Voyager aux temps de la monarchie habsbourgeoise et en Tchécoslovaquie

Photo: Commission européenne

Ce qui nous paraît aujourd'hui impensable a été pourtant la réalité de tous les jours des Tchèques pendant plus de 40 ans, jusqu'en 1989 : l'impossibilité de voyager à l'étranger... Dix-huit ans après la révolution de Velours, une première étude de l'une des caractéristiques du régime communiste - la fermeture des frontières et l'absence totale de liberté de circulation, vient d'être publié par l'Institut d'histoire moderne. L'occasion de se pencher sur cette période d'interdictions et de limitations...

'Vyjezdni dolozka'
La libre circulation des personnes, la possibilité de se rendre où on veut et quand on veut, avec sa seule carte d'identité si on ne dépasse pas les frontières de l'Europe, on s'y est si vite habitué que la situation d'avant 1989 paraît comme un cauchemar peu vraisemblable, à la veille de l'intégration de l'espace Schengen et de l'abolition des contrôles terrestres et aériens aux frontières ... Vouloir voyager à l'étranger, il y a 30 ans, cela signifiait se soumettre à des procédures injurieuses avec un résultat incertain : il fallait une « vyjezdni dolozka », terme intraduisible puisque n'ayant pas d'équivalent dans les langues des pays démocratiques, sorte d'autorisation de voyager délivrée par les autorités à quelques rares élus après des vérifications politiques... Il y a 50 ans, il n'a pas du tout été possible de se rendre en voyage individuel, privé...

La monarchie habsbourgeoise
Le titre de la publication - « Voyager aux temps de la monarchie habsbourgeoise et en Tchécoslovaquie » - n'était pas choisie au hasard : un rappel historique est utile pour que le lecteur qui n'a pas vécu le régime communiste ne soit pas étonné de ce qu'après son arrivée au pouvoir, en 1948, ce régime est revenu à la situation d'avant l'abolition de la corvée, donc avant l'année 1781...

Il n'est pas sans intérêt non plus de noter que le principe actuel de libre circulation des personnes dans le cadre de l'UE et notamment de son espace Schengen a eu un précurseur en Autriche-Hongrie dans la moitié du XIXe siècle : ainsi, en 1860, après la naissance de la monarchie constitutionnelle en Autriche, ses résidents, dont les Tchèques et les Slovaques, avaient le droit à un passeport les autorisant à voyager sans limitation quelconque à l'étranger. Pour se rendre en Allemagne voisine, ils n'avaient même pas besoin de passeport. Une pratique similaire existait partout dans l'Europe du XIXe siècle, à l'exception de l'empire ottoman et de la Russie tsariste.

Mais revenons à la situation en Tchécoslovaquie après le putsch communiste de 1948. Grâce aux documents sortis des archives, il est possible d'établir la date et même l'heure exacte de la publication du premier ordre spécial donné par le ministère de l'Intérieur au Corps de sécurité nationale d'alors : c'était le 23 février 1948, à 2 heures, lorsque les autorités communistes ont interdit les voyages à l'étranger aux personnes qui n'étaient pas munies d'une clause spéciale. Tout au long des années 1950, la frontière de la Tchécoslovaquie était hermétiquement fermée. La possibilité d'entreprendre des voyages privés a cessé d'exister et la frontière est restée fermée même dans le sens inverse : tous les ressortissants étrangers souhaitant se rendre en Tchécoslovaquie avaient besoin de visas, à une exception près : les titulaires de passeports diplomatiques bulgares et polonais.

L'année 1963 marque le début d'une libéralisation progressive des voyages à l'étranger. Au fur et à mesure, l'obligation de visa a été supprimée pour les voyages dans les pays du bloc soviétique. De fortes limitations ont toutefois été imposées pour les voyages en Occident. Hormis les raisons politiques, un autre obstacle d'ordre économique était apparu : le manque de devises étrangères. Ainsi, la première condition pour pouvoir se rendre dans l'Occident « capitaliste » était l'attribution de la dite « allocation de devises », son montant étant toutefois limité à l'équivalent de 100 dollars...

Photo: Commission européenne
La courte période de détente politique avant l'année 1968 était favorable à l'idée de munir tous les citoyens tchécoslovaques d'un passeport... L'écrasement du Printemps de Prague et la normalisation imposée par Gustav Husak a mis fin à ce rêve. Dans les années 1970, les voyages dans les pays socialistes sont devenus relativement faciles, contrairement à ceux en Occident. Craignant des départs massifs de ses citoyens, le régime a limité au plus bas niveau les voyages en Occident et rendu impossible les voyages de familles entières et des deux époux à la fois. Un chapitre à part, les voyages dits de service des chefs d'entreprises du commerce extérieur, ceux-ci étant en majeure partie des agents de la StB ou ses collaborateurs qui, à leur retour, devaient établir des rapports sur la vie « pourrie » en Occident, éventuellement sur les activités des dissidents émigrés...

Une certaine libéralisation s'est produite à la fin des années 1980. Ainsi, la possibilité de voyager à l'étranger s'est ouverte dans une certaine mesure pour les personnes bénéficiant d'une invitation de l'étranger, y compris les garanties de ce que leurs frais de voyages seraient remboursés par la personne qui les invitait. L'obligation de demander l'autorisation de voyager, la fameuse « vyjezdni dolozka », dépendant uniquement de critères politiques et de la recommandation de l'employeur, est toutefois restée en vigueur jusqu'à la chute du régime. C'est le 4 décembre 1989, une date historique, celle de l'ouverture des frontières tchécoslovaques et de la suppression définitive de toutes les limitations en vigueur depuis plus de 40 ans.