Comment devenir poète

Jan Delong, photo: Jonáš Zbořil, ČRo
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Jan Delong est un jeune auteur dont le nom se détache de plus en plus parmi les adeptes de la poésie tchèque. Ce jeune poète dont les vers n’ont été publiés jusqu’à présent que dans des revues littéraires, est également un animateur de la vie culturelle dans la ville de Třinec, ville où il est né et à laquelle il est resté fidèle. Lauréat du prix qui porte le nom du poète František Halas, le jeune auteur se prépare désormais consciencieusement au plus grand événement de sa vie littéraire qui sera, à l’automne 2014, la parution de son premier recueil.

Jan Delong,  photo: Jonáš Zbořil,  ČRo
C’est à l’école que Jan Delong a eu les premiers contacts avec la poésie et c’est à cette époque qu’il faut situer aussi ses premières tentatives poétiques. Ses premiers vers ont été inspirés par les jeunes filles de son entourage, des vers que certains garçons écrivent à un moment de leur jeunesse et qui restent sans conséquence dans la majorité des cas pour le reste de leur vie. Chez Jan, la tentation poétique a été plus solidement ancrée dans sa nature mais elle ne s’est manifestée pleinement qu’après son entrée au lycée :

« La principale impulsion initiatrice m’est venue au lycée lorsque j’ai surmonté ma timidité et montré mes poèmes à ma prof de tchèque. Sa réaction a été plutôt neutre. Elle m’a dit que c’était bien mais que je devrais lire encore ça et ça et ça…. Elle m’a donc poussé à m’intéresser davantage à la poésie et à lire beaucoup plus. (…) Mais il y avait aussi d’autres facteurs. A ce moment-là nous étudions la poésie des beatniks ce qui était un thème très attractif pour les adolescents. Et puis j’avais un ami dans ma classe et nous nous provoquions mutuellement jusqu’à finir par montrer nos vers à notre prof. »

La professeur de tchèque a donné au poète en herbe un tas de recueils de grands classiques de la poésie tchèque dont Holan, Seifert, Hrubín, Hora mais aussi des grands noms étrangers comme Gregory Corso et Alain Ginsberg. Et c’est la connaissance de ces auteurs qui a ouvert au jeune adepte les portes de la poésie contemporaine et lui a donné l’impulsion pour chercher sa propre voie. Aujourd’hui, son nom est associé par certains critiques à celui de František Halas, un des plus grands poètes tchèques du XXe siècle. Jan Delong a en commun avec son célèbre prédécesseur notamment l’intérêt pour les gens qui sont au bout de leur chemin :

'Les vieilles femmes',  photo: Maison d'édition Fr. Borový
« Cela est dû en partie à une simple coïncidence parce que, je suis un peu honteux de l’avouer, je n’ai pas lu beaucoup de textes de Halas. Son recueil ‘Les vieilles femmes’ est celui qui m’a le plus impressionné. A l’époque où je l’ai lu, c’était comme une révélation pour moi. La façon dont Halas traitait des vieilles femmes dans ses vers était sobre mais en même temps très imagée. Cela m’a beaucoup intrigué et a servi de base à mon rapport vis-à-vis de Halas mais je dois le lire encore davantage. »

On se demande pourquoi Jan Delong, ce benjamin de la poésie né en 1989, a évoqué dans ses premiers vers justement la vieillesse, cet autre bout de la vie dont il est encore très éloigné et qu’il peut difficilement comprendre. Mais le poète à peine sorti de l’adolescence et à qui il manque l’expérience d’une longue vie, sait mobiliser en lui d’autres moyens et notamment sa grande capacité d’empathie et de compassion pour pouvoir parler de ceux dont l’existence touche à sa fin :

« Chez les gens âgés, je vois l’expérience qu’ils ont acquise au cours de la vie, je vois le long chemin qu’ils ont parcouru, et c’est pourquoi je les respecte. (…) J’entretiens de très bons rapports avec mes grands-parents. Je ne les connais toujours pas assez. Ils arrivent toujours à me surprendre par les histoires de leur jeunesse, ce qui est formidable. »

Avec le temps l’éventail des thèmes abordés par le jeune poète commence pourtant à s’élargir. Il trouve de l’inspiration désormais moins dans le sort de ses vieux concitoyens mais plutôt dans ses souvenirs de jeunesse et aussi à Třinec, sa ville natale qu’il n’a pas quittée.

Aciéries de Třinec
Třinec est une ville de 37 000 habitants située dans le Nord-Est de la République tchèque tout près de la frontière polonaise. Dans le passé elle a fait l’objet de plusieurs litiges frontaliers entre la Pologne et la Tchécoslovaquie. Ce n’est qu’en 1920, donc deux ans après la naissance de l’Etat indépendant des Tchèques et des Slovaques, que la ville et toute la région de Těšín, dont Třinec fait partie, sont attribuées définitivement par la cour d’arbitrage de Spa à la Tchécoslovaquie. Cependant, à la suite du traité de Munich et du démantèlement de la République tchécoslovaque en 1938, la région et la ville de Třinec sont annexées par la Pologne avant d’être occupées par l’Allemagne nazie. Après la Deuxième Guerre mondiale, la région est restituée à la Tchécoslovaquie mais la Pologne ne renoncera à ses revendications territoriales concernant cette région qu’en 1950.

L’industrie lourde donne un caractère austère à toute cette ville dominée par les hauts fourneaux et les cheminées des Aciéries de Třinec, une des plus importantes entreprises métallurgiques du pays. Cette ville, dont les habitants parlent le tchèque, le polonais et aussi un dialecte qui marie des éléments des deux langues, a formé le jeune poète. Il constate que Třinec s’est imposée finalement aussi comme une source importante de son inspiration :

« C’est la ville des contrastes. D’une part il y a la rouille, la réalité crue de la ville industrielle, la grisaille uniforme de la zone d’habitation, et d’autre part il y a la nature. La ville est située dans le massif des Beskides. Après seulement quinze minutes de marche, on se retrouve hors de la ville, dans un milieu complètement différent, dans la nature. Et quand on prend conscience de ces choses-là, on peut en tirer de l’inspiration. »

Jan Delong avec le programme d'une soirée littéraire,  photo: Munimedia / Masarykova univerzita
Cette ville industrielle et frontalière qui, pendant une grande partie de l’année, étouffe sous le smog, est loin d’être considérée comme un endroit idéal pour la santé et risque d’être désertée par une partie de ses habitants. Jan Delong et ses amis qui aiment cette ville refusent de se résigner à sa marginalisation sur le plan culturel. C’est pourquoi le jeune poète qui travaille dans la bibliothèque municipale a fondé en 2009 la tradition des soirées littéraires qu’il organise régulièrement. Tout d’abord, ce n’étaient que des rencontres de quelques initiés qui apportaient les oeuvres de leurs auteurs préférés et leurs guitares pour lire ces textes et pour chanter. L’ambition de Jan Delong a été cependant d’ouvrir ces soirées au public et il s’est mis à réaliser son plan dès 2011. Désormais, il invite de jeunes auteurs afin qu’ils lisent leurs œuvres et aussi de jeunes formations musicales auxquelles il donne l’occasion de se présenter au public. Ces soirées prennent même un aspect international car on y entend des poètes tchèques et polonais et l’année prochaine Jan Delong aimerait y inviter aussi de jeunes auteurs slovaques.

L’année 2014 marquera un tournant dans la carrière de Jan Delong. C’est en effet à l’automne 2014 qu’il publiera son premier recueil grâce à la maison d’édition Perplex de la ville d’Opava. Le recueil pourrait s’intituler « Domovy (Foyers) » mais ce titre ne satisfait pas tout à fait le poète et il est fort probable qu’il le change encore. Il cherche maintenant dans l’ensemble de son oeuvre les vers dignes de figurer dans son premier livre. Il aborde cette tâche avec plaisir et sévérité vis-à-vis de lui-même et se prépare à collaborer étroitement lors de ces travaux avec sa maison d’édition :

« Je me réjouis à l’idée de participer à ce processus de tri et d’élimination de certains poèmes et à la discussion sur ces vers parce que normalement je n’en parle pas beaucoup. Ce sera un enrichissement pour moi d’entendre l’opinion de quelqu’un d’autre. Je n’impose pas ma volonté mais j’écoute ce qu’on me conseille. Je veux donner ce qu’il y a de meilleur en moi et je dois donc prêter attention à ce qu’on me dit sur mon travail. »