Petr Sís, lauréat du prix Hans Christian Andersen

Petr Sís, photo: Archives de Petr Sís

Du 19 au 22 mars dernier a eu lieu à Bologne en Italie, la Foire internationale du livre de jeunesse. Dans le cadre de la foire, le Prix Hans Christian Andersen a être décerné à l’écrivain et illustrateur tchèque Petr Sís. Ce prix décerné en reconnaissance d’une contribution durable à la littérature pour enfants est considéré comme le petit prix Nobel de littérature. Pourquoi l’Union internationale pour les livres de Jeunesse a décidé de couronner Petr Sís et quelles sont les qualités de l’oeuvre de cet artiste tchèque établi à New York ? Pour répondre à ces questions, brossons un petit portrait de cet écrivain et illustrateur.

Foire de Bologne,  photo: www.bookfair.bolognafiere.it
La délégation tchèque à la Foire de Bologne a été dirigée par Dana Kalinová, directrice de la foire du Monde des livres qui se tient chaque année à Prague. Voici comment elle voit la Foire de Bologne, ce rendez-vous des professionnels du livre pour enfants.

« La Foire de Bologne est destinée exclusivement aux spécialistes. Y participent seulement des libraires, des éditeurs, des bibliothécaires et une foule de jeunes illustrateurs qui viennent du monde entier pour proposer leurs œuvres aux éditeurs. Ils viennent vraiment en grand nombre. »

Dana Kalinová ne cache pas sa joie que le prix Hans Christian Andersen soit attribué à Petr Sís. Elle est convaincue que cette distinction contribuera beaucoup à la promotion de ces oeuvres dans le monde :

« Ce prix apporte à son lauréat un grand prestige international. En République tchèque, l’oeuvre de Petr Sís est connue par tous ceux qui apprécient la création littéraire de qualité pour enfants. Cependant, à l’étranger où ses livres paraissent également, il faut assurer leur promotion. J’espère que ce prix fera connaître cette œuvre à beaucoup de nouveaux lecteurs dans le monde entier. »

Qui est donc Petr Sís ? Sa vie ressemble à celles de beaucoup d’autres intellectuels et artistes tchèque et slovaques qui se sentaient à l’étroit en Tchécoslovaquie communiste. Il est né en 1949 dans la ville de Brno en Moravie. En 1968, année du dégel politique appelé communément « Printemps de Prague », Petr Sís parcourt l'Europe en autostop, crée une émission sur le rock-and-roll et s’inscrit à l'Académie des Arts appliqués de Prague et au Royal College of Art de Londres. Il se spécialise dans le film d'animation. En 1980 il décroche « l'Ours d'or » au festival de Berlin pour son film intitulé « Les Têtes ». En 1982, Petr Sís, alors âgé de 33 ans, est envoyé par le gouvernement tchécoslovaque à Los Angeles pour faire un court-métrage d'animation sur les Jeux olympiques. Il profite de cette opportunité pour s’exiler aux Etats-Unis. Ses débuts américains sont difficiles. Un vidéo-clip qu'il réalise pour le chanteur Bob Dylan n'est pas accepté. En 1984, il obéit au conseil de Maurice Sendak, illustrateur et auteur célèbre de littérature enfantine, et quitte Los Angeles.

Un mois seulement après son arrivée à New York, le journal New York Times publie son premier dessin. Il commence donc à travailler comme dessinateur de presse et illustre aussi les livres d'autres auteurs. Il travaille pour le New York Times, le Washington Post, Time magazin, Newsweek. Ses dessins paraissent aussi dans Le Monde. En 1987 paraît son premier livre écrit et illustré, « Un Rhinocéros arc-en-ciel », et c'est un succès. Petr Sís devient peu à peu un auteur de livres pour enfants connu et reconnu.

Aujourd'hui, Petr Sís vit à New York. Il est l'auteur de toute une série d'ouvrages et a orné de ses illustrations quelque cinquante livres d'autres auteurs. Il pense que sa prédilection pour les livres illustrés lui est venue dès sa plus tendre enfance grâce à la bande dessinée :

« La bande dessinée était le terrain sur lequel je poussais. Quand maman était petite, mon grand-père construisait des gares à Cleveland et à Chicago entre 1927 et 1928. Et maman était avec lui quand elle était petite fille. Mon grand père collectionnait les bandes dessinées, les suppléments du dimanche avec des dessins qui racontent une histoire. Et il a relié ces bandes dessinées dans un grand livre. C'est la seule fois dans ma vie qu'un livre a été plus grand que moi parce qu'il s'agissait de pages de journaux reliés. Moi, je ne savais ni lire, ni écrire, mais je pouvais quand même suivre l'histoire, d'image en image. Alors depuis tout petit, je vivais avec ces histoires racontées par des dessins. Au fond je voudrais faire des livres avec des images seulement. Mais la signification de ces images n'est pas tout à fait évidente et l'éditeur veut que je l'explique d'une certaine façon. C'est pourquoi il y a un texte ; mais je ne crois pas que ce texte soit remarquable. »

'Les trois clés de Prague'
En 1995 Jacqueline Kennedy-Onassis demande à Petr Sís de faire un livre sur Prague. L'artiste crée alors un livre dans lequel il raconte à sa fille Madeleine ce que Prague représente pour lui. Il insuffle la vie à l'histoire de la capitale et aux mythes qui la hantent. Il lui faut trois clés d'or, trois vieilles légendes pragoises, « Le chevalier Bruncvik », « Le Golem » et « Maître Hanouch », pour rouvrir les portes secrètes de la ville de son enfance et revenir à la maison après une longue absence. Le livre intitulé « Les trois clés de Prague » est un grand succès international.

C’est pour expliquer aux enfants ce que c’était la vie sous le régime arbitraire et rafraîchir la mémoire des adultes que l’artiste signe le livre intitulé « Le mur, mon enfance derrière le rideau de fer » qui lui vaudra également plusieurs prix internationaux. En revenant à cette période pleine d’interdictions de toutes sortes, période de discipline, de censure, d’obéissance souvent quasi aveugle, Petr Sís est même agacé en réalisant combien de temps lui et ses compatriotes ont perdu, combien ils étaient naïfs, à quel point ils se sont laissés manipuler par le régime et à quel point ils ont, eux-mêmes, participé à cette manipulation :

« J’ai l’impression de ne pas avoir achevé ce livre. Aujourd’hui encore je découvre chaque jour ce que j’ai oublié d’y mettre. Il était pratiquement impossible de saisir tous ces aspects dans leur ensemble. Je n’ai fait que tracer une ligne bien simple. Aujourd’hui, on envisage d’utiliser ces informations dans certaines écoles pour expliquer ces choses-là. Et ensuite, il dépendra de chacun de vouloir en apprendre davantage sur cette époque. J’ai réuni des informations dont beaucoup ne m’ont pas servi. J’ai dessiné par exemple des images pour expliquer l’importance de la classe sociale d’où vous étiez issu, comment un étudiant était empêché de s’inscrire à l’université parce que son grand-père avait possédé une boucherie. Il est donc intéressant de savoir que les gens inventaient des moyens pour se nuire mutuellement, moyens qui semblent aujourd’hui tellement absurdes qu’on n’arrive pas à les expliquer. »

Les oeuvres de Petr Sís sont souvent récompensés par des médailles et d'autres distinctions. Certains de ses dessins, considérés comme chef d’œuvres, font partie des collections des grands musées d’art moderne. Fin août, la reine du Danemark remettra à l’artiste, à Londres, le Prix Hans Christian Andersen pour l’ensemble de son œuvre. Un peu de cet honneur et de cette gloire retombera aussi sur la patrie de l’artiste et sur la production de livres pour enfants en République tchèque.