un conseil aux personnes. (Pour une meilleure efficacité, certaines demandes qui ne concernent pas le domaine de compétences du Médiateur sont réglées par le biais d’un appel téléphonique. Au contraire, les litiges, qui sont dans le cadre des compétences du Médiateur peuvent mettre plusieurs années avant qu’ils ne soient résolus, et ce en fonction de leur complexité, ndlr.) Donc il faut être efficace quant au règlement de plaintes qui ne sont pas dans la compétence du Médiateur. Et si les cas sont dans le domaine de compétences, il est possible de regrouper plusieurs plaintes afin de les régler communément. Quand je terminais au poste d’adjointe au Médiateur en 2007, les cas dans et hors de la compétence du Médiateur représentaient à peu près la moitié des plaintes dans les deux cas. Mais si on analysait les documents de près, on pouvait également s’apercevoir quelque fois que l’administration n’a pas fait de fautes. C’est aussi une chose qui peut arriver. Ce n’est pas toujours le cas que le citoyen qui dépose une plainte ait raison. Mais il faut s’occuper très sérieusement de toutes les plaintes. »