République tchèque et Hongrie ou les histoires parallèles

La monarchie habsbourgeoise

A l'heure de l'Europe, il n'est pas inutile de se pencher à nouveau sur les destins croisés des pays d'Europe centrale, que 40 ans de communisme ont eu tendance à présenter comme un bloc à l'histoire monolithique. Loupe, aujourd'hui, sur deux grandes puissances régionales, la Bohême-Moravie et la Hongrie, qui formèrent, avec la Pologne et la Slovaquie, le groupe dit de Visegrad, après la chute de l'Empire soviétique.

Ottakar II
Et pour commencer, un constat qui a souvent échappé aux contemporains : la domination des Habsbourg sur la région n'a pas toujours été acquise, loin s'en faut. Royaumes historiques, la Bohême et la Hongrie se sont, jusqu'au XVe siècle au moins, posés en rivaux redoutables de l'Autriche. Ils l'ont même, chacun à leur tour, occupée !

Par un habile mélange de subterfuges juridiques et d'audace militaire, le roi tchèque Ottakar II, au XIIIe siècle, met peu à peu la main sur l'ensemble du domaine autrichien. En 1260, il s'empare de la Styrie et, neuf ans plus tard, de la Carinthie. Seul le Tyrol lui échappe !

Mathias Corvin
Deux siècles plus tard, c'est au tour du grand roi de Hongrie Mathias Corvin, de donner des sueurs froides aux Habsbourg. Fin XVe siècle, celui-ci a réussi à mettre sur pied l'une des meilleures armées d'Europe. C'est l'Armée noire, composée d'environ 18 000 hommes, parmi lesquels on compte de nombreux mercenaires tchèques, tout dévoués à la cause de leur employeur. En 1485, Corvin occupe Vienne après un long siège puis, en 1487, Wiener Neustadt, d'ou l'Empereur autrichien Frédéric III doit fuir à Linz. C'est la mort du roi hongrois en 1490 qui sauve les Habsbourg.

Notons que la Hongrie du XVe siècle lorgne également sur le riche royaume tchèque. On a pu parler véritablement du rêve de Bohême, un rêve qui sera surtout resté un mirage malgré quelques succès sans lendemain. C'est d'ailleurs cette obsession - la mainmise sur le royaume de Bohême - poursuivie par Jean Vitez, chancelier de Hongrie, qui mécomptera, lassitude oblige, la noblesse hongroise. Pour elle, la lutte contre les Turcs est la priorité.

Le danger ottoman donnera d'ailleurs lieu à un autre mirage : celui d'une vaste alliance militaire des pays d'Europe centrale. Un projet qui restera lettre morte, mais qui sera promis à un bel avenir politique. Au XXe siècle, certains intellectuels tchèques pensent que le maintien de l'Empire austro-tchéco-hongrois, aurait pu éviter l'occupation nazie et la domination soviétique.

Ladislav Jagellon
Mais revenons aux guerres austro-turques. Et notons que la Hongrie, à la différence de la Bohême, fut la seule vraie concernée puisque la majeure partie de son territoire, fut occupée par les Ottomans pendant près de trois siècles. Constatant que les pays des Balkans - actuelles Croatie et Serbie - ne pouvaient résister aux razzias des janissaires turques, les papes encouragèrent les royaumes chrétiens d'Europe centrale à unir leurs chevaleries. Après tout, le roi de Hongrie Louis le Grand n'avait-il pas été roi de Pologne de 1370 a 1382 ? Mais les dissensions viendront à bout d'un projet que l'année 1491 devait voir se réaliser. A cette date, le roi polonais Ladislav Jagellon réalise l'union personnelle des royaumes de Hongrie et de Bohême. En 1526, le rattachement des royaumes tchèques et hongrois a celui des Habsbourg présentera le net désavantage de subordonner toute union aux seuls intérêts allemands.

Budapest
Si l'union militaire restera illusoire, les circuits économiques auront contribué à rendre perméable les frontières entre Hongrois et Tchèques. Au Moyen-âge, le vin hongrois emprunte régulièrement la voie Buda-Prague-Brno jusqu' à ce que la révolution hussite en fasse une route peu sûre. Les marchands de Prague importent aussi régulièrement du boeuf hongrois. Mais les révoltes des utraquistes auront également, pendant un certain temps, des conséquences positives. Elles permettent en effet aux Tchèques d'échapper à la mainmise du commerce allemand. De l'autre côté, les marchands hongrois voient, dès 1400, leur activité commerciale dépendre de plus en plus du crédit allemand.

La rupture entre Tchèques et Hongrois commence peut-être au XIXe siècle, avec le compromis austro-hongrois de 1867, qui donne à la Hongrie une certaine autonomie politique au sein de l'Empire, tandis que la Diète tchèque semble reléguée à l'arrière plan. Pour les Tchèques, l'injustice est d'autant plus grande que la Bohême fournit les deux tiers des richesses de l'Empire, par les impôts et l'activité industrielle. Les Habsbourg semblaient tenir rancune aux Tchèques pour leur alliance de revers, au XVIIIe siècle, avec les Franco-bavarois. En danger de perdre la Bohême et la Silésie, Marie-Thérèse avait alors choisi de se tourner vers la Diète hongroise, bien que ses conseillers n'y voyaient qu'un nid de rebelles en puissance.

Mais c'est aussi ce même dualisme austro-hongrois qui donnera un véritable coup de fouet à la conscience nationale tchèque. Pour l'heure, les deux pays se figent dans des antagonismes que le traité de Trianon, en 1920, et des évolutions politiques opposées, ne feront qu'accentuer. Aujourd'hui, il est peut-être temps de réexaminer les rapports souvent complémentaires entre les deux nations.