Quand le sport depassait l'exploit

Sokol en 1901

Les Tchèques se sont récemment qualifiés avec brio pour la demi-finale du Championnat d'Europe 2004. De nos jours, les enjeux liés au sport sont d'abord économiques. Mais l'effervescence qui s'empare du pays face au succès de son équipe montre aussi que le sport condense une forte charge symbolique. Ce constat ne s'est pas démenti au cours de l'histoire tchèque. Les Chapitres de l'Histoire reviennent aujourd'hui sur un sujet qui, en Tchéquie, a souvent dépassé le domaine de l'exploit.

Lors de la proclamation de l'Etat tchécoslovaque en 1918, les Sokols patrouillent dans les rues de Prague pour assurer la sécurité. L'image peut surprendre lorsque l'on sait que les Sokols, fondés dans la seconde moitié du XIXe siècle, sont à l'origine une organisation sportive. Imaginez aujourd'hui Nedved au service de l'Etat tchèque !

Association gymnastique, les Sokols deviennent à vrai dire très vite une organisation dépassant le simple domaine du sport. Leurs gymnases deviennent les centres sociaux des communes de Bohême-Moravie. On y chante, on y joue des pièces ou on y projette des films...

La fin du XIXe siècle voit l'exacerbation des tensions nationalistes en Europe et plus particulièrement en Bohême. Dans ce contexte, le sport, comme la culture et la langue, est amené à jouer un rôle plus politique. La loi de 1860 sur la liberté d'association entraîne un rapide développement de la vie associative, principale forme de sociabilité en Europe centrale. En Bohême, le nombre d'associations passe de 466 à 4476 entre 1856 et 1876. Allemandes ou Tchèques, elles se posent comme fers de lance des rivalités nationalistes.

Première association du pays, les Sokols apparaissent aussi comme les gardiens de la conscience nationale. Bien plus, ils s'imposent comme un véritable ministère des Affaires étrangères avant la lettre. A partir de 1889, les Sokols et les associations gymnastiques d'Alsace-Lorraine prennent l'habitude de se rencontrer. A leur tour, des délégations de toute la France participent aux congrès des Sokols, qui se tiennent en 1891, 1901, 1907 et 1912.

Une véritable diplomatie parallèle se met en place, qui ne peut qu'inquiéter les Habsbourg, déjà affaiblis dans toute la monarchie. Car, à ne pas s'y tromper, il s'agit de bien plus que d'échanges entre passionnés de sport. En France, l'Union Générale des Sociétés de Gymnastique devient républicaine après 1870 et la défaite de Sedan face à l'Allemagne. Le vieux précepte " Vos ennemis sont nos ennemis..." agit dans le sens du rapprochement entre Tchèques et Français et le sport en devient le prétexte majeur.

Lors de l'Exposition universelle de Paris en 1900, Vladimir Srb conduit la délégation tchèque des Sokols. Sur leur parcours en train à travers la France, ils sont accueillis avec enthousiasme par la population, et les Parisiens les reçoivent au cri des Sokols : " Nazdar ! " (Salut !). Les Sokols auront ainsi construit les bases des relations franco-tchèques, appelées à s'intensifier sous la première République tchécoslovaque.

Sous le régime communiste, le sport renoue, bon gré mal gré, avec la symbolique politique. Le régime totalitaire ne lui en laisse à vrai dire pas le choix. Sport ou culture, toutes les disciplines doivent illustrer la supériorité du camp socialiste sur le camp impérialiste au nom de la doctrine énoncée par le soviétique Djanov. Dans ce contexte, le sport donne lieu à des méthodes caractérisées, entre autres, par une détection des talents très performante (chacun est un champion potentiel) et un entraînement forcené.

Mais si le régime utilise le sport à des fins idéologiques, il connaît aussi souvent des retours de bâton. Emil Zatopek, triple vainqueur aux JO d'Helsinki en 1952, incarne alors le parfait modèle de la supériorité du bloc soviétique. Pourtant, en 1968, il fera figure de porte-parole notoire du Printemps de Prague en signant le manifeste des 2000 mots. Ce geste lui vaudra l'exclusion du parti communiste et son affectation forcée comme manoeuvre. Le symbole était trop fort.

Et que dire encore de la portée symbolique des rencontres sportives tchécoslovaco-soviétiques ? Ainsi, en 1969, l'équipe de hockey bat l'équipe soviétique. Les incidents qui s'en suivent fournissent un prétexte supplémentaire à la politique de normalisation dans le pays.

On a pu constater récemment l'effervescence, toute légitime, qui s'est emparée de la République tchèque lors de sa qualification pour les demi-finales du Championnat d'Europe de football. Si le rôle politique du sport n'est plus à l'ordre du jour, sa portée symbolique, elle, est toujours bien vivante.