L’hebdomadaire Respekt rappelle l’exode de ressortissants d’Allemagne de l’Est en Allemagne de l’ouest via Prague

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« La Tchécoslovaquie 1989 » est l’intitulé d’une série d’articles qui sont publiés depuis deux mois environ dans le prestigieux hebdomadaire Respekt et qui revient sur certains moments clés de l’année qui a vu s’écrouler le régime communiste, pas d’ailleurs seulement dans l’ancienne Tchécoslovaquie. L’une des dernières éditions de Respekt s’est attardée sur l’exode de ressortissants d’Allemagne de l’Est en Allemagne de l’ouest, qui s’est fait via Prague.

« Hommes, femmes et enfants dormaient dans toute l’enceinte de l’ambassade de l’Allemagne fédérale – à l’intérieur du bâtiment, allongés sur le long escalier, dans les couloirs… Puis un jour, le ministre allemand des Affaires étrangères Hans-Dietrich Genscher a fait son apparition sur le balcon pour annoncer aux réfugiés d’Allemagne de l’Est que le chemin à l’Ouest était ouvert. Quelques heures plus tard, sept trains contenant cinq mille personnes ont quitté la gare de Liben à Prague en direction de l’Allemagne de l’Ouest. »

C’est par ces mots que le journal décrit la situation qui existait à Prague, pendant l’été 1989 et qui a culminé au mois de septembre de la même année. Les témoins se souviennent d’avoir vu déferler dans le centre de la capitale tchèque une quantité jamais vue de Trabant, marque de voiture la plus répandue chez les voisins est-allemands. Avec à leur bord des individus ou des familles décidés à immigrer en Allemagne de l’ouest et qui ont choisi son ambassade à Prague pour pouvoir réaliser leur rêve.

Dès le début des années 1980, des réfugiés d’Allemagne de l’Est avaient de temps à autre recours à cette solution pour se rendre « clandestinement » à l’Ouest. Il s’agissait pourtant de cas assez sporadiques. A partir de la deuxième moitié d’août 1989, leur nombre a commencé à augmenter considérablement, avec des dizaines de personnes par jour.

Photo: prag.diplo.de
Ce tournant est survenu après que les autorités tchécoslovaques ont fermé aux Allemands de l’Est la frontière avec la Hongrie, pays par lequel les citoyens de la RDA étaient habitués à passer en Autriche. C’est alors que l’ambassade d’Allemagne de l’ouest à Prague a été « redécouverte » pour devenir un nouveau point de repère. La télévision d’Allemagne de l’ouest a encore nourri cet appétit et inspiré d’autres habitants de la RDA, en diffusant des reportages sur ce qui se passait en été 1989 à Prague.

« Quand on était une cinquantaine dans le jardin, c’était encore assez sympa, l’atmosphère était amicale. Un jour, l’ambassadeur a même organisé en plein air une soirée avec barbecue. Quelques jours plus tard, l’atmosphère a complètement changé et est devenue plus tendue. Nous étions si nombreux que l’on se méfiait les uns des autres. De peur de la police d’Etat, la Stasi, on utilisait des surnoms ». C’est le souvenir d’un des participants sur cet exil pas comme les autres, publié dans les pages de l’hebdomadaire Respekt.

Photo: prag.diplo.de
La situation à l’ambassade de l’Allemagne de l’ouest ne semblait pas inquiéter beaucoup les autorités tchécoslovaques. Celles-ci ne pouvaient pas faire grand’ chose car, comme le rappelle l’ancien ambassadeur allemand à Prague, Hermann Huber, « selon la constitution de l’Allemagne de l’ouest, chaque citoyen de la RDA était en même temps un citoyens de la RFA. De ce fait, il ne s’agissait pas d’un octroi d’asile, mais tout simplement de notre plein droit d’accueillir nos concitoyens ».

Selon cet ancien diplomate, les autorités tchécoslovaques se comportaient de façon assez bienveillante. Il rappelle que les camions qui transportaient de Bavière produits alimentaires, vêtements, tentes et nourritures, n’ont jamais rencontré de problèmes à la frontière. « Mais ce qui m’a aidé le plus c’est que les éboueurs liquidaient chaque jour des dizaines de sacs d’ordures. Je me souviens d’un dimanche où l’on hébergeait pas moins de deux milles personnes ; au comble du désespoir, j’ai appelé les éboueurs et à ma grande surprise, ils sont venus sans tarder ».

En ce qui concerne le comportement de la police, le journal fait remarquer qu’il était imprévisible. L’approche des agents de police changeait effectivement d’un jour à l’autre : tantôt ils essayaient de faire descendre les gens grimpant par-dessus le mur de l’ambassade pour les rapatrier immédiatement dans leur pays d’origine, tantôt ils observaient ce qui se passait avec une indifférence totale. Respekt cite encore une fois l’ancien ambassadeur Herman Huber :

« Apparemment, la direction tchécoslovaque était en plein désarroi et n’avait pas d’idée précise sur ce qu’elle devait faire et quelle attitude elle devait adopter. D’autant que Moscou ne donnait plus de directive ».

Photo: CTK
Au fil des jours, voire des semaines, la situation à l’ambassade de la RFA à Prague devenait de plus en plus tendue, l’inquiétude montait. Deux scénarios possibles se dessinaient pour les réfugiés. Beaucoup espéraient que le 7 octobre, date anniversaire de la fondation de la République démocratique allemande, le numéro un communiste Erich Honnecker prenne enfin position à l’égard de ce qui se passait à Prague, car les yeux du monde entier étaient braqués dessus. Il existait aussi un plan B au cas où cette première alternative aurait échoué. Les réfugiés allemands étaient prêts à se rendre ensemble, reliés les uns aux autres, en Autriche via la Hongrie, espérant que la masse de quelques milles personnes pourrait passer plus ou moins tranquillement et qu’elle ne serait pas attaquée.

Comme on le sait, cette aventure a connu un dénouement heureux. Le 30 septembre, les réfugiés ont pu quitter en l’espace de quelques heures l’ambassade et partir en train vers l’Allemagne de l’ouest. Herbert Huber se souvient :

« J’étais complètement épuisé et à la fois un peu triste, car je réalisais qu’un moment hors du commun venait de prendre fin. Je me suis promené dans le jardin, j’ai pris une soupe avec les gens de la Croix rouge ».

Mais ce repos n’était que de courte haleine. Quelques instants après, on a pu de nouveau voir venir devant la grille de l’ambassade des centaines de ressortissants d’Allemagne de l’Est. Ses employés étaient à bout de forces et les conditions hygiéniques dans le jardin étant on ne peut plus minables, l’ambassadeur Hubert a d’abord hésité à la rouvrir. Mais, en fin de compte, il a cédé.

L’hebdomadaire Respekt écrit pour conclure :

« Pendant la deuxième vague de cette immigration, la police tchécoslovaque a laissé passer sans problèmes tous ceux qui voulaient entrer à l’intérieur. Dans la nuit du 4 au 5 octobre, huit trains spéciaux ont été expédiés de Prague à destination de l’Ouest. A cette époque-là, la ville de Leipzig était déjà le théâtre des premières manifestations contre le régime ».