La presse a rappelé les 40 ans des éditions Sixty-Eight Publishers... et commenté l’inactivisme des élites tchèques sur la scène européenne

La dernière édition du supplément Orientation (Orientace) du quotidien Lidové noviny rappelle que quarante ans se sont écoulés depuis la création à Toronto, par les époux Josef et Zdena Škvorecký, de la maison d’édition Sixty-Eight Publishers, une des plus importantes institutions culturelles tchèques des années 1970 et 1980. « Ses fondateurs ont sacrifié en quelque sorte leurs propres carrières au profit de la libre diffusion de la littérature tchèque et slovaque », peut-on lire en introduction de l’article qui retrace les points-clés de l’existence de ces éditions hors du commun. Nous en avons choisi quelques extraits et avons également cherché dans la presse la réponse à la question de savoir si la Tchéquie préparait des scénarios « noirs » en rapport avec la crise la zone euro.

Lorsque, en 1969, le populaire écrivain tchèque Josef Škvorecký, 47 ans, et son épouse Zdena Salivarová-Škvorecká, 37 ans, ancienne comédienne et écrivaine elle aussi, ont pris le chemin de l’émigration, ils ont fini par s’installer à Toronto au Canada. C’est là-bas que l’épouse de Josef Škvorecký, devenu, lui, maître de conférence à l’université, a eu l’idée de commencer à éditer la littérature tchèque et slovaque qui ne pouvait pas être publiée dans son pays d’origine, soit parce que ses auteurs vivaient à l’étranger, soit parce que ceux-ci, pour des raisons politiques, étaient interdits de publication chez eux.

Le premier livre publié par les époux a été ‘Le Bataillon blindé’ (Tankový prapor), une œuvre écrite par Josef Škvorecký dans les années 1950 et dans laquelle il décrit son expérience du service militaire. Le livre qui a lancé la maison d’édition Sixty-Eight Publishers allait connaître au total cinq rééditions et ainsi devenir son plus grand succès. Le journal décrit les débuts difficiles de la maison d’édition comme suit :

« D’abord, les époux Škvorecký ont financé leur maison d’édition exclusivement de leurs propres sources. Ils ont travaillé dans les conditions modestes de leur appartement sans rien gagner. Au fur et à mesure, ils ont eu près de deux mille abonnés permanents et mille abonnés occasionnels. C’est en revanche à titre gratuit que les livres étaient expédiés vers la Tchécoslovaquie et vers d’autres pays de l’autre côté du Mur, tout comme vers les camps de réfugiés dans lesquels les Tchèques émigrés attendaient d’obtenir un droit d’asile. »

Travailler sans subventions et consacrer à ce travail tout leur temps libre, tel est le prix que les époux Škvorecký ont décidé de payer pour leur indépendance. « J’ai voulu m’y mettre seule, car un collectif a tôt ou tard tendance à se désagréger », expliquera plus tard Zdena Škvorecká.

224 titres, avec un tirage moyen de 1 500 à 2 000 exemplaires : tel est le bilan de la maison Sixty-Eight Publishers, fondé il y a quarante ans, qui a édité aussi bien des œuvres prosaïques que de la poésie. Sur sa liste des auteurs figurent des noms illustres, parmi lesquels on ne citera que Milan Kundera, Jiří Gruša, Arnošt Lustig ou Ludvík Vaculík. Le journal rappelle par quelle voie les livres, qui avaient tous un format unique de 17,5 x 10,5 cm, parvenaient jusqu’à la Tchécoslovaquie communiste :

« Il existait plusieurs moyens de faire passer les livres issus de Sixty-Eight Publishers au-delà du Rideau de fer. Très souvent, les gens autorisés à se rendre en Occident les transportaient clandestinement dans leurs bagages, cachés par exemple dans de la lessive. C’est aussi par le courrier diplomatique que ces livres arrivaient dans le pays. Une fois entre les mains des lecteurs tchèques, ceux-ci se les prêtaient ou les copiaient. »

Le journal Lidové noviny signale en conclusion :

« La police d’Etat (StB) faisait tout, avec l’aide de ses collaborateurs, pour obtenir des informations sur les activités de la maison d’édition Sixty-Eight Publishers et sur les chemins par lesquels ses livres arrivaient en Tchécoslovaquie. Hélas, on n’en sait pas plus car une partie des documents de la police a été liquidée. On peut cependant constater que le régime communiste considérait cette maison d’édition comme un de ses adversaires les plus influents et les plus efficaces appartenant au milieu de l’exil tchécoslovaque d’après août 1968. »


« Si la zone euro éclate, nous aurons à lutter pour notre survie. » C’est ce qu’a déclaré, cette semaine, le ministre tchèque des Finances, Miroslav Kalousek, lors d’une rencontre avec les représentants des municipalités de Bohême centrale. Selon la presse, qui a donné un large écho à ses paroles, Miroslav Kalousek a aussi affirmé :

Miroslav Kalousek,  photo: CTK
« Je pense qu’il est assez probable que nous soyons l’année prochaine confrontés à des défis et à des problèmes que nous n’aurions pas su imaginer aux cours des vingt dernières années. » Plus alarmiste que jamais, le trésorier principal tchèque a en outre averti :

« Les retombées économiques, budgétaires et sociales de l’effondrement de la zone euro seraient tellement lourdes que l’ensemble des partis démocratiques seraient amenés à chercher des solutions en commun. Si tel est le cas, tous les tabous idéologiques devront être mis de côté car il s’agira, ni plus ni moins, de sauver notre existence. »

Miroslav Kalousek a admis que le gouvernement élaborait pour une telle éventualité un scénario de crise. C’est d’ailleurs ce que stipule aussi le Conseil économique national du gouvernement (NERV) qui, d’après une analyse publiée par le quotidien économique Hospodářské noviny, prépare trois scénarios envisageant différentes évolutions possibles et un scénario « catastrophe ».

Ceci dit, le journal souligne que les économistes concernés demeurent en ce moment laconiques et ne donnent pas plus de précisions. Ils avouent néanmoins avoir préparé une trentaine de propositions qui seront discutées dans les prochains jours avec le Premier ministre Petr Nečas.

« Si la zone euro survit, la République tchèque devrait y adhérer » : c’est ce qu’a déclaré, mercredi, l’économiste tchèque Jan Švejnar, qui dirige l’Institut pour la démocratie et l’analyse économique (IDEA). Mais ce serait, d’après lui, une zone différente de ce qu’elle est aujourd’hui, plus rétrécie peut-être et dotée probablement d’un budget commun.

Le site Lidovky.cz a également donné une estimation des retombées qu’auraient sur la Tchéquie l’éclatement de la zone euro et le chaos économique qui en découlerait :

« Une récession de l’économie tchèque de 5 %, un taux de chômage autour de 11 %, un déficit du budget de l’Etat autour de 200 milliards de couronnes. »

L’intervention récente à Berlin du chef de la diplomatie polonaise, Radoslaw Sikorski, a également été très remarquée par l’ensemble de la presse tchèque. Le dernier numéro de l’hebdomadaire Respekt a même publié son texte intégral.

Dans le quotidien Právo, nous avons pu lire à ce sujet un commentaire issu de la plume du politologue Jiří Pehe, qui compare les positions tchèque et polonaise à l’égard de la situation que l’Europe affronte et qui semblent foncièrement différentes. Jiří Pehe a noté :

« L’Europe vit une des périodes les plus dramatiques de son histoire. Mais ceci ne semble pas émouvoir les élites politiques du pays... Elles n’interviennent pas dans le débat sur l’avenir de l’Europe. Elles laissent ainsi de l’espace au président de la République Václav Klaus, son europhobie ne permettant pas d’entamer une discussion constructive. »

La récente intervention du chef de la diplomatie polonaise est selon l’auteur du commentaire une preuve éloquente de ce que tous les pays membres de l’Union européenne peuvent participer activement à ce débat. Pour lui, « Sikorski a fait clairement savoir que la lutte pour l’euro, sinon pour l’Union européenne, constitue désormais une tâche cruciale ».

« Du point de vue de l’hygiène mentale nationale, le manque d’activisme des représentants politiques, qui ont tiré peu de leçons de l’histoire, paraît tragique », constate le commentaire.