Les différentes facettes de l’émigration tchécoslovaque

Le 17 novembre, 21 ans se seront écoulés depuis la chute du régime communiste. A cette occasion, le quotidien Lidové noviny a commencé à publier une série d’articles qui sont consacrés à l’émigration tchécoslovaque qui a suivi l’instauration dans le pays du régime communiste, resté en place de février 1948 à novembre 1989. Les textes dont nous allons choisir quelques extraits font partie du projet intitulé Histoires d’injustice, mis sur pied par l’association People in need (Člověk v tísni).

Karel Strachota,  photo: Lubomír Kotek,  www.jedensvet.cz
Karel Strachota, directeur du projet Histoires de l’injustice et le journaliste Adam Drda considèrent qu’en 2009, à l’occasion du 20ème anniversaire de la révolution de Velours, qui a balayé le régime communiste, peu de textes ont été consacrés aux Tchécoslovaques qui ont pris le chemin de l’émigration, ainsi qu’au sujet de l’exil en tant que phénomène faisant partie intégrante de l’histoire d’après février 1948, date de la prise de pouvoir par le régime communiste.

« Les caractéristiques données au XXe siècle en République tchécoslovaque sont nombreuses. Celle qui décrit cette période comme un ‘siècle de foyers perdus’ est très bien placée », peut-on lire dans les pages de l’édition de lundi du journal qui poursuit :

« Identifier le nombre exact des Tchèques et des Slovaques qui ont émigré à l’Ouest pour fuir le régime communiste, n’est pas facile. L’émigration a connu trois vagues : celle d’après le putsch de 1948, celle d’après l’occupation soviétique en 1968 et celle remontant à la deuxième moitié des années 1970. »

Photo illustrative: Archives de Radio Prague
« L’émigration la plus importante a été enregistrée après l’écrasement du Printemps de Prague, le 21 août 1968… Selon les données démographiques, de 100 à 130 mille Tchécoslovaques ont décidé à cette époque de quitter le pays. L’accueil qui leur a été réservé dans l’ensemble des pays de l’Ouest a été très cordial et solidaire ».

Au cours de la première moitié des années 1970, lorsque les autorités communistes ont rendu les conditions de sortie du pays particulièrement sévères, le nombre d’exilés a diminué. La situation a changé après la parution de la Charte 77, texte dénonçant les pratiques du régime communiste dans les années 1970, années dites de la « normalisation ». Dès lors, le régime tentera d’expulser du pays les dissidents ou du moins certains d’entre eux et de laisser partir « les éléments irrémédiablement antisocialistes ».

Le journal Lidové noviny constate à la fin de ce premier chapitre consacré au phénomène de l’émigration tchécoslovaque pendant les années du régime communiste que l’émigration en masse, concernant des centaines de milliers de personnes, est une démonstration on ne peut plus éloquente du caractère propre au satellite soviétique qu’était à l’époque la Tchécoslovaquie. Et de conclure :

« On peut aujourd’hui discuter de la dénomination qu’il y a lieu de donner au système qui existait sous le baguette du Parti communiste : était-ce le communisme ou bien une dictature socialiste ? On peut discuter également, par exemple, sur les phases qui méritent d’être appelées totalitaires. Une chose est pourtant indiscutable : le nombre d’exilés prouve une fois pour toute qu’il s’agissait d’un régime qui était hostile au peuple et qui était inconciliable avec une vie décente. »

Dans la deuxième partie de la série d’articles consacrée à l’émigration tchécoslovaque entre les années 1948 et 1989, publiée dans le journal Lidové noviny, le journaliste Adam Drda s’interroge sur les causes qui ont poussé les gens à choisir le chemin de l’émigration, cherchant notamment une réponse à la question de savoir s’il faut de parler de l’émigration pour des motifs économiques avec dédain. Il écrit :

« La crainte de la persécution et de la prison, le refus de s’adapter aux revendications bolchéviques amorales, le désir de lutter de l’extérieur contre la dictature. Tels étaient les principaux motifs des gens qui ont quitté la Tchécoslovaquie après février 1948, parmi lesquels on peut trouver pas mal d’hommes politiques ».

Le journal rappelle que leurs départs ont souvent été dramatiques et cite d’autres personnalités connues qui ont quitté le pays : le journaliste Pavel Tigrid, les écrivains Egon Hostovsky et Jan Cep, le poète Ivan Blatny, le comédien Jiri Voskovec, l’entrepreneur Tomas Bata. Il y avait en outre beaucoup de gens inconnus, issus de diverses couches sociales et de différentes tranches d’âge qui ont préféré quitter le pays sans même savoir quelles perspectives les attendaient à l’Ouest et dont les motifs étaient pour la plupart purement idéalistes.

La grande vague d’émigration qui est survenue après l’occupation de la Tchécoslovaquie en août 1968 par les troupes du Pacte de Varsovie a vu également partir toute une série de sommités de la vie culturelle et politique ou d’experts. Mais la structure de l’ensemble des émigrés a changé par rapport à ce qu’il y avait vingt ans auparavant, les anciens communistes ainsi que des milliers de gens apolitiques, poussés souvent par des motifs matériels et économiques, en composant une part importante.

Lidové noviny cite l’historien Jan Hanzlik qui constate, sur la base de documents du ministère de l’Intérieur qu’immédiatement après l’occupation du pays, la République tchécoslovaque a perdu de jeunes spécialistes notamment de l’industrie lourde qui était le leadership de l’économie socialiste. Plus de la moitié des émigrés en Slovaquie, par exemple, étaient des jeunes de moins de trente ans : scientifiques, médecins, ingénieurs.

« Assainissement » (Asanace). Tel était le nom de l’opération dans le cadre de laquelle la police d’Etat (StB) a cherché à se débarrasser vers la fin des années 1970 des dizaines de dissidents, les jugeant comme des personnes « incommodes ». Les méthodes, psychiques et physiques, auxquelles elle avait recours ont été particulièrement brutales. Elles ont obligé beaucoup de ceux qui n’avaient pas initialement l’intention de quitter le pays, à céder.

C’est le cas, par exemple, du chanteur Jaroslav Hutka qui, sous la pression exercée sur lui par la police d’Etat, a quitté dans la deuxième moitié des années 1970 la Tchécoslovaquie pour s’installer aux Pays-Bas. Lors de la fameuse révolution de velours, il était parmi les premiers émigrés tchèques à retourner dans le pays, pour monter sur la tribune et pour accompagner les manifestations des centaines de milliers de gens de sa guitare et de son chant.