Une exposition des dessins de Jean Cocteau révèle que le poète avait un ami tchèque

'Le mystère de Jean l'Oiseleur'

« Le mystère de Jean l'Oiseleur » - c'est le titre que le poète Jean Cocteau a donné à un ensemble de ses autoportraits créée en 1924. En ajoutant des textes en marge de tous ces autoportraits il a situé ces oeuvres à la limite entre les arts plastiques et la littérature. La série ainsi que plusieurs lettres et dessins de Jean Cocteau datant des années 1920 sont exposés ces jours-ci au Palais des Foires qui abrite les collections de la Galerie nationale tchèque.

Le cycle « Le mystère de Jean l'Oiseleur » avec le sous-titre « Les Monologues », a été créé en 1924 à l'hôtel Welcome à Ville-sur-Mer. En se regardant dans un miroir, Jean Cocteau a créé une série de trente autoportraits qui allait être publiée une année plus tard, grâce à une technique de reproduction spéciale - la phototypie. Certaines reproductions ont été colorées par l'auteur au pastel. Le commissaire de l'exposition Ondrej Chrobak évoque la genèse douloureuse de cette oeuvre :

« Le cycle a vu le jour dans les circonstances qui avaient ébranlé la vie du poète. En décembre 1923 est mort Reymont Radiguet, poète et ami, lié avec Cocteau par de fortes attaches intellectuelles. Profondément bouleversé par cette mort et cherchant à échapper à la douleur et au désarroi sentimental, Jean Cocteau commence, déjà au début de 1924, à fumer très intensivement de l'opium. La première réaction aux sensations psychédéliques que cette drogue a provoquée en lui, a été son recueil « L'Opium ». Et même les dessins réalisés dans sa confrontation avec le miroir, ont été créés sous l'influence de cette drogue. Il s'agit d'une espèce de réflexions intérieures, des autoportraits complétés de textes de natures diverses. Il y a des sentences philosophiques, des réflexions intellectuelles sur la création artistique, sur des situations de la vie du poète et aussi des références à sa liaison avec Radiguet... »


« Les trente planches qui suivent ne dénoncent aucune vanité. Le hasard d'une chambre d'hôtel a placé ma table devant l'armoire à glace, écrit Jean Cocteau dans la préface du cycle. J'étais seul. Je cherchais les nombreuses manières de résoudre un visage ; or, comme depuis longtemps Edouard Champion me demande une oeuvre à reproduire manuscrite et que je n'écris plus, j'ajoutai quelques notes en marge pour lui faire une surprise. »

L'oeuvre a été créée dans le contexte artistique et littéraire des années vingt et en a été marquée. Ondrej Chrobak décèle plusieurs influences qui se font sentir dans le style des dessins malgré l'originalité incontestable de leur auteur :

« Les dessins de Jean Cocteau sont influencés par la création de Pablo Picasso.On y décèle cependant aussi des influences d'André Masson, de l'art surréaliste et des tableaux du peintre du quattrocento italien Paolo Ucello qui figurait à l'époque dans les réflexions sur le cubisme du poète Guillaume Apollinaire. »

Les dessins fins et élégants représentent le visage émacié et mélancolique du poète et les textes en marge nous font deviner que le bouleversement de Jean Cocteau en ce temps-là était profond et grave. Il y a beaucoup de pessimisme dans ces notes et on sent que l'art et le dessin étaient probablement les seuls moyens qui freinaient le glissement du poète vers le désespoir.

« Tous mes amis sont morts, écrit-il en marge d'un dessin. Mes amis où êtes- vous? Comment vient-on ? Tendez-moi une main d'ombre. » « Ronsard, Mozart, Ucello, Saint-Just, Radiguet, mes amis ensoleillés, j'aspire à vous rejoindre. » Ailleurs il évoque sa vocation de l'écrivain et les ravages qu'elle provoque dans son état psychique. « Ne dîtes pas « notre métier », s'il vous plaît, demande-il à ses interlocuteurs invisibles. Le vôtre vous fait vivre, le mien me tue. »


Le cycle Le mystère de Jean l'Oiseleur a été publié en 1925 par l'éditeur parisien Edouard Champion comme une édition bibliophilique dans un tirage de 120 exemplaires. Un de ces exemplaires, celui qui est exposé à Prague, a été offert et dédicacé par le poète à son ami tchèque Zdenek Macek, personnage dont nous ne savons pour l'instant que peu de choses et dont le rôle dans la vie de Jean Cocteau reste encore voilé de mystère. Ondrej Chrobak :

« Outre cela il s'est conservé dans la succession de Zdenek Macek plusieurs autres lettres avec des dessins de Cocteau qui nous font deviner combien étroits étaient les rapports qu'entretenait le poète avec son ami tchèque à Paris. Dans les années vingt vivait à Paris une assez importante communauté d'artistes tchèques. Il y avait par exemples les peintres surréalistes Styrsky et Toyen, mais aussi Jan Zrzavy, Alain Divis, Josef Sima. C'est dans ce contexte que vivait à Paris aussi Zdenek Macek, un collectionneur qui, lui-même, était à ses premières tentatives de se lancer dans la peinture abstraite. Il faisait donc partie de la scène artistique parisienne.

Bien que les rapports culturels tchéco-français de l'entre-deux-guerres, sont relativement bien connus, nous ne savons que peu de choses sur la vie de Zdenek Macek et notamment de ses années parisiennes. En Tchécoslovaquie des années 1970 et 1980 c'était en plus un thème tabouisé et marginalisé, car on s'intéressait surtout aux contacts entre les groupes surréalistes pragois et parisien. Toujours est-t-il que les activités et les contacts parisiens de Zdenek Macek méritent une plus grande attention qui leur sera prêtée d'ailleurs dans le proche avenir. Le calendrier des expositions de la Galerie nationale de Prague compte dans les années à venir avec une exposition des peintures abstraites de Zdenek Macek. Et lors des préparatifs pour cette exposition on s'intéressera certainement aussi à l'amitié qui le liait avec le poète Jean Cocteau. «

Qui sait, on est peut-être sur la piste d'un chapitre encore inconnu mais important dans la vie sentimentale du poète qui a écrit en marge d'un dessin de nu masculin envoyée en 1929 dans une lettre à son ami tchèque : «Cher Zdenek Macek, écrivez-moi beaucoup, vous me ferez du bien. Oui, je paye cher d'avoir voulu confondre l'encre et le sang. Mais des lettres comme les vôtres me remboursent. »