Les élections européennes vues par la presse tchèque

Photo: ČTK

Ces derniers jours, les récentes élections européennes ont été le thème numéro un des médias locaux qui ont analysé les résultats obtenus au niveau national, ainsi que les causes d’une très forte abstention en République tchèque, le taux de participation s’étant situé autour de 18 %. Les résultats obtenus à l’échelle européenne, marqués par la montée des partis nationalistes et, surtout, le succès remporté par le Front national de Marine Le Pen ont été également largement commentés. Nous vous vous présenterons quelques exemples des observations faites à ce sujet.

Marine Le Pen,  photo: ČTK
« La victoire des nationalistes français sous la direction de Marine Le Pen est le plus grand succès jamais remporté dans les pays européens par les partis radicaux qui refusent une plus grande intégration européenne. »

C’est ce que constate un article publié sur le site lidovky.cz et c’est ce que souligne également l’ensemble des nombreux commentaires qui ont été consacrés dans les médias locaux à la victoire du Front national en France. Ceux-ci informent également de la manière dont cette victoire a été communiquée par la presse française, reproduisant certains de ses titres dans lesquels les mots « choc » ou « séisme » sont souvent apparus. L’article cité ajoute également que Marine Le Pen cherche depuis longtemps à débarrasser le FN de l’étiquette d’organisation extrémiste que celui-ci a acquise du temps de son père Jean-Marie Le Pen.

Sur le site aktualne.cz, Jiří Schneider remarque que les élections du week-end écoulé ont montré l’affaiblissement des partis traditionnels en Europe et le renforcement des partis dits de protestation, nationalistes et anti-unionistes. Il écrit également :

« Les résultats obtenus par le Front national en France et par le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) auront un impact sur la politique dans l’ensemble de l’Europe et changeront le discours du Parlement européen. Bien que ces partis et les partis apparentés aient du mal à créer un groupe politique compact, ‘une internationale nationaliste’ représentant un véritable contre-sens, ils sont unanimes en ce qui concerne leur opposition à l’establishment unioniste. Ils peuvent s’appuyer non seulement sur les sentiments des électeurs mais aussi sur des positions proches qui existent en dehors de l’Union européenne, par exemple en Russie... Les élites européennes n’arrivent pas à expliquer à leurs électeurs en quoi consistent les avantages de l’intégration européenne. L’Europe souffre d’un manque de véritables hommes d’Etat. Désormais, face au conflit ukrainien, il n’y a pas seulement la prospérité de l’Europe qui est menacée, mais ce sont aussi sa liberté et sa sécurité qui semblent être en jeu. »

Dans un autre commentaire publié sur le site aktualne.cz, Karel Hvížďala constate que la victoire du Front national, « un parti d’extrême droite qui a nettement devancé les partis traditionnels », se répercutera fortement, aussi, dans la politique intérieure de la France. Selon lui, le plébiscite européen n’a pas concerné seulement l’Union européenne mais, plus encore, le gouvernement français au pouvoir... « Marine Le Pen a besoin d’un allié contre l’Union européenne », titre un texte qui a été publié sur le site Denik.cz. Son auteur remarque :

« Marine Le Pen, dont le Front national est sorti vainqueur des élections françaises au Parlement européen, voudrait désagréger l’Union européenne de l’intérieur. Elle ne cache pas d’ailleurs ses intentions. Après le triomphe éclatant du Front national, elle est devenue le symbole le plus marquant des partis nationalistes qui ont renforcé lors des élections européennes leurs positions. Sa victoire signifie en même temps un nouveau coup dur infligé au président François Hollande, car les socialistes ne se sont classés qu’en troisième place. »

Ceci dit, l’auteur estime que Marine Le Pen n’arrivera pas à fonder une nouvelle fraction au sein du Parlement européen, car elle ne peut pas compter sur l’eurosceptique britannique Nigel Farage. Le triomphe du Front national a été également commenté dans un article publié sur le site informace.cz dans lequel nous avons pu lire :

« Marine le Pen et son parti profitent de l’émiettement des partis de droite traditionnels mais, surtout, de l’impopularité du président François Hollande. Par ailleurs, selon les calculs préélectoraux, son succès était prévisible. Pour le Front national, dont le programme est basé sur un discours antieuropéen et anti-immigration, il s’agit d’un résultat historique, car c’est pour la première fois qu’il ait gagné des élections à l’échelle nationale, de surcroît avec un tel écart. A la place des trois sièges, la formation de Le Pen en aura désormais plus d’une vingtaine. »

Une analyse publiée dans l’édition de mercredi dernier du quotidien Lidové noviny s’interroge sur les conséquences des résultats des élections européennes pour la circulation libre en Europe. Une occasion pour son auteur d’émettre l’hypothèse selon laquelle le succès que Marine Le Pen vient de remporter ne se reproduira pas, très probablement, lors du vote national, suite à quoi elle n’aurait pas assez de force d’imposer sa vision du monde.

C’est également dans les pages de ce journal que l’on a pu lire une interview avec Petr Mach, chef et l’unique représentant du Parti des citoyens libres (Strana svobodných občanů) à avoir été élu au Parlement européen. Il s’agit d’un premier succès dans les suffrages de cette formation qui existe sur l’échiquier politique tchèque depuis cinq ans et qui défend des positions anti-européennes très prononcées. Petr Mach a entre autres confirmé dans cette interview qu’il pouvait imaginer une collaboration avec Marine Le Pen en déclarant:

« Cette collaboration concernerait par exemple le projet d’introduire l’euro comme une monnaie facultative. A ma connaissance, le Front national a inscrit dans son programme le départ de la France de la zone euro. Je suppose donc que Marine Le Pen voudrait soutenir mon projet ».

Les électeurs tchèques ont dit non aux voix nationalistes

Photo: ČTK
En analysant les résultats des élections européennes en République tchèque, les médias nationaux ont notamment retenu le succès des partis pro-européens et une forte abstention aux urnes, dans la mesure où le taux de participation a été de 18,2%. D’où vient cette indifférence des Tchèques ? Petr Honzejk s’interroge dans le quotidien Hospodářké noviny:

« Le problème est lié à notre représentation politique et à l’atmosphère qu’elle a créée au fur et à mesure. Le panorama de l’europolitique tchèque présentée lors de la campagne électorale offrait une image triste, tant au niveau professionnel qu’au niveau moral. Il s’est avéré une nouvelle fois que rares sont nos représentants politiques qui comprennent le Parlement européen au point de pouvoir expliquer, de façon simple et convaincante, à quoi il sert en fin de compte. D’où un débat plein d’hypocrisies et de promesses irréelles qui ne font qu’éloigner encore davantage les institutions européennes de la population tchèque. »

L’auteur de ce texte rappelle également que l’euroscepticisme avait été semé dans la société tchèque pendant les deux mandats présidentiels de Václav Klaus s’étendant sur une décennie. Une tendance qui a été tant bien que mal suivie par une partie des médias... Pour Petr Kamberský du journal Lidové noviny, la forte abstention des électeurs tchèque est le signe d’une indifférence plus profonde, d’une indifférence d’ordre social, civique et sentimental. Il explique pourquoi :

« La forte abstention aux urnes montre à quel point les Tchèques sont indifférents. Cette indifférence est un trait caractéristique de la mentalité tchèque, du caractère national, des habitudes culturelles. Il suffit de rappeler que nous ne célébrons pas les fêtes nationales, n’avons plus envie de nous marier, ne respectons pas les cérémonies funéraires, ne manifestons pas pour des causes qui le méritent. Point étonnant que nous soyons également absents aux urnes ».

Dans un texte publié dans l’une des dernières éditions de ce même journal, Tomáš Prouza, le secrétaire d’Etat pour les affaires européennes, se félicite de ce que les Tchèques n’ont pas passé le gouvernail aux nationalistes en écrivant :

« Les élections européennes en République tchèque n’avaient pas un caractère de protestation. Tandis qu’en France ou en Grande-Bretagne, la victoire a été remportée par des partis anti-européens, le centre de l’Europe a dit non à de telles voix, donnant le minimum de chance à celles-ci d’être représentées à Bruxelles. En même temps, les électeurs tchèques ont confirmé qu’ils ne se rangeaient pas parmi des eurosceptiques extrêmes ».

L’échec des partis qui dénoncent le prétendu « dictat » de Bruxelles signifie également que les Tchèques veulent faire désormais partie du prestigieux club européen et qu’ils privilégient le dialogue.