Adieu, ma flamme adorable

'Adieu, ma flamme adorable', photo: Sláfka
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« Bella mia fiamma, addio - Adieu, ma flamme adorable », tel est le titre d’un célèbre air de concert que Wolfgang Amadeus Mozart a dédié à la cantatrice Josefína Dušková, son amie. Et c’est également le titre d’un livre consacré à Mozart par l’écrivain, scénariste et musicologue tchèque Zdeněk Mahler. La quatrième édition de l’ouvrage qui est un hommage assez particulier rendu par Zdeněk Mahler au génie de Mozart, est sortie à l’occasion du 85e anniversaire de la naissance de l’auteur.

Josefína Dušková
Selon une anecdote de la vie de Wolfgang Amadeus dont l’authenticité reste à prouver, Josefína Dušková aurait emprisonné le compositeur dans un pavillon de jardin et refusé de lui ouvrir la porte avant qu’il n’écrive pour elle un air qu’il lui avait promis. Wolfgang s’exécute à condition que Josefína chante son air plein de difficultés vocales « a prima vista » et sans une seule faute, sinon il se déclare prêt à brûler la partition. La cantatrice aurait réussi cet exploit périlleux, devenant ainsi inspiratrice et propriétaire d’un des airs de concert de Mozart les plus célèbres. C’est à elle, cette excellente cantatrice qui était peut-être un peu plus qu’une amie pour Mozart, que Zdeněk Mahler a donc confié le rôle de narratrice dans son livre auquel il a donné la forme de Mémoires. Il s’agit bien entendu de Mémoires fictifs :

Zdeněk Mahler,  photo: CT
« Josefína Dušková (Josepha Duschek) ne nous a laissé pratiquement aucun document sur sa vie. Je pense qu’il n’existe que deux lettres qu’elle a écrites et qui se rapportent à d’autres choses. Ce qu’elle nous raconte dans le livre, ce n’est donc que de la pure fiction mais basée sur des faits dont elle pouvait parler parce qu’elle était amie intime de Mozart depuis son enfance. La vie de Mozart nous est donc racontée par Josefína, puis elle est commentée par une voix d’homme qui fait le contrepoint à l’aspect féminin du récit et permet au lecteur contemporain de parvenir à la vérité finale. »

Mozart est né à Salzbourg et la mère de Josefína est, elle aussi, d’origine salzbourgeoise. Elle vit avec sa famille à Prague mais sa fille rend parfois visite à son grand père, un bourgeois honorable de Salzbourg qui est pendant de longues années maire de la ville. Bien que résidant à Prague, la petite Josefína peut donc rencontrer assez souvent son petit ami Wolfgang et en jouant avec lui, elle devient témoin des premiers succès de cet enfant prodige. Et cette amitié commencée dans la tendre enfance durera pendant toute la vie de Mozart. L’amie pragoise de Mozart suit les tournés artistiques du petit musicien, ses prestations prodigieuses devant les têtes couronnées de plusieurs cours européennes, ses premier succès à l’opéra, ses démêlés avec l’archevêque de Salzbourg, et finalement son combat pour s’imposer à Vienne.

Photo: Sláfka
C’est elle qui accueille le musicien avec sa femme, les loge dans sa résidence et les chaperonne lors de leurs visites à Prague. Elle devient aussi témoin du triomphe pragois de l’opéra Don Giovanni. Elle agrémente ses souvenirs par d’innombrables détails et anecdotes intéressants et drôles, et ne cache même pas les calomnies sur Mozart et ses proches que les mauvaises langues répandent dans la société. Elle n’oublie pas non plus d’évoquer les rapports entre Wolfgang et d’autres grands musiciens de l’époque, son amitié avec le « papa » Haydn et sa rivalité professionnelle avec Antonio Salieri qui fera naître beaucoup de spéculations sur la mort prématurée de Mozart. Ses souvenirs fictifs recueillis par Zdeněk Mahler donnent une image vivante et haute en couleurs de l’itinéraire d’un homme pour lequel la musique est plus que la vie.

Pour Zdeněk Mahler, auteur d’une importante série de scénarios pour des films tchèques à succès, ce livre a ouvert un chapitre important de sa carrière de scénariste. Tout a commencé déjà dans les années 1970 :

« J’envisageais d’abord d’écrire un scénario de film sur Mozart que je voulais intituler »Plus qu’un prince », ce qui était une citation de la Flûte enchantée, mais comme c’était la période de la normalisation, ce projet a été finalement avorté. Comme j’ai déjà fait des travaux préparatoires, j’avais quelque peine à me faire à l’idée que tout ce travail serait perdu, et j’ai donc écrit un livre que j’ai appelé « Adieu, ma flamme adorable ». Le manuscrit de ce livre qui ne pouvait pas paraître non plus pendant longtemps, a été lu par Miloš Forman. C’était donc finalement grâce à ces « bourreaux » qui ont fait foirer mon projet de scénario que le cercle s’est refermé et que j’ai pu faire ce travail plus tard en collaboration avec les Américains. »

'Amadeus'
Après avoir lu les pseudo-Mémoires de Josefína Dušek, Miloš Forman invite Zdeněk Mahler à collaborer avec lui sur le scénario de son film « Amadeus ». Aujourd’hui l’écrivain insiste cependant sur les différences entre son livre et le scénario du film qui devait apporter à Miloš Forman la gloire internationale :

« C’est une grande différence parce que le scénario d’Amadeus est basé sur la pièce éponyme de Peter Shaffer qui s’inspire d’une légende. Cette légende a surgi à Vienne bientôt après la mort de Mozart. A cette époque, il y avait à Vienne le prince André Razumovsky, ambassadeur de Russie. Après son retour à Saint-Pétersbourg, il a raconté cette histoire entre autres à Pouchkine et le poète a ensuite écrit une pièce d’un acte intitulé ‘Mozart et Salieri’. C’est sur cette pièce qu’a été basée au XXe siècle la pièce ‘Amadeus’ de Peter Shaffer. Néanmoins le film est bien différent parce que dans la pièce Salieri apostrophe les spectateurs de la rampe et leur révèle comment il ourdit son intrigue contre Mozart. Dans le film ce n’est pas possible. Il fallait trouver donc une autre forme de narration et même les personnages ont considérablement changé. »

'Amadeus'
Dans la pièce de Pouchkine, Salieri présenté comme un ambitieux qui envie le génie et la gloire de son rival, finit par empoisonner Mozart, ce qui correspondait aux rumeurs de l’époque. Peter Shaffer et Miloš Forman ne vont pas si loin mais ils présentent quand même Salieri comme un musicien médiocre qui intrigue contre son rival de talent. Les recherches modernes ont cependant démontré que de telles spéculations étaient dépourvues de fondement et des musicologues et interprètes modernes ont procédé même à une espèce de réhabilitation de Salieri. Zdeněk Mahler refuse lui aussi d’accepter cette image négative et souligne que ce compositeur de la Cour impériale savait se montrer très généreux vis-à-vis de son collègue cadet :

Antonio Salieri
« C’est paradoxal. Après la mort de Mozart, sa femme Constance voulait faire achever le manuscrit du Requiem. C’est ce qui a été finalement fait par Süsmayer. Et Vienne a ensuite rendu hommage à Wolfgang Amadeus Mozart par un concert. L’orchestre a été composé des meilleurs musiciens viennois et on a invité également les meilleurs chanteurs. Et tout cela a été organisé et puis dirigé par un certain Antonio Salieri. »

Mozart n’est pas le seul grand homme auquel Zdeněk Mahler a consacré un livre biographique. Il est auteur de plusieurs autres ouvrages de ce genre consacrés à Bedřich Smetana, Antonín Dvořák, Gustav Mahler ou Tomáš Garrigue Masaryk. Wolfgang Amadeus Mozart restera cependant pour lui une des rencontres fondamentales de sa vie. Son rapport vis-à-vis de ce compositeur s’approfondit avec les années et l’œuvre de Mozart est toujours pour lui la source de nouvelles sensations. Octogénaire, il s’étonne encore de découvrir dans sa musique de nouvelles manifestations de génie :

« En écoutant la musique de Mozart, surtout si vous savez dans quelles condition elle a été crée, vous y découvrez beaucoup de choses. Quand vous étudiez les manuscrits de ses partitions, vous constatez qu’elles sont pratiquement sans corrections, sans ratures. Cela a jailli de son esprit car il composait d’abord dans sa tête et mettait ensuite sa musique directement au net. Il y a énormément de choses qu’on découvre rien qu’en feuilletant ses partitions. »

(Le livre « Sbohem, můj krásný plameni – Adieu, ma flamme adorable » est sorti aux éditions Slávka Kopecká. )