Une Tchèque sous le soleil de Californie

Photo: Argo

« Un jour, j’ai rencontré à Prague un Américain qui m’a fait tourner la tête », dit Daniela Šafránková pour expliquer la genèse de son livre intitulé « Anísa ». Cet ouvrage inspiré par la vie de la communauté tchèque aux Etats-Unis est aussi une étude sur le choc des civilisations et reflète avant tout le personnage et la fantaisie débordée de son auteure.

Une jeune Pragoise amoureuse d’un Américain

Daniela Šafránková,  photo: Facebook de Daniela Šafránková
Daniela Šafránková ne prétend pas avoir écrit un roman classique. Elle a eu la modestie de donner à son livre le sous-titre « mini-roman », ce qui lui donne une grande liberté au niveau de la forme et lui permet de donner libre cours à son imagination. Pourtant le point de départ de son ouvrage a été tout à fait réaliste et basé sur son propre vécu :

« Un jour, j’ai rencontré à Prague un Américain qui m’a fait tourner la tête. Nous avons passé ensemble quatre jours. Il s’est installé d’abord ici pour vivre avec moi et par la suite je suis partie avec lui aux Etats-Unis. C’était en 1992. Nous nous sommes rencontrés parce qu’il cherchait la maison natale de Reiner Maria Rilke. Je savais où se trouvait cette maison et je l’y ai amené. »

Née en 1974 à Prague, Daniela Šafránková s’inscrit en 1992 à l’Académie des arts à Prague pour étudier la production théâtrale et la gestion des spectacles, mais déjà pendant ses études elle se lance dans la peinture qui devient pour elle beaucoup plus qu’un violon d’Ingres. C’est en 1995 qu’elle décide de suivre l’homme de sa vie et s’établit avec lui en Californie. En 1996, elle est admise à l’Université de Fullerton où elle étudie jusqu’en 1998 la pédagogie et les beaux- arts et après avoir fini ses études elle enseigne dans une école californienne les arts plastiques et le théâtre. En 2002, elle est revenue à Prague où elle vit jusqu’à aujourd’hui. Elle peint beaucoup, organise plusieurs expositions de ses tableaux mais cherche encore un autre moyen pour donner forme à l’expérience de sa vie. Ainsi est né le mini-roman Anísa, une curieuse mosaïque de courts récits, d’anecdotes, de souvenirs et de lettres fictives.

Anísa, une Américaine typique

Photo: Argo
Trois personnages, trois destins féminins se détachent dans ce kaléidoscope littéraire - Anísa, Eva et Věra. C’est autour de ces trois femmes que l’auteure a tissé la trame de son livre, un récit dont la ligne n’est pas toujours facile à saisir. Anísa est Américaine, Eva et Věra sont Tchèques :

« Anísa est la femme américaine typique. Elle est belle, elle réussit dans la vie, elle sait par exemple conduire des voitures, elle va de succès en succès, mais il lui manque quand même quelque chose. Peut-être que c’est le fait de ne pas avoir d’enfants ou d’avoir un mari plus âgé qu’elle. Il y a un manque dans sa vie. Elle mène une existence aisée, elle est intégrée dans la société mais elle s’écarte quand même de la direction générale. Elle a des problèmes qu’elle ne cherche pas à résoudre. Et au moment où elle rencontre la communauté tchèque, Eva et d’autres Tchèques établis aux Etats-Unis, son univers déjà entamé s’effrite encore davantage. »

C’est dans le personnage d’Eva que l’auteure a concentré le plus d’éléments autobiographiques. Tchèque mariée à un Américain, elle a au début de la peine à se faire aux réalités d’un pays bien différent de sa patrie et ne cesse d’être étonnée par les chocs, les impulsions et les possibilités que cette nouvelle réalité lui donne. C’est elle qui présente à Anísa d’autres membres de la communauté tchèque de Californie et provoque finalement un profond changement dans la vie de celle-ci.

Ah, ces Tchéco-Américains bizarres

La vie des Tchèques en Amérique est un thème qui a inspiré déjà par exemple l’écrivain Josef Škvorecký qui a donné dans ses livres une image ironique et pleine d’humour de cette communauté et du langage qu’elle parle. Daniela Šafránková présente ses compatriotes établis aux Etats-Unis d’une façon qui est peut-être encore plus corrosive mais qui n’a pas l’ambition d’être tout à fait réaliste :

« J’ai rencontré certains personnages de mon livre en Amérique mais évidemment leur image est un peu amplifiée, exagérée, et j’espère qu’ils n’auront jamais l’occasion de lire ce texte. C’est pourquoi je n’ai même pas cherché à présenter mon livre là-bas. La communauté tchèque existe aux Etats-Unis et nous sommes tout simplement bizarres, très particuliers et originaux. Et nous ne sommes pas assortis aux réalités américaines. Mais évidemment ces Tchéco-américains ne sont pas aussi excentriques que les personnages de mon livre. »

J’ai rencontré certains personnages de mon livre en Amérique mais évidemment leur image est un peu amplifiée, exagérée, et j’espère qu’ils n’auront jamais l’occasion de lire ce texte.

Un des grands thèmes du livre est donc une confrontation entre les modes de vie américaine et tchèque. L’auteure évoque avec humour les moments où Eva, son alter ego, est prise au dépourvu par cette nouvelle façon de vivre et doit mobiliser ses capacités d’adaptation et son courage pour se faire admettre par les Américains :

« Conduire une voiture - c’était probablement le plus grand problème pour moi. Vous passez la plupart du temps tout seul dans une voiture. Cette solitude dans la voiture vous donne une grande liberté, vous pouvez aller n’importe où et les Américains en profitent. Pour fuir leurs problèmes ils montent dans leur voiture et ils partent. Je crois que tout cela m’a beaucoup influencée. »

Certains personnages et certains chapitres de ce livre inclassable sont donc réalistes, d’autres sont exagérés et encore d’autres sont complètement irréels et on pourrait les qualifier de surréalistes. Daniela Šafránková se joue du lecteur, maintes fois elle met à l’épreuve sa confiance en son récit en y introduisant des passages fantaisistes et tout à coup elle le ramène à la réalité en accumulant de nombreux détails véridiques de la vie des immigrés tchèques aux Etats-Unis. Elle adore cette liberté qui rapproche sa création littéraire de ses tableaux aux formes flamboyantes et pleins de couleurs et donne un caractère spécial à son livre. Cette forme d’écriture lui donne la liberté de se mouvoir dans le temps et l’espace. Elle n’est pas obligée de garder l’unité de temps et de lieu, elle peut sauter d’un thème à l’autre. Et elle peut même introduire dans le livre des passages qui n’ont pas de rapport direct avec le texte mais qui créent une certaine atmosphère.

Plusieurs questions

En fermant le livre de Daniela Šafránková, le lecteur se pose plusieurs questions. Quel est la leçon que cette ancienne émigrée revenue depuis 2002 à Prague a finalement tirée de son expérience américaine ? Qu’est-ce que le fait de vivre dans un pays étranger peut nous donner à part de meilleures conditions matérielles ? Ces nouvelles expériences, peuvent-elles compenser la grande perte que nous subissons en quittant la patrie ? Daniela Šafránková ne doute pas que cette nouvelle expérience est enrichissante et qu’elle en vaut la peine. D’ailleurs, c’est grâce à l’impulsion américaine qu’elle s’est lancée dans la littérature :

« Tout est passionnant. Ces gens sont tout à fait différents, leur mentalité est complètement différente. Ils vous surprennent toujours par leur réaction inattendue. Par exemple je vis avec mon mari depuis vingt-cinq ans et il me surprend toujours parce qu’il jette sur les choses un regard américain. Bien que je le connaisse, il me surprend toujours. C’est ce qu’il y a de meilleur dans la vie à l’étranger. C’est comme un exotisme. Evidemment on doit s’adapter, on doit être flexible et réagir vite pour s’intégrer et se faire à tout ça. »