Une bataille qui aura marqué pour 300 ans l’histoire tchèque

La bataille de la Montagne blanche

Elle n’a pas duré plus de deux heures mais ses conséquences ont été lourdes et ont mis fin pour trois siècles à l’indépendance de la Bohême. L’événement dont il est question, c’est la bataille de la Montagne blanche, un des premiers conflits de la guerre de Trente Ans. Au cours de cette bataille qui s’est déroulée aux abords de Prague il y a 390 ans de cela, le 8 novembre 1620, les Etats tchèques protestants sont battus par la Ligue catholique des armées impériales. La liberté de religion est supprimée et le droit de succession des Habsbourg au trône de Bohême devient héréditaire.

Ferdinand II
La défense des libertés des Etats tchèques, y compris la liberté de religion, est la principale raison du déclenchement de la bataille de la Montagne blanche. Au sein de l’empire habsbourgeois multinational, dont les pays de la couronne de Bohême font partie intégrante depuis 1526, la liberté de religion leur est garantie par la Lettre de Majesté éditée en 1609. L’atteinte à ces libertés et les efforts de centralisation du très catholique Ferdinand II, pour lequel l’unité de la monarchie passe par le renforcement de la religion catholique, conduiront à une révolte des Etats tchèques protestants. En mai 1618, quatre lieutenants du roi sont jetés dans les fossés du Château de Prague dans le cadre de la fameuse défenestration. Ferdinand est destitué et les Etats choisissent un empereur protestant en la personne de l’Electeur palatin Frédéric V.

La bataille de la Montagne blanche
La situation évolue rapidement lorsque Maximilien Ier de Bavière regroupe les forces de la Ligue catholique et envoie le comte wallon Jean de Tilly à Prague. La fameuse bataille de la Montagne blanche – Bílá hora en tchèque – se déroule le 8 novembre 1620 sur une colline située à l’ouest de Prague, non loin du pavillon de chasse Hvězda. La situation sur le champ de bataille est décrite par Ladislav Čepička, de l’Institut d’histoire militaire:

« La bataille a opposé les forces de la Ligue catholique commandées par le lieutenant-général le comte de Tilly et combinées aux forces du Saint Empire placées sous les ordres du comte Charles Bonaventure comte de Bucquoy. Face aux armées de l’alliance impériale se trouvait une armée de la coalition des Etats tchèques commandée par Christian d’Anhalt. »

Deux heures ont suffi pour briser la révolte des Etats tchèques qui durait depuis plus de deux ans. Forte de 29 000 hommes, la Ligue catholique a obtenu une victoire écrasante sur les Etats tchèques et leurs quelque 20 000 hommes.

Ladislav Čepička
Les causes de la défaite sont multiples : la bataille est précédée d’un conflit près de Rakovník, d’où une partie des armées des Etats tchèques arrive à Prague fatiguée et démoralisée. Les quelque 3 000 cavaliers envoyés en renfort de Transylvanie arrivent trop tard pour secourir l’armée protestante. La reconnaissance du terrain ainsi que la tactique employée ont échoué, estime l’historien Čepička:

« Deux tactiques se sont affrontées dans cette bataille – celle des Pays-Bas et celle d’Espagne, plus ancienne. La tactique néerlandaise protestante inventée par le prince d’Orange était plus moderne, mais elle a été mal utilisée dans le cas précis de la bataille de la Montagne blanche. »

Le duc Christian d’Anhalt
L’armée du commandant protestant le duc Christian d’Anhalt est composée de mercenaires allemands et hongrois et de contingents tchèques et moraves. A la fin du combat acharné, seul un régiment morave commandé par Jindřich Šlik continue de combattre. Repoussés jusqu’au mur de la réserve de chasse Hvězda, les combattants de ce régiment n’ont plus aucune chance de résister...

Dans la bataille de la Montagne blanche, les armées protestantes des Etats tchèques perdent 5000 hommes. Vingt-sept des chefs « rebelles » sont décapités en public sur la place de la Vieille-Ville dans le centre de Prague. Couronné empereur, Ferdinand de Habsbourg confisque les biens de la noblesse protestante. De nombreux domaines sont offerts aux commandants allemands, italiens et espagnols. La liberté de religion est supprimée et la religion catholique proclamée seul et unique culte officiel et autorisé. Les protestants qui refusent de se convertir sont expulsés ou quittent le pays.

Jindřich Šlik
Fraîchement élu roi le 4 novembre 1619, Frédéric V s’enfuit de Prague également. La brièveté de son règne, un an seulement, lui vaudra le surnom de « roi d’hiver ». L’historien Zdeněk Hojda, de la Faculté des Lettres, résume les conséquences de la bataille pour la nation tchèque :

« Les conséquences sont absolument fatidiques même si, dans les années 1620, elles ne sont pas perçues comme irréversibles. Cela le devient de toute évidence après 1648, qui marque le début de la confiscation des biens, de l’unification religieuse, de la liquidation des Eglises non catholiques et de leurs représentants. »

La bataille de la Montagne blanche
« Au XIXe siècle, la bataille de la Montagne blanche devient synonyme de significations nettement négatives qui lui restent collées jusqu’à présent. Elle est promue au rang de catastrophe nationale, source de tous les malheurs de la nation tchèque qui demeurera sous l’autorité des Habsbourg jusqu’en 1918: malheur pour le développement culturel et linguistique, pour la liberté et la souveraineté du pays. La défaite à la Montagne blanche devient un immense symbole dans lequel prédomine sa perception en tant que tombeau, échafaud de la nation. »

La période qui suit la Montagne blanche, surnommée « temps des Ténèbres » (Temno), a ses conséquences également sur le plan politique : la position du royaume de Bohême change suite à l’introduction, en 1627, de l’Ordre provincial rénové. La nouvelle constitution garantit la légitimité du droit héréditaire des Habsbourg au trône de Bohême.

Certains points d’interrogation et certains mythes qui se sont créés au fil du temps autour de la bataille de la Montagne blanche persistent sans être entièrement élucidés. Ainsi, selon certaines sources, le philosophe français René Descartes aurait pris part au combat, du côté de la Ligue catholique. Vivement discuté dans la littérature historique est le rôle joué au cours de cette bataille par le carme Dominique de Jésus-Marie qui fait fonction d’aumônier pontifical extraordinaire. Certains auteurs lui adjugent un rôle de stratège dans la planification de la bataille et de quelqu’un qui annonce, au nom de ses visions, la victoire avant la bataille.

Un petit monument en pierre érigé avant la Première Guerre mondiale par la communauté des Sokol marque le lieu de la bataille de la Montagne blanche. Il y a dix ans, à l’occasion du 380e anniversaire de la bataille, les restes de 42 combattants protestants ont été inhumés dans le sol catholique du jardin de l’église praguoise de la Vierge-Marie-Victorieuse dans le cadre de la conciliation historique des Eglises. Dans le quartier de Bílá hora, où la bataille s’est tenue il y a 390 ans, les noms de rues comme Thurnova, Moravanů, Slezanů ou encore Alej českých exulantů - l’Allée des expatriés tchèques - rappellent l’événement.