Adalbert Stifter, un illustre inconnu

Adalbert Stifter
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Un hommage original a été rendu à l'écrivain Adalbert Stifter à l'occasion de son bicentenaire. Autrichiens et Tchèques se sont lancés sur ses traces dans un train spécial qui est parti, ce vendredi de Linz via Prague. Adalbert Stifter dont on parle beaucoup ces jours-ci mais qu'on connaît peu doit descendre ainsi de son piédestal de grand classique et se faire connaître à ses lecteurs potentiels du début du XXIe siècle.

Né en 1805 dans le village d'Oberplan-Horni Plana dans le massif de la Sumava, en Bohême du Sud, Adalbert Stifter part étudier en Autriche, passe quelques temps à Vienne pour s'installer finalement à Linz en tant qu'Inspecteur des écoles primaires de Haute-Autriche. Ses activités sont multiples. Il est non seulement écrivain, nouvelliste, poète mais aussi peintre, pédagogue et chercheur. Il n'oublie pas sa patrie tchèque, où il se rend régulièrement et qui est pour lui aussi une source d'inspiration. C'est en Bohême de l'Ouest, au Château de Kynzvart, résidence du chancelier Metternich, qu'il écrit Der Nachsommer - L'arrière-saison, son chef d'oeuvre. C'est l'histoire tchèque du XIIe siècle qui lui inspire son roman Witiko.


Qu'est-ce que l'oeuvre d'Adalbert Stifter? Si l'on simplifie beaucoup, c'est une incessante recherche de la sérénité, mais aussi une contemplation lente et attentive qui permet de voir sous la surface du monde et de saisir le rythme secret de la vie. Il ne se passe pas beaucoup de choses dans les romans et dans les nouvelles de Stifter et pourtant le lecteur finit par être envoûté. On suit avec une émotion croissante le cheminement des héros de ses romans et de ses nouvelles qui cherchent leur place dans un monde dominé par la loi morale et la sagesse de la nature.

En Autriche on le connaît, on ne le lit pas beaucoup mais ceux qui le lisent lui vouent une véritable passion. En Tchéquie il est relativement peu connu bien qu'il puisse être considéré comme l'un des plus grands écrivains tchèques de langue allemande. Tandis qu'en Autriche on organise à l'occasion de son bicentenaire de nombreuses manifestations dans le cadre de l'Année Stifter, en Tchéquie on ne l'évoque que rarement.

Le connaisseur de son oeuvre Johann Lachinger estime cependant que cet écrivain a été et est toujours présent dans la vie culturelle tchèque: "Il faut dire qu'Adalbert Stifter a été très connu à Prague et on lui attribuait une grande importance. On lui a consacré aussi des recherches littéraires. L'initiateur de ces recherches a été le germaniste pragois Gustav Sauer, professeur de l'Université Charles. Stifter était apprécié aussi par d'autres personnalités dont par exemple l'écrivaine tchèque Bozena Nemcova qui avait une grand estime pour lui, ou plus tard Johannes Urzidil qui a écrit dans le style et l'esprit de Stifter plusieurs contes et a cherché à le faire connaître pendant son exile à New York. Il faut mentionner aussi Franz Kafka qui a connu l'oeuvre de Stifter un peu tard et a beaucoup apprécié le roman d'Adalbert Stifter 'Der Nachsommer - L'arrière-saison'. Il considérait ce roman comme un exemple de la vie idéale à la campagne. C'était déjà à l'époque où Kafka était malade et cherchait cet état idéal à la campagne. Adalbert Stifter a été donc en Bohême et dans le reste de la Tchécoslovaquie une personnalité connue et surtout parmi les intellectuels. Après le début des recherches consacrées à Stifter dans les années vingt du XXe siècle, on a publié plusieurs traductions d'oeuvres de cet écrivain. Stifter a été traduit notamment par Anna Siebenscheinova et Jitka Fucikova, traductrice du roman "Witiko". Toute une série de traductions a été épuisée. Actuellement l'oeuvre de Stifter est publiée par la maison d'édition pragoise Vitalis. A Horni Plana (Oberplan) on prépare une édition bilingue du roman 'La chronique de notre famille'. La maison d'édition Vitalis aimerait publier aussi les oeuvres complètes d'Adalbert Stifter."


Ces jours-ci donc à Prague, Linz et à d'autres endroits une initiative a été lancée par l'association Kulturverein Sunnseitn Linz à laquelle on a invité des artistes et performers autrichiens, tchèques et allemands. Elle a pris la forme d'un voyage culturel sur les traces de l'écrivain. Du 12 au 14 août, ils circulent entre Prague et Linz dans le Train du Temps, train qui s'arrête à de nombreux endroits liés avec la vie et l'oeuvre de l'écrivain. Ils se proposent de jeter sur ce classique un regard nouveau, irrespectueux et ironique, et le confronter avec les tendances de notre temps. Des lectures, des entretiens, des vols en ballon, des randonnées à cheval figurent au programme de ce voyage culturel. Dans le club Roxy à Prague des textes de Stifter sont mis en musique par des rapeurs. On organise aussi une promenade à Prague sur les traces de l'écrivain.

Gotthard Wagner de l'association Sunnseitn Linz explique les ambitions de cette initiative:" Notre dernier projet 'Le Train du Temps - Stifter' a été organisé dans le cadre de l'Année Adalbert Stifter, à l'occasion du bicentenaire de la naissance de cet écrivain qui vivait dans une certaine tension entre Vienne et Prague. Dans le cadre de l'Année Adalbert Stifter on organise quelque 150 manifestations consacrées à l'oeuvre et à la personnalité de cet auteur dont seulement cinq projets sont tchéco-autrichiens et dépassent donc la frontière de l'Autriche. (...) Pour la table ronde consacrée à Adalbert Stifter nous avons invité quelque 80 personnes, artistes, hommes de lettres, historiens, danseurs, musiciens classiques ou représentant du style hip-hop, graveurs, performers, personnes qui travaillent dans le tourisme, experts en logistique, cavaliers, experts en aéronautique et en vol en ballon, parachutistes."

Adalbert Stifter serait sans doute bien étonné de la façon dont on évoque aujourd'hui entre Prague et Linz son oeuvre et où, modernité oblige, l'action évince la contemplation. Difficile de dire s'il aurait de la compréhension pour cette tentative maladroite peut-être mais originale de lui prouver qu'il n'est pas oublié et que nous, les enfants agités du XXIe siècle, avons quand même besoin de son regard calme et serein.