L’histoire de Vladimír Vochoč, « Juste parmi les nations », renaît sous la plume de Lenka Horňáková-Civade

Lenka Horňáková-Civade, photo: Magdalena Hrozínková

Son histoire était tombée dans l’oubli le plus total, jusqu’à ce qu’en 2016, il reçoive le titre de « Juste parmi les nations » à titre posthume. Vladimír Vochoč, ancien consul tchécoslovaque à Marseille pendant la Seconde Guerre mondiale, a permis à de nombreux réfugiés, dont des Juifs ayant fui l’Allemagne, de quitter la France désormais coupée en deux, entre la zone occupée et la celle dirigée par Vichy. Déjà auteure de deux romans écrits en français, l’écrivaine d’origine tchèque Lenka Horňáková-Civade a récidivé en publiant en août dernier La Symphonie du Nouveau monde qui retrace l’histoire de ce fonctionnaire d’Etat. Pour Radio Prague, elle a d’abord dressé un portrait du personnage.

Lenka Horňáková-Civade,  photo: Magdalena Hrozínková

« Vladimír Vochoč était un diplomate tchécoslovaque, en poste à Marseille entre mai 1938 jusqu’à mars 1941. Il a servi son pays tout au long de sa carrière au ministère des Affaires étrangères de la république tchécoslovaque et dont l’action est restée méconnue pendant de nombreuses années. En 2016, il a été reconnu Juste parmi les nations. Cela témoigne de ce long oubli qu’il a subi. Il a été broyé par l’Histoire. Moi-même j’ai rencontré ce personnage il y a quelques années, grâce à un autre diplomate tchèque. Cela a éveillé ma curiosité. J’ai commencé à chercher des documents, à étudier les informations autour de ce consul. Il s’est avéré que sa vie était passionnante, au-delà de son action à Marseille. Et il est un des personnages de mon nouveau roman, La Symphonie du Nouveau monde. »

Vladimír Vochoč est en effet tombé totalement dans l’oubli. Il est mort en 1985 en Tchécoslovaquie, après avoir subi une période extrêmement difficile dans son pays, après son retour. Dans les années 1950, il a été pris dans l’engrenage du régime communiste. Il a été condamné, puis cette condamnation a été annulée dans les années 1960 au moment des procès de révision des prisonniers politiques. C’est l’histoire d’une vie extrêmement mouvementée, et pas seulement pendant la guerre…

Photo: Alma Editeur
« C’est cela. C’est un témoin vivant de cette histoire extrêmement tumultueuse et absolument rocambolesque. Ses ancêtres, avant lui, ont grandement œuvré pour la création de la Tchécoslovaquie. Il a été au service de cette nouvelle république, au sens noble du terme. Et ensuite il a été broyé par le régime communiste. Sur treize ans de prison, il en a passé six derrière les barreaux, à rédiger des rapports, à se justifier, à demander des procès en révision. C’était un juriste donc il s’y connaissait. Son action n’a jamais été reconnue par cette république pour laquelle il a œuvré. Il est mort dans l’oubli et la pauvreté la plus totale. Même après le changement de régime en 1989, cette reconquête de sa mémoire a été très longue. Je pense qu’il n’est pas le seul. Il ne faut pas se fixer uniquement sur lui. C’est la réflexion sur la mémoire en général qui m’intéresse : que fait-on avec les silences qui se sont imposés et qu’on s’impose ? Peut-on briser ces silences ? Quand, de quelle manière, avec quel résultat, pour quelle raison ? Tout cela correspondait à la réflexion autour de l’écriture et de cette rencontre avec ce personnage historique qui représente, en définitive, plusieurs personnes. »

Vladimír Vochoč a délivré des passeports tchécoslovaques à des personnes voulant fuir la France ou l’Europe en général. Comment a-t-il procédé pendant la guerre puisqu’il s’agissait de passeports d’un Etat qui, juridiquement, n’existait plus puisqu’il été occupé par les nazis et remplacé par le Protectorat de Bohême-Moravie ?

Vladimír Vochoč | Photo: Archives nationales de Prague
« C’est toute la beauté du geste ! Il incarne tout le côté absurde et surréaliste que les Tchèques peuvent véhiculer en eux, avec un grand sens d’un patriotisme très noble, un sens de l’humour assez aigu et une intelligence brillante. C’était quand même un avocat de droit international qui savait ce qu’il faisait. Quand il est arrivé en mai 1938, le pays était encore une république tchécoslovaque digne de ce nom. Quelques mois plus tard, en septembre, ont été signés les accords de Munich. Les premières menaces sont arrivées, le premier dépeçage de la république s’est mis en place. Au mois de mars 1939, le pays est devenu le Protectorat de Bohême-Moravie. Mais tout cela restait relativement difficilement expliqué en France. La France était dans une logique de préservation de la paix. Il faut vraiment voir ce regard français ou britannique : on y croyait sincèrement, je pense, on croyait que tout cela était au service de la paix. Vladimír Vochoč a dû à l’époque déjà aider et préserver le statut de gens qui étaient en train de le perdre. Une situation relativement inexplicable pour les autorités françaises : Prague, la Tchécoslovaquie, tout cela était très loin. Vochoč a élaboré un petit discours, présentant la situation géopolitique, présenté les arguments et mis les solutions en place. Ce qui intéressait l’administration avant tout, ce sont les solutions. Lui préparait tout le côté administratif et laissait le soin à ceux qui devaient le faire de poser le tampon. Et c’est vrai que ça a marché ! A un moment donné, cet homme s’est retrouvé à diriger la seule représentation diplomatique en France libre, d’un pays qui n’existe pas dans un pays en guerre. C’est assez magique, c’est la quintessence de l’absurde, mais cela fonctionne. »

Vladimír Vochoč n’est pas le seul personnage de votre roman. Il y en a plusieurs autres qui sont liés à ses activités et qui sont un peu les représentants des personnes qu’il a aidées. C’est aussi un roman où l’on voyage beaucoup géographiquement : on est à Prague, à Strasbourg, à Marseille, dans le sud-ouest de la France, mais aussi temporellement, sur une cinquantaine d’années. Comment avez-vous construit votre roman ?

« Je voyais ce roman comme une discussion entre plusieurs voix. D’où d’ailleurs aussi le titre avec le mot ‘symphonie’. On a plusieurs mouvements, plusieurs instruments qui se parlent. Il y a le mouvement d’ensemble, et le détail. Il y a la mélodie principale et toutes celles qui accompagnent. La deuxième voix était plus compliquée à trouver. Il me fallait une voix avec un regard particulier. Je l’ai trouvée dans une poupée de chiffon qui a à la fois la distance et reste au centre de l’action. C’est une voix perspicace, impertinente, quand même très attachante – en tout cas comme auteure, je m’y suis attachée. Cette poupée nous raconte une errance, une errance des immigrés, avec les personnages de Bojena et Josefa, un bébé qui est né à Strasbourg. Cette errance était commune à beaucoup. Ce trio a un parcours improbable : Strasbourg, Marseille, Vence etc. Ce parcours a réellement existé. Cette histoire est intéressante car il y a les différentes strates de la guerre : la guerre administrative, militaire, et la guerre des femmes et des enfants. Il y a la guerre qu’on connaît dans ses grands traits, celle des livres d’Histoire, celle qu’on nous raconte encore peut-être à la maison, et il y a celle qui n’est pas connue, qui est tue, et qui est irracontable une fois la guerre finie. C’est probablement celle-là qui m’intéresse : comment les destinées se croisent, comment elles ont fonctionné en parallèle sur un territoire pas amical, pas avenant, et pourtant avec des rencontres humaines qui ont permis la survie de beaucoup de gens. »

Ces errances raisonnent beaucoup avec notre époque contemporaine où la question des réfugiés n’a jamais été aussi actuelle…

« On ne se rend pas compte à quel point l’Europe était sillonnée et a été un énorme carrefour entre les deux guerres mondiales pour des millions de personnes. En fait, ce continent supporte très bien, à vrai dire, tous ces pas, tous ces gens qui le traversent. C’est vrai qu’aujourd’hui, on est peut-être un peu effrayés, mais effrayés par quoi au juste ? »

Le titre, dont vous parliez tout à l’heure, a de nombreuses significations. Evidemment, on pense tout de suite au nom de la symphonie d’Antonín Dvořák. Mais le Nouveau monde, c’est aussi ce lieu où les gens ont pu trouver refuge…

« C’est l’espoir du monde nouveau. Vladimír Vochoč, dès 1919, a commencé à travailler pour le ministère des Affaires étrangères. Son espoir était vraiment de créer un nouveau monde : la démocratie, un monde où l’on puisse vivre ensemble, sortir de la guerre et bâtir quelque chose de nouveau. Je pense que créer la république, mettre en place la démocratie, devait être quelque chose de fascinant. Bojena, qui a envie de partir dans le nouveau monde, espère réaliser ses rêves, peut-être fous, peut-être provoqués par une symphonie dont elle a entendu la musique et qui lui donne des ailes. Je pense qu’on en est tous là : à un moment donné, on rêve d’un nouveau monde, dont on va participer à la création. Je crois que le nouveau monde est un grand moteur. Ce n’est pas que l’Amérique, c’est quelque chose qu’on construit aussi sur un plan intime. Et là, c’est aussi sur le plan collectif. »

Photo: Centre tchèque de Brussels
Votre livre fait partie de la présélection du prix Renaudot. Votre premier roman, Giboulées de soleil, avait reçu le prix Renaudot des lycéens. Tout cela est une sacrée reconnaissance pour un début de carrière littéraire…

« C’est merveilleux d’avoir une reconnaissance de ses pairs. C’est une grande satisfaction. Le Renaudot des lycéens est un cadeau précieux, un plaisir immense. Ce prix m’a permis de rencontrer de nombreux jeunes lecteurs, ce qui est inestimable. Le Renaudot, c’est une reconnaissance, et c’est très bien. Tout cela permet au roman de rencontrer plus de lecteurs potentiels. C’est tout ce que l’on souhaite, finalement, pour ses romans. »