Un rêve qui tourne au cauchemar

'Voyageurs immobiles', photo: Pascale François
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C’est à un curieux voyage que nous ont invité les artistes de la Compagnie Philippe Genty, qui ont présenté, le 27 février dernier, sur la Nouvelle scène du Théâtre national de Prague, leur spectacle « Voyageurs immobiles ». Václav Richter a invité au micro Pierrick Malebranche, un des interprètes de ce spectacle.

'Voyageurs immobiles',  photo: Pascale François
Les artistes de la Compagnie Philippe Genty réussissent à transformer la scène en océan en furie, en désert balayé par le vent, en paysages oniriques reflétant les tourments et les aspirations de l’âme humaine. Grâce à leur fantaisie et à leur art, la scène devient une image de notre monde et de notre civilisation, image déformée jusqu’à la caricature de notre soif de vivre, de nos faiblesses, de nos plaisirs, de nos vices et de nos fantasmes. Comédien, danseur, mime et manipulateur, Pierrick Malebranche est un des artistes qui matérialisent sur la scène ce rêve qui tourne parfois au cauchemar. Il a présenté la Compagnie Philippe Genty et évoqué le spectacle au micro de Radio Prague :

«Cela fait très longtemps que Philippe Genty est sur les routes. Cela fait très longtemps qu’il monte des spectacles. Il a commencé par le cabaret. La compagnie elle-même monte des spectacles, je pense, depuis une trentaine d’années, des spectacles qui ne sont pas des numéros de cabaret mais des spectacles qui ont un déroulement et une continuité. Et quant à ce spectacle, ‘Voyageurs immobiles’, il a été créé il y a 15 ans. Philippe Genty l’avait créé et ils ont commencé à le jouer en 1995. Et ils souhaitaient le reprendre. C’est pour cela qu’il est de nouveau sur les routes. »

Vous dites que le spectacle a été créé il y a 15 ans déjà. Il a donc une longue vie. Comment expliquez-vous cette longévité ?

'Voyageurs immobiles',  photo: Pascale François
« En fait, il n’y a eu qu’une courte vie d’abord, parce je crois qu’ils ne l’ont tourné que deux ans, entre 1995 et 1997 à peu près. Et ensuite Philippe a souhaité le remettre en chantier. Je pense qu’il avait encore des choses à dire autour de ce spectacle, des choses qu’il voulait approfondir un petit peu. Et puis il y avait des gens qui le demandaient encore. Donc je crois que c’était un ensemble de choses qui ont fait que le spectacle ‘Voyageurs immobiles’ a été remis en route. »

Y a-t-il une grande différence entre le spectacle original et celui que vous jouez aujourd’hui ?

« Je crois que 40 % du spectacle ont été réécrits. La structure, par contre, n’a pas changé. L’enchaînement des scènes est toujours le même, mais à l’intérieur des scènes Philippe a retravaillé à partir des choses qu’il avait déjà écrites et surtout nous a fait retravailler, c’est-à-dire qu’on n’a pas repris les rôles à la lettre et au geste près. On a repris l’idée et l’esprit de la scène, et puis il nous a laissé improviser et chercher des choses nouvelles pour l’enrichir, pour en faire quelque chose de nouveau. »

Vous personnellement, depuis combien de temps jouez-vous ce rôle ? Depuis combien de temps êtes-vous dans cet ensemble ?

«Je joue dans la compagnie depuis cinq - six ans, depuis 2005. J’ai fait un spectacle avant celui-ci, ‘La Fin des terres’, on a tourné pendant trois ans et ensuite j’ai enchaîné avec ‘Voyageurs immobiles’ ».

'Voyageurs immobiles',  photo: Pascale François
Il est sans doute difficile de résumer un tel spectacle, fait de fantaisie et de choses mal définissables, mais essayons quand même de dire de quoi il s’agit…

« Il est vrai que c’est toujours difficile. Philippe lui-même est un petit peu réticent à raconter les histoires de ce spectacle parce qu’il dit que la scène est le lieu de l’inconscient. Le spectacle se déroule comme une succession de scènes, comme des rêves et des cauchemars qui se succèdent les uns après les autres. Et je crois que le spectateur peut y poser ses propres fantasmes et ses propres cauchemars. Trop en dire, c’est toujours réduire un peu. Mais bon, on peut quand même le résumer à une espèce d’humanité, un groupe d’humains, qui va traverser des paysages fantastiques, désert, océan, mais qui sont, je crois, autant de paysages mentaux. »

Le spectacle s’appelle « Voyageurs immobiles ». Qui sont ces voyageurs ? Vous vous posez cette question ? Faut-il se poser cette question ?

« Oui, je crois qu’il le faut. On peut se poser la question. Moi, j’ai une définition du voyageur immobile, mais c’est la mienne, je ne sais pas si c’est celle de Philippe, je ne sais pas si c’est celle des spectateurs. Pour moi, le voyageur immobile, c’est nous, c’est chaque être humain quand on démarre un voyage très intérieur, un voyage au fond de soi-même. Moi, j’ai fait une psychanalyse il y a quelques années. Je crois que c’est une des plus grandes aventures qu’il m’ait été donné de vivre, une espèce de plongée. Et j’ai eu vraiment l’impression de voyager, de découvrir des choses, des paysages, des obstacles aussi, donc des choses que je n’imaginais pas. C’est donc mon interprétation, mais ce n’est vraiment que la mienne. »

'Voyageurs immobiles',  photo: Pascale François
Tout cela, c’est l’œuvre du metteur en scène, ou c’est aussi vous, comédiens, qui participez activement à la création du spectacle ?

« Le spectacle est très ‘écrit’ au départ. Philippe écrit toutes les scènes, mais par contre, quand on commence à travailler, il ne nous livre que très, très peu de choses. On va commencer à travailler en répétition, il va nous donner un thème, et puis on va improviser. (…) C’est une espèce de va-et-vient entre l’écriture de l’auteur - metteur en scène et nos propositions. Donc c’est une espèce de tissage. Mais il n’empêche que l’univers reste quand même bien celui de Philippe Genty. C’est un auteur qui a un univers très, très fort, très cadré, très délimité, et nous, c’est à l’intérieur de cet univers que l’on cherche à apporter nos fantaisies. »

C’est un spectacle très compliqué. Il y a une immense machinerie qui doit marcher parfaitement. Est-ce difficile de voyager avec un tel spectacle et de le présenter dans des villes du monde entier ?

« En fait on a la chance que la compagnie a en général beaucoup de succès et que les spectacles tournent donc beaucoup et longtemps. Ce qui fait que, vraiment la première fois, on a un petit peu d’appréhension avant de mettre en marche cette mécanique, on craint de rater des choses etc., mais avec le temps et les dates qui s’accumulent, ça devient de plus en plus fluide et les choses qu’on faisait en courant au départ, on les fait ensuite tranquillement sans se stresser. »

Nous, en République tchèque, nous avons vu les théâtres qui sont semblables à celui-ci, par exemple le Théâtre noir, la Lanterne magique, où certaines de vos méthodes sont également utilisées. Est-ce que tout cela a joué un certain rôle dans la genèse de votre spectacle. ?

'Voyageurs immobiles',  photo: Pascale François
« Je ne sais pas exactement quelles sont les influences. Philippe est quelqu’un de curieux, il a fait le tour du monde en 2CV. Il a fait le tour des théâtres de marionnettes du monde entier. J’imagine donc qu’il est passé à Prague et qu’il a dû voir des choses comme il a vu le théâtre balinais, comme il a vu les marionnettes du théâtre japonais ‘bunraku’, comme il a vu autre chose … J’imagine donc que tout cela l’a nourri. On ne peut pas dire que c’est une seule chose. C’est plutôt un ensemble de choses, et notamment ses voyages, qui ont nourri, je crois, son âme d’artiste. »

Vous avez présenté ce spectacle dans beaucoup de théâtres, vous pouvez donc comparer. Quelle a été la réaction du public pragois ? Le public s’est-il laissé entraîner avec vous dans ce voyage ?

«Oui, j’ai l’impression que le public est parti avec nous. En tout cas on a senti très vite des réactions. En plus on avait quand même une grande proximité. Parfois on est dans des théâtres où il y a un proscenium très large. On a du mal à sentir la salle dans les théâtres très, très grands, ça dépend de la configuration. Mais là, dans cette proximité, on a bien senti le public avec nous et même très, très proche. Donc c’était plutôt agréable. »