Karel Čapek, notre contemporain

Karel Čapek, photo: public domain
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« Les gens ont la patience de chercher des diamants dans le sable ou des perles dans la mer, mais chercher dans les gens les dons précieux et curieux de Dieu ne leur vient même pas à l’idée. Et c’est une grande faute. » Telles sont les paroles de Karel Čapek (1890-1938), auteur qui a consacré toute sa vie à la recherche des « dons précieux et curieux » chez ses contemporains. Karel Čapek est né le 9 janvier 1890 donc il y a juste 130 ans.

Karel Čapek,  photo: public domain

Le besoin irrésistible de connaître le monde

Cerner la personnalité de Karel Čapek est une chose difficile à cause de l’ampleur extraordinaire de ses dons, de ses activités et de ses inspirations. Bien sûr, il a été d’abord et surtout écrivain mais dans son cas le mot écrivain prenait un sens extrêmement large. Prosateur, dramaturge, journaliste, traducteur, photographe, collectionneur, voyageur et jardinier, Karel Čapek était, selon les témoins, un homme infiniment curieux. Il avait un besoin irrésistible de connaître et de comprendre le monde et ses habitants auxquels il vouait une profonde sympathie. Et cette sympathie qui cependant ne manquait pas d’aspects critiques, inspirait et nourrissait son œuvre littéraire et journalistique. L’historien de la littérature Jiří Holý rappelle que c’est par le journalisme que Karel Čapek est entré en littérature :

Karel Čapek
« Čapek travaillait pour des journaux depuis la fin de la Première Guerre mondiale, tout d’abord pour le journal Národní listy, puis pour Lidové noviny. Et en tant que journaliste il était obligé d’écrire d’une façon nette et compréhensible, autrement ses articles n’auraient pas été publiés. Devenu un auteur célèbre, il n’était plus obligé d’écrire dans des journaux et pourtant il continuait à rédiger un article, un jour sur deux. Et sa capacité de communiquer avec les lecteurs, de choisir quelque chose qui les intéressait vraiment, était très précieuse. »

Le visionnaire

Karel Čapek était le fils d’un médecin ce qui ne lui a pas épargné de sérieux problèmes de santé qu’il a dû affronter pendant presque toute sa vie. A partir de 21 ans, il souffre de maladie de Bechterew qui le menace de paralysie. Sa santé défaillante lui fait apprécier d’autant plus le don de la vie. Amateur de la vie, il dénonce tout ce qui pourrait la menacer, l’appauvrir ou la dégrader et devient extrêmement sensible aux dangers qui guettent la civilisation humaine. Ces dangers sont les thèmes d’une partie importante de son œuvre littéraire, thèmes qui inspirent aussi son œuvre dramatique. Jiří Holý rappelle que c’est le théâtre qui a permis au génie de Karel Čapek de s’imposer sur la scène littéraire :

'R.U.R.'
« Čapek s’est fait connaître tout d’abord par ses pièces de théâtre. C’était sa pièce R.U.R., une utopie, aujourd’hui on dirait de la science-fiction, qui a exposé au grand jour un problème mondial qui devenait actuel au lendemain de la Grande guerre, à l’époque des révolutions et du développement technique. Cette pièce a été jouée dans le monde entier, en Europe, au Japon, aux Etats-Unis et c’est grâce à elle que Čapek a percé et qu’on a commencé à publier dans le monde aussi ses œuvres en prose. »

Dans R.U.R., Čapek met en scène avec un don prodigieux d’anticipation des robots, des humanoïdes capables d’imiter et d’accomplir les activités de l’homme. Dans sa pièce, il raconte la révolte des robots doués d’une intelligence artificielle qui entraîne la fin de la civilisation humaine. La pièce date de 1920 et un siècle plus tard, à l’époque du développement impétueux de la robotisation dans le monde, nous sommes obligés de nous poser la même question sur les dangers de l’intelligence artificielle qui risque de se soustraire à notre contrôle. Et Čapek récidive en 1922 avec le roman Krakatit dans lequel il prévoit le danger que représente pour le monde entier l’abus de l’énergie nucléaire.

Dans l’intimité des gens

Cependant, Karel Čapek n’est pas qu’un utopiste soucieux de l’avenir de la civilisation. Dans une grande partie de sa création, il renonce à ces grands thèmes pour plonger dans l’intimité de l’homme, pour évoquer les détails les plus infimes de la psychologie humaine, pour mettre en scène des gens simples, des héros qui mènent une vie ordinaire mais dont le destin ne pose pas moins des questions fondamentales sur l’existence. Ces questions surgissent notamment dans la trilogie romanesque Hordubal, Le Météore et Une vie ordinaire, romans considérés comme le sommet de l’œuvre littéraire de Karel Čapek. Les héros de ces romans voient les mêmes faits d’une façon différente, chacun d’eux ayant sa propre vision des événements, sa propre vérité. Karel Čapek serait-il donc un auteur qui relativise la vérité ? Jiří Holý n’est pas de cet avis :

Čapek observe le monde et l’homme de divers côtés, il ne voit pas une seule valeur absolue à laquelle tout devrait être subordonné.

« Le problème qu’on répète souvent quand on parle de Karel Čapek, c’est son relativisme. C’est ce que lui a été reproché par la critique communiste, par les catholiques, mais aussi par les auteurs nationalistes. Čapek observe le monde et l’homme de divers côtés, il ne voit pas une seule valeur absolue à laquelle tout devrait être subordonné. Je pense qu’il a été moins influencé par le relativisme que par le pragmatisme, par la philosophie pragmatique américaine, qui percevait l’homme comme un sens en soi qui ne doit pas se soumettre à un sens extérieur ou à des objectifs supérieurs. Čapek percevait la situation humaine comme multilatérale. La vie pour lui n’est pas unilatérale et peut être interprétée de manières diverses, mais Čapek ne nie pas l’existence de quelque chose qui est supérieur. »

Une des premières victimes du cataclysme mondial

'La Guerre des salamandres'
C’est l’entre-deux-guerres, la période de la Première République tchécoslovaque, qui est aussi la période dans laquelle la carrière littéraire de Karel Čapek atteint son apogée. Maître souverain de la langue tchèque, il réussit à enrichir et à moderniser sa langue maternelle et à la débarrasser des résidus anciens. Ses œuvres sont traduites et publiées dans le monde entier, ses pièces de théâtre sont présentées dans les plus grandes métropoles et il est sept fois nominé pour le prix Nobel. Biographe et ami du président Tomáš Garrigue Masaryk, il devient avec lui une figure emblématique de la Tchécoslovaquie d’alors. Sa vie et ses aspirations sont étroitement liées avec le jeune Etat tchécoslovaque et lorsque la liberté de sa patrie est menacée vers la fin des années 1930 par l’agressivité allemande, il déploie des efforts immenses et publie plusieurs œuvres célèbres pour mobiliser l’opinion internationale contre le nazisme. C’est l’époque où il écrit le roman La Guerre des salamandres et les pièces de théâtre La Maladie blanche et La Mère, trois appels ardents à la résistance contre l’idéologie de la haine qui envahit le monde.

La signature des accords de Munich assène un coup fatal non seulement à la Première République tchécoslovaque mais aussi à Karel Čapek. Abandonnée par les puissances occidentales et coupée de ses régions frontalières, la Tchécoslovaquie est livrée à la merci d’Hitler et l’écrivain lui-même devient la cible de la haine de ses adversaires anonymes. Connaisseur de l’œuvre de Karel Čapek, le théologien Tomáš Halík évoque les épreuves de la dernière étape de la vie de l’écrivain et constate la recrudescence inquiétante de la haine dans la société tchèque actuelle :

Karel Čapek,  photo: Archives de ČRo
« Outre les lettres vraiment belles, Čapek recevait, notamment vers la fin de sa vie, aussi des lettres horribles, odieuses. Après la signature des accords de Munich, les fascistes, la droite tchèque et la populace ont organisé une véritable chasse contre Karel Čapek, une campagne haineuse qui a fini par l’épuiser et a abouti à sa mort. (…) Et il faut dire qu’à l’époque actuelle, je reçois, moi aussi, de nombreuses lettres anonymes de la part de fascistes, d’extrémistes et de fondamentalistes de tout genre. Evidemment, aujourd’hui il s’agit plutôt de courriels. Mais ce sont des textes tout à fait semblables à ceux que recevait Karel Čapek. Il y a des phrases entières qui sont les mêmes, il y a les mêmes fautes de grammaire, les mêmes vulgarités comme si cette couche de la population que Masaryk appelait le sédiment pathologique de la société, émergeait soudain à la surface. »

Karel Čapek meurt de pneumonie le 25 décembre 1938 à Prague. Ceux qui le connaissent estiment cependant que la cause véritable de sa mort prématurée a été la haine dont il faisait l’objet et l’effondrement des valeurs sans lesquelles la vie perdait pour lui son sens.

130 ans après sa naissance et 82 ans après sa mort, il reste toujours un des auteurs tchèques les plus appreciés et les plus aimés. Son imagination prodigieuse, ses visions prophétiques de l’avenir, son intérêt profond et révélateur pour la vie des gens, sa sensibilité psychologique, son sens de l’humour et aussi la précision de son langage et la beauté discrète de son style en font un auteur qui reste toujours avec nous comme s’il était notre contemporain.

Karel Čapek,  photo: Archives de ČRo