Mariusz Szczygieł, un Polonais épris des Tchèques

Mariusz Szczygieł, photo: Šárka Ševčíková, ČRo

« Les Tchèques nous en imposent parce qu’ils sont comme nous ne pouvons pas être, parce qu’ils se comportent comme nous n’en sommes pas encore capables et parce qu’ils ont quelque chose que nous n’avons pas mais que nous aimerions beaucoup avoir. » C’est ainsi que l’écrivain et journaliste polonais Mariusz Szczygieł explique les sympathies des Polonais pour les Tchèques. En effet les sondages d’opinion démontrent que 51 % des Polonais estiment que les Tchèques sont sympathiques et le peuple tchèque est donc considéré en Pologne comme le plus sympathique du monde. Mariusz Szczygieł, lui, est un personnage emblématique de cet engouement des Polonais pour les Tchèques et c’est aux Tchèques, à leur culture et à leur histoire, qu’il a consacrés une grande partie de son œuvre.

Mariusz Szczygieł,  photo: Šárka Ševčíková,  ČRo
C’est pour écrire un reportage sur la chanteuse Marta Kubišová que Mariusz Szczygieł a appris le tchèque. Ce journaliste né en 1966 est réputé pour le courage avec lequel il aborde les thèmes tabous dans la société polonaise. Pendant des années, il a animé un talk-show très suivi à la télévision et a collaboré avec le quotidien prestigieux Gazeta Wyborcza. En 2000 il fait un entretien avec la chanteuse tchèque Helena Vodráčková qui lui parle de son amie Marta Kubišová, chanteuse dissidente réduite au silence sous le régime communiste. Mariusz Szczygieł est intrigué par l’histoire de cette femme courageuse qui ne s’est pas laissée dompter par le régime arbitraire et est devenue porte-parole de la Charte 77, manifeste appelant au respect des droits de l’homme. En même temps le journaliste polonais est très impressionné par la langue tchèque. « Je me suis rendu compte que ce n’est pas une langue mais une musique », dit-il. Lorsqu’il fait, une année plus tard, son interview avec Marta Kubišová, il domine déjà le tchèque et commence à s’intéresser plus profondément à la vie et la culture du peuple qui parle cette langue et au milieu duquel il se sent très bien :

Je me suis rendu compte que ce n’est pas une langue mais une musique.

« Je rencontre toujours des Tchèques qui sont gentils avec moi. Ce qui me fascine, sur le plan humain et professionnel, c’est que la majorité de ce peuple ne croit pas en Dieu. Je vis dans un pays catholique et j’aime en discuter avec les Tchèques. Je crois que la vie avec Dieu est un peu plus facile. Quand cet épouvantable univers a le visage de Dieu, il est moins vide, moins froid, il n’est pas si horrible. Je me sens mieux quand je sais que là-haut il y a quelqu’un. Cela est lié aussi à la responsabilité – sans Dieu il n’y a pas d’être supérieur qui assume la responsabilité de la vie de l’homme, chaque homme doit l’assumer lui-même. Et c’est intéressant, quand il n’y a pas de foi en Dieu, il y a plus de foi en l’homme. »

En Tchéquie Mariusz Szczygieł est souvent interrogé sur les raisons des sympathies des Polonais pour les Tchèques, phénomène complexe qui n’est sans doute pas facile à expliquer. Il constate qu’il y a deux groupes de Polonais qui apprécient les Tchèques chacun à sa manière. Dans le premier groupe il y a les Polonais qui adorent la bière et le cinéma tchèque :

« Dans le cinéma tchèque il y a beaucoup d’humour, de rigolades, de petites allusions humoristiques, ces films célèbrent la vie de tous les jours et tirent de la quotidienneté des histoires pleines d’intérêt et d’esprit. C’est ce qui est apprécié donc par le groupe principal des Polonais qui sympathisent avec les Tchèques. Quant aux Polonais amateurs de lecture, ils apprécient beaucoup la littérature tchèque qui est complètement différente de la nôtre. Ce que j’ai réalisé pendant ma cure de psychothérapie, c’est ce que la littérature dit aux millions de Tchèques depuis un siècle. Cela peut être exprimé par une seule phrase : ‘Quand tu ne sais pas cacher quelque chose, apprends à en parler.’ Par exemple le roman de Bohumil Hrabal ‘ Moi qui ai servi le roi d’Angleterre’, c’est un livre sur la nature tchèque. C’est un livre très sincère. Nous n’avons pas un livre aussi sincère. Les lecteurs polonais adorent donc la littérature tchèque, et non seulement Hrabal, bien sûr. »

Photo: Dokořán / Jaroslava Jiskrová - Máj
En 2006 Mariusz Szczygieł publie un livre de reportages essayistes qui lui ont été inspirés par ses séjours en Tchéquie. Ce livre intitulé « Gottland » sera son plus grand succès littéraire et sera traduit dans une dizaine de langues dont le tchèque et le français. Il y traite les thèmes considérés comme des points névralgiques de l’histoire moderne des Tchèques. Il jette un regard étonné et interrogateur sur les moments décisifs et sur les absurdités de l’histoire tchèque du siècle dernier et évoque plusieurs personnalités devenues icônes de la conscience collective d’un peuple qui évolue avec beaucoup de difficultés vers la démocratie. Parmi ces personnalités il y a l’industriel Tomáš Baťa, roi de la chaussure, l’actrice de cinéma Lída Baarová compromise par ses rapports avec Joseph Goebbels, l’écrivain et scénariste proscrit par le régime communiste Jan Procházka, la chanteuse Marta Kubišová, la femme médecin Jaroslava Moserová qui s’est lancée dans la politique ou bien le sculpteur Otakar Švec, auteur du monstrueux monument Staline érigé à Prague. « Gottland », livre sur le pays qui voue un culte au chanteur Karel Gott, devient ainsi un kaléidoscope des images de la vie d’un peuple tiraillé entre la grandeur et la petitesse, entre la réalité et l’absurdité et le constat des ambitions inassouvies et des illusions perdues. Le lecteur sent cependant toujours que Mariusz Szczygieł ne perd jamais sa sympathie pour les héros de son livre et qu’il cherche à les comprendre :

Tomáš Baťa
« J’écris parce qu’il y a en moi une tension que je dois évacuer. Peut-être, personne n’écrit de cette façon ici. Par exemple Gottland commence par un chapitre sur Baťa, grand producteur de la chaussure. Quand le livre est sorti chez vous, j’ai reçu beaucoup de mails envoyés par des Tchèques. Il y en a qui m’ont écrit : ‘Finalement, quelqu’un a dit la vérité sur Baťa, cet exploiteur qui ne respectait pas les gens. Et il fallait que ce soit un Polonais, parce que les Tchèques ne l’ont toujours pas écrit.’ Et dans les e-mails des gens de l’autre groupe j’ai lu : ‘Je vous remercie d’avoir si bien parlé de la famille Baťa et des frères Baťa qui ont été si gentils et ont tellement profité à l’humanité et à la population tchèque. Merci pour ce beau livre.’ Ce sont donc des opinions contradictoires. Si j’écris comme ça, c’est bien. Chacun en tire sa propre conclusion, chacun réfléchit à sa façon. Je ne sais pas si c’est une recette pour écrire un best-seller, mais c’est mon concept. Je ne cherche pas à juger, je ne fais que parler des choses et laisse le lecteur intelligent se faire sa propre opinion. »

'Le buisson ardent',  photo: HBO Czech Republic
Médiateur entre les cultures polonaise et tchèque, Mariusz Szczygieł constate cependant que les sympathies entre les deux peuples manquent de réciprocité et que les Polonais n’en imposent pas aux Tchèques. Ceux-ci s’étonnent que ce soit un Polonais qui est auteur de « Gottland » et oublient que l’auteur de ce best-seller n’est pas le seul Polonais à s’intéresser à eux. Dans ce contexte Mariusz Szczygieł rappelle la série télévisée sur le sacrifice de Jan Palach « Le buisson ardent » réalisée par Agnieszka Holland. Cette cinéaste polonaise a porté à l’écran l’histoire du jeune homme qui s’est immolé en 1969 par le feu pour réveiller les Tchèques de leur léthargie et pour les inciter à la résistance contre l’occupant soviétique. A l’avis de Mariusz Szczygieł, la réalisatrice a saisi ce thème d’une façon polonaise, sans détails humoristiques, et a donné à cette série un aspect de gravité. Le regard qu’elle a jeté sur l’histoire de Jan Palach est un regard polonais, plus sérieux, plus tragique. Son film est pourtant une importante contribution à la culture tchèque.

'Chacun son paradis',  photo: Dokořán / Jaroslava Jiskrová - Máj
« Gottland » n’est pas resté isolé dans l’ensemble de l’oeuvre de Mariusz Szczygieł. En 2010 il a récidivé avec le livre « Chacun son paradis ». Tandis que « Gottland » est un livre sur l’histoire de Tchécoslovaquie, plus précisément sur les gens qui ont joué des rôles remarquables dans cette histoire, « Chacun son paradis » est un ouvrage sur la Tchéquie actuelle qui devrait servir d’inspiration aussi pour la Pologne et apporter une bouffée d’air frais dans ce pays qui, selon Mariusz Szczygieł, souffre de son conservatisme religieux et patriotique. L’auteur désire démontrer à ses compatriotes que chez les voisins parmi lesquels il y a beaucoup moins de croyants, on vit un peu différemment certes mais que leur existence est tout à fait acceptable. « Le fait qu’on est non-croyant, dit-il, ne signifie pas qu’on n’a pas de morale. »

'L'amour céleste',  photo: Dokořán / Jaroslava Jiskrová - Máj
Le troisième livre de la série est intitulé « L’amour céleste ». C’est un recueil de brillants essais inspirés par des oeuvres de grands écrivains tchèques et aussi sur ce qui est surprenant et même choquant dans la vie des Tchèques contemporains. Le livre est aussi une comparaison entre les mentalités tchèque et polonaise.

Aujourd’hui Mariusz Szczygieł est probablement le Polonais le plus connu en République tchèque. On aime ses livres dont « Gottland » est en Tchéquie déjà à sa 16e édition, on lit ses articles dans les journaux et sur le web, on l’entend à la radio et on le voit à la télévision. Son énergie et son talent ont déjà ébranlé l’indifférence des Tchèques vis-à-vis de leurs voisins polonais. Apôtre de l’amitié polono-tchèque, il ne se lasse pas de nous répéter :

« Je pense que nos deux cultures peuvent se compenser mutuellement. Vous pouvez nous donner un autre regard sur les choses et nous aussi nous pouvons vous donner quelque chose de différent. »