Michal Viewegh : la métamorphose douloureuse d’un homme de lettres

Michal Viewegh, photo: Alžběta Švarcová, ČRo

Si le nombre de livres vendus pouvait être considéré comme le seul critère de la qualité littéraire, Michal Viewegh serait le meilleur écrivain tchèque de notre temps. Il est actuellement l’auteur de langue tchèque le plus lu et aussi un des plus traduits. En décembre 2012, sa carrière littéraire a été brutalement interrompue par un grave accident cardiovasculaire qui a failli l’emporter. Sa convalescence extrêmement difficile est loin d’être terminée. L’écrivain réapprend douloureusement à vivre et à travailler et appelle cette étape de son existence « la vie après la mort ».

C’est avec son deuxième livre « Belles années de chien (Báječná léta pod psa) », que le jeune Michal Viewegh s’impose en 1992 sur la scène littéraire tchèque. Les lecteurs n’arrivent pas à se rassasier de ce récit des désarrois d’un garçon sous le régime communiste raconté dans un style alerte avec un humour particulier et une verve satirique. Dès son deuxième livre, Michal Viewegh s’établit donc comme un auteur de best-sellers, lesquels ne tardent pas à venir. Ses romans « L’éducation des jeunes filles en Bohême (Výchova dívek v Čechách) », « Les participants à l’excursion (Účastníci zájezdu) » ou « Roman pour femmes (Román pro ženy)» confirment sa grande popularité et sont portés à l’écran. La critique littéraire, elle, se détourne cependant de cet auteur à succès et lui reproche de plus en plus souvent une certaine facilité et un penchant vers la littérature de boulevard. Néanmoins, Michal Viewegh ne se laisse pas décontenancer par la froideur de l’accueil qu’une importante partie de la critique réserve à ses nouveaux romans. Il se révolte et la critique littéraire devient désormais la cible de ses attaques satiriques.

'La mafia à Prague',  photo: druhé město
Au début des années 2010, Michal Viewegh se lance dans la satire politique. Ses deux derniers romans « La mafia à Prague (Mafie v Praze) » et « Le froid vient du Château (Mráz přichází z Hradu) » sont directement inspirés par les événements de la scène politique tchèque, qu’il montre comme un bourbier infecté de rapports mafieux, un champ où se dispute une lutte sournoise et sans merci. Tandis que les personnages de « La mafia à Prague » ont encore des noms fictifs, les protagonistes du roman « Le froid vient du Château » sont déjà identifiés par leur nom véritable :

« Ce roman est mon 25e livre. Je pourrais qualifier mes 23 livres précédents comme plus au moins apolitiques. (...) J’aime bien alterner les genres. J’écris contes de fées, scénarios, pièces de théâtre, nouvelles, parodies, feuilletons. J’ai toujours voulu écrire un roman policier et quand je me suis mis à l’écrire, je ne pouvais logiquement pas éviter la réalité actuelle. Quand j’ai commencé à écrire « La mafia à Prague », je me suis renseigné sur l’existence de l’agence ABL dans le 11e arrondissement de Prague qui suivait, filmait par des caméras secrètes et agressait physiquement des militants civiques et hommes politiques. Je trouverais lâche d’abandonner ce sujet pour un thème policier plus élégant. Dans mon dernier livre « Le froid vient du Château », je n’ai fait qu’élargir ce thème et ai donné à ma satire un aspect plus identifiable, pour ainsi dire. »

'Le froid vient du Château',  photo: druhé město
Dirigeants d’Etat, hauts fonctionnaires et grands financiers se joignent et se confondent dans cette bataille avec des parrains de la mafia, des agents de services secrets étrangers et des chefs de la police corrompus. Tous les moyens, même les plus perfides et les plus abjects comme le meurtre, sont utilisés par ces rivaux impitoyables pour parvenir au pouvoir et pour s’enrichir en saignant les caisses d’Etat. L’auteur avoue mélanger la réalité et la fiction mais ose donner des noms concrets à ses personnages. Devant le lecteur défilent donc le président Václav Klaus et sa femme Livia, le premier ministre Petr Nečas et sa directrice de cabinet Jana Nagyová, les ministres Vít Barta et Radek John, l’archevêque de Prague Dominik Duka ou l’ambassadeur de Russie Sergueï Kisseliof. Ils n’hésitent pas à collaborer avec des milieux criminels et à profiter des services d’hommes d’affaires sans scrupule, de policiers corrompus, d’agents de renseignement étrangers et de la presse servile. L’auteur met cependant en scène aussi plusieurs journalistes cherchant honnêtement à démêler ce nœud de conspirations et d’intrigues plus au moins criminelles qu’est la haute politique tchèque. Il refuse d’admettre que son roman n’est que de la fiction tout en soulignant que son livre est composé aussi de nombreux éléments réels :

Michal Viewegh,  photo: Tomáš Vodňanský,  ČRo
« Dans ce livre il n’y a pas que les fruits de ma fantaisie. Je me suis documenté assez minutieusement, j’ai découpé de nombreux articles dans des journaux et me suis entretenu avec des membres de la BIS (Service de renseignement de sécurité) et avec d’autres personnes. Certaines choses dont je parle étaient donc bien fondées. Mes problèmes de santé m’ont fait oublier beaucoup de choses. C’est probablement l’effet d’une espèce de psycho-hygiène qui efface certaines choses de la mémoire. Cependant des affaires comme celle de Jana Nagyová démontrent que la réalité est allée plus loin que la fiction. »

En effet les événements politiques récents semblent confirmer le bien-fondé de toute une série d’informations compromettantes que l’auteur a réuni dans son roman. En juin 2013, plusieurs personnalités importantes, dont la directrice de cabinet du premier ministre Jana Nagyová, sont écrouées par l’Unité de lutte contre le crime organisé et accusées de corruption et d’abus du pouvoir. L’affaire provoque la chute du gouvernement du premier ministre Petr Nečas et la décision d’organiser des élections anticipées. La liaison intime entre le premier ministre et la directrice de son cabinet est révélée au public.

La réalité va donc plus loin que la fiction. L’auteur pourrait être au comble de la satisfaction mais il est loin de jubiler. Depuis la rupture de l’aorte qui l’a terrassé en décembre 2012, son approche du monde a considérablement changé :

« Je ne suis toujours pas rétabli. Parfois, j’ai de légères dépressions, des lacunes de la mémoire, je vois mal et n’arrive pas à lire, ce qui ne serait pas dû à un trouble de la vue mais à un dysfonctionnement du cerveau. J’espère que ça va s’améliorer. Moi qui lisais habituellement une vingtaine de livres par mois, je n’en ai lu aucun pendant toute la moitié de l’année. C’est donc un grand changement dans le sens négatif. Je me suis remis à écrire plutôt pour des raisons psychothérapeutiques. J’ai rédigé un texte intitulé d’abord provisoirement « Bouillie patates ». C’est une espèce de journal relatant les événements survenus depuis mon accident cardiaque. Je n’ai achevé ce texte que récemment et j’ai changé de titre. Il y a des livres sur le thème « Existe-t-il une vie après la vie ? » et mon ami croate Iakof m’a donné l’idée d’écrire un livre intitulé « Existe-t-il une vie après la mort ? ». Pour 90 % des gens une rupture de l’aorte est fatale. Je crois donc avoir le droit à un tel titre. »

Michal Viewegh,  photo: Alžběta Švarcová,  ČRo
Depuis son accident cardiovasculaire, Michal Viewegh ne regarde presque plus les informations télévisées et s’éloigne de la politique. Sa vie a chaviré, la hiérarchie de ses valeurs a été déboulonnée. Maintenant, il tâche péniblement de rassembler ses forces, de se construire une nouvelle existence. Arrivera-t-il à se ressaisir ? Assistons-nous à la naissance d’un homme et d’un écrivain qui sera diamétralement différend du Michal Viewegh de l’avant décembre 2012 ? Que restera-t-il de son talent après la métamorphose qu’il est en train de subir ? Il n’arrive pas à répondre à ces questions et n’est même pas sûr d’être encore capable de lire et d’écrire. Faire des projets d’avenir est maintenant pour lui un thème douloureux :

« J’espère quand même écrire encore quelque chose qui ne sera pas banal. Les sujets auxquels j’ai pensé avant l’accident, par exemple des histoires d’amour, me semblent aujourd’hui complètement caduques et sans profondeur. Beaucoup de sujets de ce genre ne m’intéressent plus. »