Persée, héros de notre temps

Photo repro: Jan Bažant, 'Perseus & Medusa' / Academia
0:00
/
0:00

La mythologie antique est une source intarissable qui nourrit toujours notre imagination. Même si nous ne nous en rendons pas compte, les divinités et héros antiques vivent encore avec nous au seuil du XXIe siècle. Le livre Perseus & Medusa (Persée & Méduse) de Jan Bažant évoque un grand mythe antique et retrace son évolution et sa mise en image à travers les siècles. L’ouvrage vient de sortir aux éditions Academia.

Les reliefs du Belvédère

Le Belvédère
Professeur d’archéologie classique à l’Université de Prague, Jan Bažant (1950) se consacre notamment à la réception de l’art antique dans la culture européenne depuis le Moyen-Age jusqu’à nos jours. Son dernier livre illustre sur plus de cinq cents pages et par d’innombrables dessins et photos l’étonnante vitalité du mythe du héros antique Persée et de son entourage mythologique dont Méduse, Danaé, Andromède et aussi son cheval Pégase. Pour écrire ce livre, Jan Bažant s’est inspiré des reliefs qui ornent la façade d’un des monuments de Prague :

« Le mythe de Persée occupe une place importante sur un monument que je connais bien. Il s’agit du Belvédère, un petit palais que l’empereur Ferdinand 1er de Habsbourg a fait construire pour son épouse Anne au Château de Prague. Sur la façade du palais figure ce mythe dans son ensemble et Ferdinand y est représenté comme un nouveau Persée. Il s’agit donc d’une actualisation du mythe grec dans le deuxième quart du XVIe siècle. C’est quand même le monument le plus important de la Renaissance en Europe centrale et je voulais savoir ce qui avait précédé et suivi cette série de reliefs. »

La légende d’un demi-dieu

Photo: Academia
Dans la mythologie grecque Persée est le fils de Zeus. Il est le fruit de l’une des métamorphoses du seigneur de l’Olympe. Le dieu suprême se transforme en pluie d’or et descend sur Danaé, fille du roi d’Argos. Engendré par un dieu et une mortelle, Persée est promu à un avenir héroïque. Il ne s’arrêtera devant aucun obstacle et surmontera toutes les épreuves. Persée et Danaé sont enfermés dans un coffre et jetés à la mer. Ils échouent sur l’île du roi Polyeucte qui tombe amoureux de Danaé, désire l’épouser et cherche à se débarrasser de son fils. Il demande donc à Persée de lui apporter la tête de Méduse, dont les cheveux sont entrelacés de serpents et dont les yeux ont le pouvoir de pétrifier tous ceux qui regardent son visage. Soutenu par trois dieux, Hermès, Athéna et Hadès, qui lui donnent une épée, des sandales ailés et un casque d’invisibilité, le jeune héros réussit à couper la tête de Méduse et poursuit ses exploits héroïques en sauvant la princesse Andromède qui doit être livrée à un monstre marin. La jeune fille se marie avec son sauveur et les deux époux vivent heureux. Après leur mort ils seront placés par Athéna parmi les constellations dans le ciel.

Les actualisations d’un mythe

Le livre de Jan Bažant démontre que cette légende a évolué avec le temps se chargeant au fil des siècles de diverses significations symboliques, idéologiques et même politiques. L’auteur constate que chaque époque a adapté le mythe de Persée à ses besoins :

Jan Bažant,  photo: Académie des Sciences
« Le mythe est une mise en images, une façon de réfléchir les choses. Persée a vaincu Méduse parce qu’il ne l’a pas regardée, mais il a quand même vu son image. La mise en images, la réflexion, le dédoublement sont donc les moments clés. Les images sont le thème du XXIe siècle, elles nous assaillent et le texte disparaît. Le vieux mythe antique reste donc très actuel. »

Au fil de l’histoire, les puissants de ce monde chercheront souvent à partager la gloire de Persée, à parasiter ses exploits. En 1545, le duc Cosimo Médicis commande, par exemple, à Benvenuto Cellini une statue de Persée qui doit symboliser son pouvoir, sa victoire sur les partisans de la République à Florence. La célèbre statue érigée sur la place principale personnifie le prince de Florence qui par des actes sanglants restaure la paix dans la ville et ouvre une période de prospérité. La pluie d’or qui a engendré le héros antique, engendre un nouvel âge d’or. Et c’est dans un contexte semblable qu’il convient également de placer le cas de Ferdinand 1er de Habsbourg qui, au milieu du XVIe siècle, utilise la légende de Persée pour donner, sur les reliefs du Belvédère de Prague, une image symbolique de ses propres actes.

La tête de Méduse

Photo repro: Jan Bažant,  'Perseus & Medusa' / Academia
Les autres protagonistes de la légende n’échapperont d’ailleurs pas non plus au sort de Persée. Comme lui, ils font partie de l’imaginaire collectif, ils évoluent avec la société et adoptent les significations symboliques qui reflètent les tendances et les besoins de telle ou telle époque. Même Méduse, cette créature monstrueuse personnifiant le mal, connaîtra avec le temps une grande popularité. Jan Bažant rappelle que les images de sa tête entourée de serpents figurent, au XIVe siècle, même parmi les ornements de la couronne du Saint-Empire romain germanique :

« Lorsque Charles IV a été couronné empereur, il n’avait pas de couronne et ne disposait pas d’insignes du pouvoir impérial. Il a donc fait fabriquer une couronne impériale à Prague et l’a fait orner de gemmes de sa collection. Tandis que seules des pierres précieuses ornent la couronne royale de Bohème, la couronne impériale censée symboliser la continuité avec la Rome antique est ornée de gemmes antiques qui sont les éléments prédominants de sa décoration. Et trois de ces gemmes représentent Méduse. Elles sont placées de telle façon que nous pouvons en déduire qu’il s’agissait probablement d’une intention. »

La mythologie grecque au Moyen Age

Photo repro: Jan Bažant,  'Perseus & Medusa' / Academia
Evidemment, le christianisme au Moyen-Age ne peut pas accepter la mythologie antique dans son ensemble. Le Dieu des chrétiens ne peut pas cohabiter avec les dieux de l’Olympe. Jan Bažant insiste cependant sur le fait que les chrétiens sont malgré tout les héritiers de la civilisation gréco-romaine et de ses mythes qu’ils ont fini par transformer :

« Ce que nous considérons comme la mythologie antique, ce sont les mythes antiques soumis à une réinterprétation. Ils ont été réinterprétés par les chrétiens de façon à pouvoir être réintégrés dans l’horizon culturel. C’est aussi le cas du mythe de Persée. Sa mère Danaé a été interprétée comme étant l’archétype de la Vierge Marie, Persée comme l’archétype de Jésus-Christ. Et dès le XIXe siècle apparaissent des tentatives de faire revivre le mythe païen pour retrouver son sens. C’est aussi la raison pour laquelle le mythe intéressait tellement certains artistes du XXe siècle qui ont représenté Persée, Méduse et d’autres personnages à maintes reprises. »

Le devoir du mythe

Photo repro: Jan Bažant,  'Perseus & Medusa' / Academia
Dans les arts, le mythe de Persée s’est donc révélé être une source d’inspiration extrêmement fertile. Le livre de Jan Bažant réunit des centaines d’images et de photos représentant les œuvres qui en ont été inspirées. Persée, Méduse, Andromède, Danaé et Pégase n’ont jamais cessé de stimuler la fantaisie des artistes et de refléter leur monde intérieur. La Renaissance, l’âge baroque, les XIXe et XXe siècles ont donné à la culture mondiale d’innombrables statues, tableaux, fresques, tapisseries et autres œuvres offrant inlassablement de nouvelles visions et interprétations de ces vieux mythes. Ceux-ci figurent sur les toiles de grands peintres romantiques mais aussi sur celles de Picasso, ils apparaissent sur les plafonds des palais baroques mais également sur les tableaux surréalistes.

De nos jours, Persée est un héros de cinéma et des jeux vidéo, et la tête de Méduse est un des symboles les plus fréquents qui sert de logotype à une centaine d’entreprises, parmi lesquelles la célèbre maison de haute couture Versace. Une évolution qui amène Jan Bažant à la conclusion suivante :

« Nous sommes témoins de la renaissance du mythe parce que celui-ci marie ce qui est fortuit et accidentel avec l’éternité. Comme nous vivons dans un monde en perpétuel changement, il est devenu de plus en plus important pour nous d’ancrer notre civilisation quelque part. Et c’est là le devoir du mythe. »