Patrik Hartl : « J’aime éperdument les héros de mon livre. »

'Les Moments du bonheur', photo: Archives de Radio Prague

« Je m’intéresse à ce que les gens font dans leur cuisine, dans leur séjour, dans leur chambre à coucher, » dit l’écrivain Patrik Hartl (1976). D’abord metteur en scène et scénariste, il a fini par s’imposer aussi dans la littérature. Aujourd’hui, Patrik Hartl est l’un des auteurs tchèques les plus populaires et les plus lus de sa génération et pourtant cet homme, connu du grand public et très souvent interviewé par la télévision et la radio, se considère, selon ses propres termes, comme « un solitaire dans une usine de fabrication de rêves ».

Le grand succès de librairie

Le tirage du roman Okamžiky štěstí (Les Moments du bonheur) publié par Patrik Hartl en 2016 a atteint 50 000 exemplaires, ce qui en fait un des plus grands succès de librairie des dernières décennies. C’est un ouvrage insolite parce qu’il s’agit de deux livres en un seul. L’auteur fait coexister dans un ouvrage deux histoires, deux récits parallèles sans les mélanger. Le résultat est un roman double dont les deux volets sont indépendants et pourtant complémentaires. Patrik Hartl a voulu donner au lecteur une certaine liberté de choix :

« J’ai travaillé très très longtemps sur ce roman. J’ai tapé pendant 1 600 heures sur le clavier de mon notebook. Vous pouvez choisir le côté du livre par lequel vous allez commencer à lire. Et c’est selon le côté que vous choisissez que vous allez vivre tout le récit. C’est l’histoire d’un frère et d’une sœur, Jáchym et Veronika, qui vivent diverses situations mais aucune situation ne se répète dans l’une ou dans l’autre partie du roman. Ce n’est donc pas la même histoire vue d’abord par les yeux de Jáchym puis par ceux de Veronika. Je raconte ce qu’a vécu Jáchym et ce qu’a vécu Veronika à partir de 2017. Chacun des deux a vécu quelque chose de bien différent mais ces deux vies sont quand même très liées et forment ensemble une grande histoire. »

'Les Moments du bonheur',  photo: Archives de Radio Prague

« J’aime quand les gens s’embrassent »

Dès le début, le sort assène aux deux protagonistes du roman un coup cruel. Jáchym et Veronika perdent leurs parents dans un accident de route et se retrouvent seuls dans un monde qui est loin d’être doux et aimable. Ces deux êtres à peine sortis de l’adolescence sont obligés de chercher leur place dans la vie et cela s’avère bien difficile parce que leurs parents ne leur ont pas laissé assez d’argent. La situation se complique encore lorsque Veronika avoue à son frère qu’elle est enceinte et qu’elle a rompu avec le père de son enfant. Dès le début, le lecteur de ce roman est donc confronté avec un des aspects principaux de l’univers littéraire de Patrik Hartl. C’est un auteur qui ne ménage pas ses personnages et les expose à de nombreuses épreuves qui mettent en relief leur caractère. Il prête également beaucoup d’attention à la vie sentimentale de ses protagonistes, à leur sexualité, à leurs aventures érotiques, leurs espoirs, leurs illusions et leurs déceptions :

« J’adore les histoires d’amour, j’aime m’émouvoir, mais je n’aime pas la littérature trop sentimentale. J’aime quand c’est drôle et quand les gens s’embrassent. […] C’est un livre sur la recherche du bonheur, une histoire qui finit bien. Je ne peux pas parler du sujet parce qu’il y a énormément de tournants imprévus et vous ne seriez pas surpris, mais je suis fier d’avoir réussi à évoquer le chemin de quelqu’un qui ne craint pas à se lancer à la recherche du bonheur et qui finit par le trouver. Ce n’est pas évident. La vie nous fait souvent des sales coups et elle ne nous offre des happy-end que très rarement. »

Dans l’intimité des personnages

Patrik Hartl cherche à plonger dans l’intimité de ses personnages, à dévoiler les motifs secrets de leur comportement. Il le fait d’une façon graduelle et permet au lecteur de découvrir progressivement l’univers intérieur de ses protagonistes. Les deux volets du roman sont pour lui les moyens pour permettre au lecteur de composer lui-même les éléments de la vie intérieure de Jáchym et de Veronika, parce qu’ils jettent toujours une nouvelle lumière sur les impulsions décisives de leur existence. Les mentalités de Jáchym et de Veronika sont évidemment assez différentes parce qu’il s’agit d’un garçon et d’une fille, et on se demande dans quelle mesure un écrivain masculin est capable de saisir les méandres secrets de la vie intime d’une femme. Or, la psychologie féminine ne fait pas peur à Patrik Hartl :

« Je me suis toujours intéressé aux jeunes filles et je me suis amusé énormément à m’identifier avec elles. Quand j’invente des situations, j’aime beaucoup imaginer quelle serait ma réaction si j’étais une femme, quelle issue je trouverais pour telle ou telle situation. Je ne pense pas ne pas comprendre la nature féminine mais quand, malgré cela, je ne comprends pas quelque chose, je demande des explications à mes amis, aux femmes de ma connaissance, pas tellement à ma femme que je connais entièrement. Quand il s’agit des secrets de la physiologie féminine que je ne connais pas, mes amies me l’expliquent toujours. Mais créer un personnage féminin est pour moi une plus grande aventure que de créer un mec, un personnage masculin, qui est pour moi tout à fait compréhensible. »

Patrik Hartl,  photo: Jana Přinosilová,  ČRo

« J’y ai investi tout l’amour dont je suis capable »

Patrik Hartl est de ces écrivains qui investissent beaucoup d’énergie dans leur travail, s’engagent sans réserve dans l’écriture, s’identifient avec leurs personnages et partagent en quelque sorte leur vie :

« J’ai vécu tout ça avec Veronika et Jáchym et j’espère que les gens apprécieront. J’aime éperdument ce frère et cette sœur, j’y ai investi tout l’amour dont je suis capable. Pendant treize mois, je leur donnais tout et ma femme, la pauvre, en souffrait. Elle voulait aussi un peu d’amour, et moi je ne pouvais pas le lui donner parce que je revenais à la maison complètement crevé. Et maintenant je souhaite énormément que les gens s’éprennent, eux aussi, de Veronika et Jáchym. C’est comme si vous aimiez votre enfant et que vous souhaitiez qu’il soit aimé aussi par les autres. »

Veronika et Jáchym, sont-ils des héros aimés par les lecteurs tchèques ? Toujours est-il que les aventures de ces deux jeunes courageux qui, malgré les obstacles et les déceptions, n’ont pas cessé de chercher leur part du bonheur, ont attiré d’innombrables lecteurs. L’auteur a montré beaucoup de fantaisie en accumulant sur leur chemin d’innombrables obstacles, des tournants inattendus, des coups de théâtre. Il a situé leur vie à Prague, à Londres, à New York et y a ajouté de l’humour et un grand nombre de personnages secondaires hauts en couleur. Il est intéressant pour le lecteur de se hasarder dans ce monde romanesque, dans cet univers globalisé où tout est possible, où les amours qu’on croit morts peuvent renaître et où l’on finit par trouver le bonheur quand on a assez de persévérance et de courage. Patrik Hartl peut être satisfait parce que son livre ne laisse pas les lecteurs indifférents :

« Ce travail n’a pas de sens parce qu’on gagne beaucoup d’argent en vendant des livres mais seulement lorsque les lecteurs en tombent amoureux. Faire quelque chose d’exceptionnel, cela veut dire que vous devez emballer les gens. Et vous ne pouvez pas réussir si vous réduisez votre travail à un calcul, vous devez vous investir authentiquement dans votre sujet. Et je l’ai fait émotionnellement et sans réserve. Si les gens ne l’appréciaient pas, je me sentirais comme une jeune fille qui a fait des avances à un garçon et qui a été rejetée. »