Bohumil Hrabal, nonagénaire

Bohumil Hrabal

Né il y a 90 ans, mort il y a 7 ans, Bohumil Hrabal n'est pas prêt de quitter le trône imaginaire du prince des lettres tchèques. L'auteur des romans "Une trop bruyante solitude" et "Moi qui ai servi le roi d'Angleterre" reste toujours présent et chaque nouvelle génération d'écrivains et de lecteurs doit se mesurer, tôt ou tard, avec son ombre gigantesque. Mais le temps passe et avec lui les attitudes sur son oeuvre changent.

Aujourd'hui, Bohumil Hrabal a sa place dans le panthéon de la littérature tchèque, il figure dans les encyclopédies et les manuels scolaires. Comment supporte-t-il cette situation dangereuse, devenue fatale pour nombre de ses prédécesseurs qui, après avoir été promus au rang d'écrivains officiels, ont cessé d'attirer les lecteurs et ont sombré dans l'oubli? Pour Petr A. Bilek, de la faculté des lettres de l'Université Charles à Prague, Hrabal souffre quelque peu du fait de ne plus être un écrivain proscrit. Il estime que pour les jeunes, désormais, Hrabal n'est plus qu'un auteur parmi d'autres et ils s'intéressent moins à son oeuvre qu'à sa vie. "Pour eux il est devenu un classique, et il ne les excite plus", ajoute-t-il.

Monika Zgustova,  photo: CTK
L'écrivain Monika Zgustova, traductrice de nombreuses oeuvres de Hrabal en espagnol et en catalan, voit l'évolution de la popularité de Bohumil Hrabal un peu différemment. "Oui, on le lit, dit-elle, mais un peu moins qu'on pourrait le penser. Mais c'est comme ça. La vie littéraire et la popularité de Hrabal évoluaient par vagues. Par exemple, dans les années cinquante, il était interdit de le publier, tandis que les années soixante ont vraiment été sa grande période. Puis les années soixante-dix et quatre-vingts ont été difficiles parce que, parfois, il a pu publier, mais pas toujours ses meilleures oeuvres, comme "Une trop bruyante solitude" ou "Moi qui ai servi le roi d'Angleterre" qui n'étaient publiées que par le samizdat. Alors, le lecteur normal n'avait pas accès à cette littérature. Enfin, dans les années quatre-vingts-dix, c'était peut-être à la mode de dire que Hrabal était déjà trop vieux. Il n'était pas à la mode. C'était dommage et c'était difficile pour lui, un grand classique tchèque, de ne pas pouvoir publier même dans les journaux et dans les revues parce qu'il n'était pas à la mode. Maintenant, après sa mort, encore une fois peut-être, il est un peu plus à la mode. Mais c'est dommage qu'il ait fallu attendre sa mort pour le récupérer."


"J'ai toujours vénéré Bohumil Hrabal en tant que narrateur tout à fait incomparable dont l'imagination était telle qu'on pouvait seulement en rêver", dit l'écrivain Ivan Klima. Le prosateur Vaclav Kahuda range Bohumil Hrabal aux côtés d'Ota Pavel et de Ladislav Fuks, écrivains qui exerçaient une grande influence sur lui au début de sa carrière. " Mais Hrabal, souligne-t-il, était le plus important, c'est lui qui m'a révélé que l'homme pouvait s'exprimer par la parole, que c'était possible. Hrabal était pour moi une terre fertile, tout ce qu'il exprime est derrière la littérature, la littérature n'est que le moyen. Aux côtés de Kafka, de Hasek et de Demel, c'est l'auteur fondamental du XXe siècle." Pour l'écrivain Emil Hakl, Hrabal échappe à toute tentative de le caractériser. "... peut-être, dit-il, parce qu'il échappe aux critères bon - mauvais, plaît - ne plaît pas. Hrabal ne peut être mesuré que par Hrabal lui-même." Le poète et romancier Jachym Topol est de cette génération d'écrivains qui ont subi dans leur jeunesse l'influence et le poids écrasant de la poétique hrabalienne. "Les livres de Hrabal, ses contes ou ses récits de plus longue haleine, constate-t-il, se dressent sur le chemin de chaque écrivain tchèque comme des blocs de pierre - il peut tenter de les sauter, de les escalader, de les franchir en rampant, mais il sera toujours obligé de les affronter."