Les Tchèques – acteurs ou observateurs de l’évolution du monde ?

Photo: ČTK

Au sommaire de cette nouvelle revue hebdomadaire de la presse tchèque figurent notamment quelques-unes des nombreuses réactions qui ont suivi l’aboutissement des négociations relatives à la crise en Ukraine menées successivement à Moscou, à Munich puis à Minsk. Autre sujet qui a retenu notre attention : le bombardement de Prague depuis lequel 70 ans se seront écoulés ce 14 février. Un bombardement qui, aujourd’hui encore, ne cesse de soulever des questions.

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« L’absence tchèque à la conférence de Munich sur la sécurité est un échec peu compréhensible ». Tel est le commentaire qui figure en titre d’un article publié sur le site respekt.cz. Dans celui-ci, son auteur Erik Tabery affirme entre autres :

« Chaque année, la conférence de Munich sur la sécurité attire une grande attention, car elle réunit les politiciens les plus influents de la planète. Cela était le cas plus encore cette année en raison de l’intervention de la chancelière allemande Angela Merkel qui, la veille, avait négocié avec le président russe Vladimir Poutine sur la situation en Ukraine. Les déclarations et l’expression de la chancellière allemande ont confirmé que la situation était dramatique. »

L’éditorialiste met en relief le fait que, en dépit de la divergence de vues sur différents thèmes, l’ensemble ou presque des intervenants s’est mis d’accord sur un point : l’agresseur est bien la Russie de Poutine et c’est elle qui constitue une menace pour la paix. Toujours selon Erik Tabery, un des moments forts de la conférence a été la confiance exprimée à l’égard d’Angela Merkel par les représentants de pays comme la Bulgarie, la Lituanie, l’Ukraine et la Finlande ; une position guère surprenante compte tenu de l’expérience historique de ces pays. Dans ce contexte, Erik Tabery note :

« En Tchéquie, en revanche, on n’en parle pas, en raison notamment de l’absence de ses représentants gouvernementaux à la conférence. A la lumière de l’évolution du monde, c’est là quelque chose de difficilement compréhensible. Une conférence est non seulement le théâtre de débats, mais aussi un lieu de négociations, de partages d’informations et de concertations d’attitudes. Une nouvelle fois, nous sommes confrontés à un scénario dans lequel nous ne figurons pas comme des acteurs mais plutôt comme de simples observateurs.... Selon le tweet de l’ancien chef de la diplomatie suédoise, Carl Bildt, quelque 700 discussions se sont déroulées pendant le week-end à Munich. Autrement dit, les représentants tchèques ont raté 700 occasions de rendre nos vies plus sûres ».

L’Europe peut vivre en paix

Vladimir Poutine,  photo: ČTK
Toujours en rapport avec la conférence de Munich sur la sécurité et les négociations d’Angela Merkel et de François Hollande avec Vladimir Poutine à Moscou, le politologue Michael Romancov constate pour sa part, dans un texte mis en ligne sur le site aktualne.cz, que le week-end dernier a abouti à un résultat très positif, bien qu’il reste prématuré d’en tirer une conclusion. Michael Romancov précise :

« Ce qui était jusqu’à présent dissimulé et qui faisait l’objet d’interminables polémiques a enfin surgi à la surface, à savoir que la Russie est foncièrement mécontente et que l’on est en présence, face à l’Union européenne, respectivement face à l’Occident, d’une puissance révisionniste par excellence. L’Europe d’aujourd’hui ne connaît pas de situation semblable, mais il y en a déjà eu beaucoup dans l’histoire. »

Michael Romancov souligne que, dans tous ces cas, que ce soit pour l’Allemagne ou la Russie de Staline, l’Europe démocratique a toujours fini par s’imposer. Selon lui, « la victoire a été remportée par la démocratie, l’économie de marché et le droit, des valeurs qui restent indigestibles pour Poutine et tous ses semblables ». Et le politologue de conclure :

« Poutine ne comprend pas que les Européens peuvent vivre en paix entre eux, mais aussi avec les Etats-Unis, le Canada, l’Australie ou le Japon, et peut-être même aussi avec la Chine. Il ne le comprend pas et cherche à rompre l’unité non seulement de l’Europe, mais aussi de l’ensemble du monde démocratique. Ne pas lui donner l’opportunité d’accomplir ses plans ne dépend que de nous. Les négociations à Moscou et à Munich ont montré que le président russe n’avait pas une grande chance de réussir. Il semble que Merkel et Hollande réalisent où mène le chemin sur lequel Poutine veut détourner l’Europe. Espérons que l’ensemble de l’Europe centrale en tienne pleinement compte elle aussi. »

A l’heure d’un optimisme modéré

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Réticence et optimisme modéré : tels sont les trois mots qui caractérisent la majorité des réactions qui ont fleuri dans les médias tchèques suite à l’accord auquel sont parvenus, jeudi, les chefs d’Etat réunis à Minsk : Angela Merkel, François Hollande, Vladimir Poutine et Petro Porochenko. Dans une note sortie de la plume de Karel Svoboda, de l’Institut d’études internationales, qui a été mise en ligne sur le site ihned.cz, nous pouvons ainsi lire :

« Malgré l’optimisme qui a prédominé après la signature des accords sur la fin des combats à Donetsk, il convient de se demander dans quelle mesure ceux-ci seront respectés. Tout le monde a encore en mémoire les accords semblables de septembre 2014 qui n’avaient eu aucun impact sur la situation réelle... Force est de constater que malgré la vision selon laquelle la guerre sera enfin finie, nombre d’écueils persistent encore... Comme la méfiance entre les deux parties est grande, un seul coup de fusil peut tout faire voler en éclats. »

Dans ce contexte, l’analyste du quotidien Právo Alexandr Mitrofanov a écrit :

« Stop à la mort des civils et des soldats. C’est en cela que consiste le principal espoir ressortant des négociations de Minsk. L’autre espoir est celui du retrait des ‘troupes étrangères’. En fait, nous avons affaire à un euphémisme, car si des troupes étrangères sont présentes sur le territoire ukrainien, il s’agit bien entendu de troupes russes... L’espoir qui se rapporte à l’espace euroatlantique veut que la guerre réelle prenne désormais la forme d’une guerre froide. Les générations d’un certain âge se rappellent encore que lors de la précédente guerre froide, au moins, les armes sont restées muettes. »

Le 14 février 1945 – le jour où Prague a été bombardé : des questions persistent

Le bombardement de Prague en 1945,  photo: Archives de DPP Praha
La dernière édition de l’hebdomadaire Respekt rappelle que, ce 14 février, 70 ans se seront écoulés depuis le bombardement de Prague par des avions américains. 701 personnes tuées et plus d’un millier d’autres blessées : tel a été le bilan de ce raid aérien éclair qui n’a duré que cinq minutes mais qui a été aussi lourd que celui de la Luftwaffe allemande sur Coventry en Grande-Bretagne en 1940, considéré pourtant comme le symbole du barbarisme contre les populations civiles. Les raisons de ce raid inattendu des forces alliées sur Prague n’ont jamais été entièrement éclaircies, si ce n’est qu’il a été le fruit d’une opération ratée, les militaires ayant confondu Dresde et Prague. L’auteur du texte, richement illustré de photos de l’époque, Jan H. Vitvar, remarque à ce sujet :

« Pendant la période mouvementée de l’après-guerre, les Européens avaient d’autres soucis que de s’occuper d’événements qui s’étaient produits à la fin de la guerre dans un petit Etat occupé. C’est pourquoi cette tragédie n’a été examinée que beaucoup plus tard et que son scénario détaillé n’a été dévoilé que lors des premières années du nouveau millénaire... La mauvaise météo, la panne d’un radar et une navigation déplorable sont les malheureux facteurs réunis qui ont entraîné la présence, en février 1945, au-dessus de Prague, d’une soixantaine de bombardiers B-17. »

Ces raisons n’expliquent pas pour autant le nombre très élevé de victimes. Selon Jan H. Vitvar, celui-ci serait la conséquence de la vigilance réduite des Pragois. Habitués aux vols d’avions des alliés au-dessus de la ville, ils ne s’attendaient plus à un raid réel et avaient alors tendance à sous-estimer les alarmes des sirènes et à ne plus se cacher. L’auteur rappelle également que cet événement, aussi tragique fût-il, n’a jamais été perçu comme un signe de la perfidie anglo-américaine par la société tchèque ou présenté comme tel par les historiens, pas même par ceux aux services de la propagande communiste. Jan H. Vitvar écrit enfin :

« Lors de la discussion des anciens combattants américains qui sont venus à Prague en 2000, tout le monde s’est mis d’accord sur le fait que sans l’erreur des navigateurs et l’insouciance des Pragois, la catastrophe ne serait pas survenue ou bien aurait eu une moindre ampleur. Mais il reste une question à laquelle personne ne sait répondre pas même 70 ans plus tard : comment se fait-il qu’aucun des aviateurs n’ait trouvé étrange que la ville qu’ils voyaient en dessous d’eux n’ait été, à la différence de Dresde, nullement touchée par la guerre et pourquoi, au dernier moment, n’ont-ils pas changé de direction ? »