Dan Jedlička : « En Tchéquie il y a un public pour la poésie »

Photo: Archives de Radio Prague

Avons-nous besoin de la poésie ? Les lecteurs de la poésie existent-ils encore ? La poésie est-elle encore nécessaire à l’âge technique que nous vivons ? Parmi ceux qui sont convaincus que la poésie joue et doit jouer un rôle considérable dans notre vie, il y a l’éditeur, poète et traducteur Dan Jedlička. Fondateur de la petite maison d’éditions Perplex qui publie de nouveaux recueils d’auteurs tchèques, il démontre par ses activités que les gens ont soif de poésie mais souvent ne s’en rendent pas compte. Les conditions dans lesquelles travaillent les petites maisons d’éditions sont très difficiles mais il y a toujours beaucoup d’éditeurs qui ne se laissent pas décourager. Dan Jedlička, qui est l’un deux, continue à rappeler aux gens que la poésie donne une dimension précieuse à la vie et que parmi les Tchèques, il y a toujours des poètes dont les vers méritent l’attention du public.

En République tchèque, il y a plusieurs centaines de petites maisons d’éditions. Bien qu’elles ne puissent pas rivaliser avec les grandes maisons et groupes qui dominent jusqu’à 80 % du marché des livres dans le pays, elles ont une importance considérable pour la vie culturelle. Sans la richesse et la diversité de leur production, les possibilités des lecteurs tchèques seraient beaucoup plus limitées. Grâce à elles, presque tous les lecteurs, même ceux dont les goûts littéraires sont tout à fait marginaux, ont la chance de trouver leur auteur préféré. Souvent la situation économique de ces petites maisons est peu solide et leur existence est éphémère. Elles naissent et disparaissent mais parfois leur production laisse une trace profonde dans les rayons de bibliothèques et dans la mémoire des lecteurs. C’est surtout au niveau de la distribution qu’elles sont désavantagées par rapport aux grandes maisons d’édition dont la force économique leur permet parfois de dicter leurs conditions aux distributeurs des livres ou de créer elles-mêmes leur réseau de distribution. C’est ce que constate aussi l’éditeur et poète Dan Jedlička, fondateur de la maison d’édition Perplex :

Dan Jedlička,  photo: Site officiel de la maison d’édition Perplex
« Nous souffrons surtout de ce que j’ose appeler le collapsus de la distribution des livres des petites maisons d’éditions qui publient des genres marginaux, dans notre cas la poésie. Ce n’est pas tellement le problème de la TVA. Ce qui est le plus difficile, c’est de faire parvenir le livre au lecteur. La marge que l’éditeur doit payer au distributeur est élevée ce qui se répercute dans le prix final du livre et décourage le lecteur qui aimerait l’acheter. C’est donc un cercle vicieux. Et le deuxième problème, c’est que les libraires acceptent de moins en moins de livres de genres marginaux, dont la poésie, pour les exposer et les vendre dans leur librairie. »

Cela créée donc un certain vide. Souvent les livres de petits éditeurs sont distribués seulement dans des e-shops, ne sont disponibles que dans des stocks virtuels et sont introuvables dans les librairies. Les conditions dans lesquelles travaillent les petits éditeurs sont donc dures mais ils sont obligés de les accepter s’ils ne veulent pas se charger eux-mêmes de la distribution de leurs livres. Dan Jedlička estime que les livres en République tchèque pourraient être distribués d’une meilleure façon et que l’Etat devrait jouer un rôle plus important :

« Je sais qu’il y a dans le monde des pays où la distribution de livres est soutenue par l’Etat qui, au lieu d’accorder des subventions à des sujets choisis, soutient le processus de la distribution qui devient finalement moins chère pour le libraire. Je pense que ce serait très intéressant pour les petits éditeurs tchèques. J’arrive à imaginer un système dans lequel on n’accorderait pas de subventions, ou on ne les accorderait que dans une mesure limitée, et une partie des moyens financiers ainsi épargnés serait accordés à la distribution. L’éditeur pourrait jouir donc de meilleures conditions, il payerait un pourcentage moins élevé de la marge. Cela pourrait également réduire le prix final des livres. »

Knihex,  photo: Facebook de la foire Knihex
Quoi qu’il en soit les petits éditeurs tchèques existent toujours malgré ces difficultés et sont relativement nombreux. Tous les ans, ils organisent sur le quai de la Vltava à Prague la foire Knihex qui présente la production de plusieurs dizaines de petites maisons d’éditions. Dans le cadre de la foire les visiteurs peuvent assister à des séances de présentation de livres et aux activités des ateliers de reliure et d’impression. La production de nombreuses de ces petites maisons, comme Apostrof, Baobab, Dauphin, Divus, Host, Labyrint, est connue déjà du grand public et respectée dans les milieux d’édition. L’éditeur Dan Jedlička lui-même constate que sa situation est relativement solide :

« Notre maison va assez bien pour le moment. Nous venons de publier notre 22e livre. C’est plus que nous pouvions le penser au début. Nous vendons entre 75 % et 80 % de nos tirages ce qui est satisfaisant mais c’est parce que nous combinons plusieurs méthodes de vente. Nos livres parviennent à nos lecteurs grâce aussi à des lectures publiques que nous organisons annuellement des dizaines de fois. Je comprends cependant qu’il y a des éditeurs qui ne disposent pas d’une telle possibilité ou qui manquent de temps pour utiliser ce moyen. »

Photo: Perplex
La maison d’édition Perplex a été fondée pour les auteurs débutants mais aujourd’hui elle abandonne peu à peu de ce projet initial et s’ouvre aussi aux poètes déjà connus. Dans le catalogue d’édition de 2013 figurent le troisième recueil de la poétesse Irena Štastná ainsi que le livre de poésies de Daniel Hradecký, également le troisième livre de cet auteur déjà connu dans les milieux littéraires. Le seul premier livre figurant dans le catalogue 2013 est le recueil du poète en herbe Tomáš Čada.

L’éditeur Dan Jedlička est au courant des possibilités que donne au lecteur notre époque. Il n’ignore pas l’existence des livres électroniques, des smartphones et des liseuses mais il est assez sceptique quand à l’utilisation de ces supports pour la diffusion de la poésie :

L'équipe de la maison d’édition Perplex,  photo: Radio Wave
« Nous sommes une petite maison d’édition régionale et je crois toujours qu’une des raisons qui nous a attiré l’attention des lecteurs a été le fait que nos livres sont différents des autres. Nous ne négligeons pas leur présentation graphique et la qualité de leur reliure. Nous n’envisageons pas pour le moment de passer aux moyens électroniques. Je n’ai pas beaucoup de confiance en ces supports et l’image de l’homme qui lit de la poésie sur un livre numérique ou un smartphone ne m’attire pas. Je ne pense pas que ce soient de vrais lecteurs de la poésie. Les vrais lecteurs de la poésie achètent leurs livres physiquement. »

Mais si Dan Jedlička ne pense pas que les supports électroniques soient de bons moyens pour la diffusion de la poésie, il est d’autant plus favorable aux contacts entre l’auteur et son lecteur et aux lectures publiques :

Photo: Archives de Radio Prague
« J’ai beaucoup de confiance en ce genre de présentations de la poésie. Lorsque le lecteur, ou dans ce cas précis l’auditeur, entre en contact direct non seulement avec la poésie mais aussi avec l’auteur en personne, il se produit comme une réaction chimique très spéciale qui est toujours différente. Cela favorise évidemment les ventes parce que l’homme qui a entendu les vers désire avoir le livre comme un rappel d’une sensation unique qu’il a vécue lors de la lecture en commun avec l’auteur. Je pense que cette présentation vivante donne à la poésie une nouvelle dimension, une nouvelle vie. En Tchéquie, il y a un public pour la poésie, les Tchèques aiment écouter les auteurs lisant leurs vers. La poésie en Tchéquie n’est pas en crise comme on pourrait penser. »