La vision inquiétante du monde après la victoire du mouvement féministe

Petra Hůlová, photo: Petr Vidomus, ČRo

Une utopie ou une dystopie ? Une vision positive ou négative de l’avenir de l’humanité ? Ces questions se sont imposées dans le débat suscité par le dernier roman de Petra Hůlová intitulé Stručné dějiny Hnutí (Histoire abrégée du Mouvement). Publié par la maison d’édition Torst, ce roman d’anticipation dans lequel l’auteure brosse une image perturbante de la société de l’avenir, nous pousse à redéfinir notre rapport vis-à-vis du sexe opposé et à réfléchir un peu différemment sur la société dans laquelle nous désirons vivre.

Vers le Nouveau monde

Petra Hůlová | Photo: Petr Vidomus,  ČRo
Petra Hůlová nous amène dans son roman dans le Nouveau monde, c’est-à-dire dans une société qui est née après la défaite de l’Ancien monde que le lecteur peut identifier comme la société dans laquelle nous vivons actuellement. Voici comment l’auteure, elle-même, évoque cette nouvelle société régie par la formation politique appelée tout simplement le Mouvement, et dans laquelle vit Věra, héroïne de son roman :

« Le Nouveau monde est un monde, disons, du proche avenir où le Mouvement s’est établi. Les hommes qui n’ont pas accepté la nouvelle conception de ce qui est vraiment attractif chez les femmes, deviennent clients de certaines institutions où ils se soumettent à une rééducation. Et c’est la même chose pour les femmes qui ne sont pas d’accord avec la nouvelle éthique. Selon le Mouvement, la valeur de la femme est donnée par ses qualités intérieures et spirituelles et son caractère. Ce n’est donc pas la question de son physique et d’autres qualités appréciées surtout dans l’Ancien monde comme la jeunesse, la beauté, le sex-appeal. Le Mouvement estime qu’il ne s’agit que des aspects superficiels et ne les considère pas comme les qualités véritables de la femme. »

Les pratiques de la rééducation

Pour imposer ce nouveau concept des rapports entre les sexes le Mouvement a créé des établissements spéciaux pour les individus qui, pour diverses raisons, n’ont pas encore adopté cette nouvelle forme de sexualité préférant les qualités spirituelles à la beauté physique. Věra est surveillante dans l’Institution, établissement spécialisé dans la rééducation des hommes. Elle rédige ses Mémoires qui sont en réalité plutôt un journal où elle décrit entre autres ses activités dans l’établissement. Surveillés jour et nuit, les clients de l’Institution sont obligés de se soumettre à des procédés qui entravent brutalement leur intimité et leur dignité humaine, par exemple, se masturber devant des tableaux représentant de vieilles femmes dénudées. Seuls les hommes qui réussissent à se débarrasser de leurs préférences pour la sensualité et à réorienter leur sexualité vers les qualités spirituelles de la femme, pourront se réinsérer dans la société et retourner dans leurs familles et auprès de leurs proches. Ceux qui ne réussissent pas cette transformation, sont condamnés à répéter les procédés de rééducation à l’infini.

La transformation de la femme

Les femmes récalcitrantes, elles aussi, sont obligées de se soumettre à une rééducation dans des institutions similaires. Car, selon Petra Hůlová, les femmes doivent assumer également leur part de responsabilité de la situation dans la société et subir une inévitable transformation :

« Ce qui m’agace depuis longtemps dans le débat sur l’émancipation et le féminisme, c’est qu’on exhorte les hommes à l’autocritique et au changement de leur comportement comme si l’on oubliait que dans une relation il y a toujours deux parties. Si nous parlons du comportement des hommes vis-à-vis des femmes et de ce que nous leur reprochons, nous pouvons parler aussi inversement du comportement des femmes vis-à-vis des hommes. (…) Je pense que les femmes ont souvent tendance à se considérer comme victimes même dans des situations où elles ne le sont pas. »

Le triomphe du féminisme ?

Dans le Nouveau monde, les femmes doivent se départir, elles aussi, de ce qui est considéré par le Mouvement comme les maux d’une époque révolue. Elles doivent renoncer à tous les moyens pour rehausser leur séduction féminine, les vêtements élégants, le maquillage, les coiffures, la chirurgie esthétique. Elles doivent aussi se délivrer de leur penchant irrésistible pour les hommes puissants et riches qui sont les candidats au mariage les plus recherchés.

Si nous parlons du comportement des hommes vis-à-vis des femmes et de ce que nous leur reprochons, nous pouvons parler aussi inversement du comportement des femmes vis-à-vis des hommes.

Dans cette nouvelle société tout le monde, hommes et femmes, portent un vêtement unisexe dont l’uniformité doit étouffer dans l’œuf tout intérêt pour ce qui sensuel et superficiel. Le lecteur du roman finit par se demander s’il s’agit là d’une vision improbable du triomphe du féminisme militant et du crépuscule de la virilité ou bien seulement du prolongement des tendances que nous pouvons déjà déceler dans la société actuelle. Est-ce un cauchemar futuriste ou y a-t-il dans cette vision aussi des éléments positifs ? Petra Hůlová se garde de trancher :

« C’est tout simplement une vision de l’avenir et je ne crois pas qu’il faille répondre à cette question. Il dépend de chacun de nous de déterminer dans quelle mesure cette vision lui semble intéressante ou répugnante. Je crois qu’il y a, au moins pour moi, un mélange des deux aspects. (…) On peut le lire de différentes façons et ce que j’en dis n’est pas important. »

L’évolution ou la contrainte ?

Věra, héroïne du roman, est convaincue que le Nouveau monde dans lequel elle vit, est sur le bon chemin vers une société saine et juste. En tant que surveillante, elle cherche à comprendre la situation des adeptes à la rééducation mais elle les oblige pourtant à se soumettre à des pratiques quasi totalitaires. La fiction littéraire permet ici à Petra Hůlová de dépasser largement les limites du débat sur l’émancipation de la femme et les revendications du mouvement féministe. Dans ce roman d’anticipation, elle traite les thèmes qu’elle considère comme actuels et qui sont importants pour toutes les sociétés et pour tous les individus. Elle nous oblige à nous poser la question dangereuse que nous croyons résolue depuis longtemps : peut-on utiliser la force pour provoquer un changement profond dans la société ? Et elle répond :

« Si une partie marginalisée de la société, les femmes ou un autre groupe, jouit dans le cadre de cette société d’un pouvoir ou d’une influence insuffisante et si ce groupe cherche à accroître son influence, je demande, qui dans cette société cédera volontairement une partie de son pouvoir à ce groupe seulement pour réagir à son appel. Dans un certain sens, les changements pour le mieux ne sont réalisables autrement que par contrainte. »

Le Nouveau monde dans le roman de Petra Hůlová est, certes, un univers fictif, tantôt révoltant, tantôt grotesque, et le lecteur ne peut pas le prendre comme un mode d’emploi pour changer la société. Il émane pourtant de ce livre et des opinions de son auteure comme une fatigue de la société libérale dans laquelle nous vivons. L’auteure semble lasse des faiblesses de la société dans laquelle les changements profonds ne peuvent être que le résultat d’une longue évolution et d’un consensus. Son livre ne peut sans doute pas être considéré comme une vision très probable de l’avenir de la race humaine, mais cette fiction et l’attitude de son auteure démontrent de façon explicite que les tentations totalitaires sont toujours vivantes.